Entretien avec le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement : “Le problème du Maroc n'est pas une question de code ou de loi, mais de déontologie”


Propos recueillis par Narjis Rerhaye
Jeudi 17 Septembre 2009

Entretien avec le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement : “Le problème du Maroc n'est pas une question de code ou de loi, mais de déontologie”
A quelques semaines de la Journée nationale de la presse, Khalid Naciri appelle à l'ouverture d'un dialogue sérieux et crédible avec les journalistes. Il est temps, explique-t-il, de mettre de l'ordre dans la maison.
Interview avec un ministre qui ne fait pas de concessions aux manquements à l'éthique et plaide en faveur de l'autorégulation.

Libé : Cet été, vous avez appelé à un débat national sur la presse. Est-ce une manière de dire qu'il y a péril en la demeure?


Khalid Naciri : Il y a péril en la demeure. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Nous vivons un paradoxe qu'il faut relever. D'une part, le pays est engagé dans un processus historique majeur de construction de la démocratie avec ses principaux instruments au premier rang desquels  les libertés publiques et la liberté de presse. D'autre part nous observons des dérapages éthiques et politiques qui ont atteint la cote d'alerte dans le contexte actuel.  Nous assistons aujourd'hui à ce combat de chiffonnier à travers lequel des journalistes appartenant à telle ou telle obédience se lancent des accusations gravissimes à la figure des uns des autres. Ce déballage nauséabond est significatif de cette déliquescence quasi-généralisée et qui interpelle tout le monde. Elle a atteint des proportions énormes. Mais d'un autre côté,  un certain nombre d'organes de presse sortent du lot et je voudrais ici leur rendre hommage. Ils sont localisés dans la presse partisane mais aussi dans quelques organes de la presse non partisane et ils ont eu le courage de tirer la sonnette d'alarme. Il est temps de dire que nous avons besoin d'une solide discussion sans a priori, sans parti-pris et avec l'objectif de mettre de l'ordre, mais bien entendu dans le cadre de l'option démocratique qui demeure un socle irréfragable.

Vous parlez d'une solide discussion entre les pouvoirs publics et la presse. Quelle forme devrait prendre une telle discussion ? Quels seront vos interlocuteurs. ?

J'ai lancé l'idée et je la maintiens parce que j'y crois énormément, parce que je suis un homme de dialogue et de consensus. Je crois que tous les mécanismes susceptibles de donner de la consistance à une démarche consensuelle, d'écoute réciproque sont bons à prendre. Dans ma démarche, j'ai d'abord mis en avant un concept  et un choix éthique et politique.  Quant à la forme, je suis ouvert à toutes les hypothèses. Cette discussion peut prendre la forme d'un symposium, d'une conférence, d'états généraux, d'assises…peu importe. L'essentiel est d'ouvrir un débat sérieux et crédible, un débat susceptible de dégager les grandes lignes d'une approche tout aussi sérieuse et crédible et sur laquelle peuvent se mettre d'accord les pouvoirs publics et les médias.
Aujourd'hui, il n'y a pas de dialogue. La responsabilité en incombe exclusivement à un certain nombre d'organes de presse et une certaine propension au corporatisme excessif de la part des organes représentatifs qui, pour la plupart, se caractérisent par leur crédibilité mais qui ont parfois tendance à caresser les auteurs de dérives dans le sens du poil, ne serait-ce qu'en leur trouvant des circonstances atténuantes. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est que la profession ait le courage de pointer du doigt toutes les dérives et tous les dysfonctionnements, pour un exercice sain et total des libertés médiatiques. Quant aux pouvoirs publics, ils sont prêts à discuter de tous les manquements qu'on pourrait leur reprocher. En ce qui me concerne, je ne disculpe pas nécessairement les pouvoirs publics dès lors qu'on admet la bonne foi.  Mais je ne saurais non plus disculper la profession journalistique au motif qu'elle serait par définition l'incarnation de la perfection. La perfection n'est ni du côté des gouvernants ni de celle de la presse.  Mettons-nous autour d'une table pour discuter. J'attends une discussion sérieuse pour qu'on me dise exactement ce qu'on attend du gouvernement. La mission du gouvernement est-elle seulement d'assister pieds et poings liés à toutes les dérives, à tous les dérapages sans réagir ? Un journaliste aurait-il le courage de me le dire ? Parce qu'entre les lignes, c'est ce qui s'écrit dans beaucoup d'organes de presse. Est-ce qu'il est possible de s'entendre ? Ma réponse est oui, si l'on se met d'accord au moins sur le fait que l'option de la démocratie et du respect de la liberté avec tous leurs corollaires sont des questions sur lesquelles on ne transige pas. En même temps, il s'agit de faire la distinction entre le droit de critiquer et le droit d'injurier. Beaucoup de journalistes qui ont montré leur infinie inculture considèrent que le droit dont dispose un journaliste est un droit absolu, que l'injure et la critique sont des synonymes, que leur mission est par définition d'être systématiquement contre le gouvernement et le discréditer et ce, dans une totale confusion des genres et un amalgame total entre le journalisme critique et une opposition débridée et démagogique.

Que répondez-vous à ceux qui risquent de reprocher aux pouvoirs publics d'imposer leur propre ligne éditoriale ?

Ceux qui affirment cela sont des doux rêveurs ou ne sont au courant de rien. Cela est complètement faux. Les pouvoirs publics ne veulent formater personne. Les pouvoirs publics n'ont pas besoin d'une presse qui passe son temps à les caresser dans le sens du poil. Cela ne fait partie ni de nos objectifs ni de nos besoins. En revanche, nous avons besoin d'une presse critique qui puisse accompagner l'action que nous sommes en train de mener. Il est temps de préciser que n'avons besoin que d'une presse crédible, capable d'informer et de contribuer à la formation du citoyen et à l'éclosion d'une conscience civique dont le Maroc a tant besoin. Arrêtons les accusations insensées !

Il fait mauvais temps pour la presse, entre interdiction d'un sondage et santé du Roi. En tant que ministre de la Communication, en tant que gouvernant tout simplement, qu'est-ce que vous dites ?
Que les journalistes vont trop loin? Qu'il y a un problème de gestion de la liberté ou qu'il y a tout simplement un problème de textes et de lois ?

Assurément, il n'y a pas de problème de texte ou de système normatif défaillant. Le problème du Maroc n'est pas une question de code ou de loi, mais de déontologie. Aujourd'hui, un certain nombre de journalistes se font un point d'honneur de faire dans la surenchère, qui, au demeurant, rapporte beaucoup d'argent et  permet de se forger une virginité politique à bon compte.  Le problème du Maroc réside dans le fait que s'est infiltrée, dans la presse, une minorité de provocateurs qui a fait de la provocation un fonds de commerce très rentable. Ceci est choquant et profondément immoral. En tant que ministre, j'ai le courage de dire que cela existe et j'en fais porter une part de responsabilité morale à la profession, aux hommes et femmes crédibles de cette profession, et Dieu sait qu'ils existent. Mais Dieu sait aussi qu'ils ne sont pas suffisamment bruyants pour taper sur la table. Il faut que la profession ait le courage aujourd'hui de dire  « je veux mettre de l'ordre dans la maison ». En discutant avec beaucoup de journalistes, beaucoup disent en off et en toute clarté ce qu'ils n'écrivent pas avec suffisamment d'éloquence. Dans cette profession, il y a des hommes et des femmes lucides et consciencieux mais qui ont peur de s'attirer les foudres des trublions et des marginaux.

Vous êtes en train de dire que les journalistes sont sous le joug d'un terrorisme intellectuel…

J'assume complètement le concept de terrorisme intellectuel. Il y a aujourd'hui un immense terrorisme dans ce pays, un terrorisme qui est en train de commettre des ravages. Il est temps que chacun assume ses responsabilités. Les pouvoirs publics continueront, eux, à assumer les leurs. Nous n'allons pas céder à ce terrorisme intellectuel. Ces gens-là ne me font pas peur et ma conscience est tranquille. Je continue aujourd'hui le même combat que j'ai toujours mené pour la démocratie, la liberté et le progrès. L'anarchie n'a jamais été ma tasse de thé.

Y aura-t-il dans ce cas des reculs en matière de liberté de presse ou au contraire des avancées ?

Aucun recul n'est inscrit dans notre agenda. Je l'affirme avec solennité. Notre option est mise en œuvre par un gouvernement réformateur qui est guidé au plus haut niveau par un Roi lui-même réformateur. C'est un choix fondamental, et il ne sert à rien de faire croire que le monde des libertés est en péril au Maroc. Au contraire, ce qui menace les libertés dans notre pays, c'est qu'elles soient prises en otage par une minorité de  marchands de papier.

Le Maroc est au cœur d'un chantier de réformes. Une panoplie de réformes est menée dans tous les domaines, droits de l'Homme, économie, etc. Mais on a le sentiment que le chantier des médias est en latence. Comment expliquez-vous ce ratage d'autant que le Code de la presse est au point mort et que le dialogue avec les professionnels est interrompu ? A quelques semaines de la journée nationale de la presse, avez-vous un message à délivrer aux journalistes ? La situation va-t-elle se débloquer ?

Pour débloquer ce qui est bloqué, il faut être deux. Les pouvoirs publics n'ont jamais cessé de tendre la main à qui veut leur tendre la sienne. A quelques semaines du 15 novembre, tout le monde est interpellé. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas l'intention de laisser les choses en l'état.  Une réflexion est engagée et je veux la mener avec la profession. Mais des préalables doivent être mis en avant. Dans ce cadre, je veux avoir une réponse à la question suivante : est-ce qu'il y a une volonté politique de construire la démocratie dans ce pays,  ensemble, dans la légitimité et la légalité ? Ou bien,  est-ce que l'agenda d'un certain nombre de journalistes se déploie dans une espèce d'ailleurs que je ne connais pas ? Si la réponse est  « oui, nous voulons travailler ensemble », si elle est dans le cadre du respect de l'option démocratique et des libertés, si la réponse est « oui nous voulons nous mettre d'accord ensemble sur une feuille de route et dans le plein respect des institutions », bref si les organes de presse et les institutions représentatives de la profession me disent qu'ils sont prêts à s'engager avec courage,  sérénité et détermination dans l'auto-régulation, sans corporatisme étroit, avec la capacité de délivrer des bons points ou des blâmes à ceux qui le méritent, cela va contribuer à créer un environnement nouveau qui nous permettra de travailler pour l'avenir.

Vous êtes en train d'esquisser les contours du Conseil national de presse ?

Je crois en l'auto-régulation, je crois au Conseil national de la presse, je crois à  la nécessité de faire assumer  la responsabilité morale, politique et professionnelle aux organismes représentatifs. Une demi-responsabilité ou une responsabilité en demi-mesure, cela  ne pourrait  que nous ramener en arrière.

Les professionnels aussi ont un préalable, celui de la suppression des peines privatives de liberté. Est-ce une revendication possible ? Peut-on y aboutir ?

C'est un faux débat. Depuis que je suis à la tête de ce département, on me sort  l'histoire des peines privatives  de liberté, au moment même où aucun journaliste n'est en prison pour ses écrits. Ce n'est pas une question de code ou de listing dans  le code, c'est d'abord une question d'assainissement des relations politiques, professionnelles et morales entre l'Etat et les acteurs du champ médiatique. Il faut accepter l'idée que le toilettage du Code de la presse est un chantier interrompu pour des raisons liées à une gestion erratique de la part de la profession. Si on se met d'accord sur le contexte global, tout est alors discutable mais sans dogmatisme. Ce n'est pas parce que nous sommes des démocrates que le principe des sanctions pénales doit être supprimé. Les journalistes sont d'abord des citoyens. Si on insiste tellement sur la suppression de telles peines, cela m'amène à me poser des questions sur l'objectif réel de ceux qui veulent être assurés d'une impunité totale. Cela fait partie des questions qui doivent être discutées sérieusement lors de ce débat que j'appelle de mes vœux.

Pour vous, une bonne presse, c'est une presse aux ordres ou une presse qui rapporte les faits et dénonce pour mieux avancer ?

Je me reconnais infiniment dans le tableau de la seconde figure. Une presse qui a pour mission de caresser les gouvernants dans le sens du poil ne représente aucun intérêt pour moi.  Une presse     aux ordres ne fait pas partie non plus de notre éthique. Une presse systématiquement impertinente rate aussi à mon avis le coche parce que ce n'est pas la mission de la presse.  
Nous avons besoin d'une presse qui soit exigeante, rigoureuse, professionnelle, critique. Il est impératif de rappeler ici qu'il est déterminant de distinguer entre esprit critique et esprit de critique. Un esprit critique est un esprit en éveil, capable de décortiquer les faits pour en saisir la substance, les présenter dans leurs multiples facettes. Un esprit de critique est un esprit torturé qui passe son temps à dire que rien ne marche. Parce que c'est un esprit obtus et dépourvu de perspectives. Hélas, beaucoup de journalistes se sont alimentés à l'école du nihilisme. Le nihilisme n'a jamais été ce qu'il y a de plus brillant en termes de doctrine politique. Je rêve en ce qui me concerne, d'un journalisme qui accompagne le processus de construction démocratique et institutionnel dans ce pays, un journalisme qui n'a pas peur de dire la vérité telle qu'elle est et ne considère pas que l'esprit de responsabilité est un ingrédient liberticide. Je suis consterné à cet égard, de constater que nombre de journalistes font des urticaires à l'évocation de la responsabilité.

Etes-vous en train de dire que presse et pouvoir sont un couple possible ?

Un pouvoir qui n'est pas accompagné par une presse qui l'interpelle est un pouvoir qui dérive vers la dictature. Mais une presse qui passe son temps à déblatérer de manière systématique contre le pouvoir, à refuser le débat et à se considérer elle-même comme néo-sacralité, cela débouche sur une autre dictature.  Moi qui ai passé toute ma jeunesse et même au-delà, à me battre contre les dérives liberticides du système, je ne peux pas passer sous silence les tentatives de remplacer la dérive liberticide et attentatoire à l'esprit critique par une nouvelle dérive dictatoriale qu'incarne la pensée unique déployée par une certaine presse qui tire à boulets rouges  sur tout ce qui bouge, de préférence dans le bons sens.
Donc, oui, sans le moindre doute, presse et pouvoir sont un couple possible. Sa pérennité passe par le respect réciproque.


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