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Nombre d'ex-officiers et ex-agents algériens transfuges de l'Armée nationale populaire (ANP) et du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), ont abondé ces dernières années en déclarations mettant directement en cause le DRS - les services de renseignements algériens, anciennement connus sous le nom de Sécurité militaire - dans différents assassinats, " officiellement " imputés à des groupes terroristes, notamment les Groupes islamistes armés (GIA).
Les témoignages de ces transfuges, largement repris par les médias internationaux, ont fait état en effet de l'implication du DRS dans beaucoup d'assassinats individuels ainsi que dans des massacres collectifs de centaines de citoyens algériens.
L'ex-agent des services de renseignement algériens, Karim Moulai, rompt le silence et fait des révélations pour le moins explosives sur l'implication du DRS algérien dans des massacres de civils…et dans l'attentat de l'hôtel Atlas Asni de Marrakech.
Il est le dernier transfuge à témoigner publiquement sur les assassinats et autres massacres commandités, sinon directement commis par le DRS.
Contacté par Libération à son lieu de résidence en Grande-Bretagne juste après la publication des déclarations faites à l'agence Quds Press, Karim Moulai a accepté de nous accorder un long entretien que nous publierons la première partie dans notre édition d'aujourd'hui
Qui est Karim Moulai ? Quel rang occupait-il réellement dans la hiérarchie du DRS ? Pourquoi a-t-il attendu aussi longtemps avant de révéler une partie de ce qu'il sait et pourquoi précisément maintenant ? Est-il manipulé ? Qui tue qui en Algérie ? AIS, GIA, GSPC, AQMI et DRS, quelles accointances ? Pourquoi un attentat contre l'hôtel Atlas Asni et comment a-t-il été préparé ? De quelle nature sont les rapports entre le DRS et le Polisario ? Quel impact ont eu les déclarations de l'ex-agent en Algérie, particulièrement au sein du DRS ? Que court Karim Moulai comme risque ?...Ce sont là, entre autres, quelques-unes des questions que nous avons posées à l'ex-agent du DRS.
Lors de notre dernière séance d'entretiens, Karim Moulai, visiblement plus inquiet que d'habitude, nous a déclaré craindre pour sa vie. "Je viens d'avoir des informations qui indiquent qu'ils pensent (les services algériens, ndlr) sérieusement à m'éliminer. Et pas plus tard qu'aujourd'hui plusieurs fois des inconnus ont frappé à ma porte et à chaque fois ils ont pris le soin de masquer la caméra de surveillance pour que je ne puisse pas voir le visage de ou des "visiteurs". Je commence à avoir un sérieux problème de sécurité ici en Grande-Bretagne, ce pourquoi je compte…". Il ne terminera pas sa phrase. Nous n'avons pas non plus insisté pour en savoir davantage.
Pendant que quelques observateurs avancent l'idée que l'ex-agent du DRS algérien serait manipulé par telle ou telle autre partie et mettent quelques doutes sur sa repentance tardive, d'autres, la majorité pour ainsi dire, n'hésitent pas à qualifier les déclarations faites par Karim Moulai de très compromettantes pour Alger.
Sa grande taille (190cm), sa forte carrure, sa calvitie assez prononcée et son regard qui signe une très forte détermination font constater d'emblée que Karim Moulai a le physique et l'allure de
l'emploi. Sa barbe de trois jours qui accentue les signes de fatigue visibles sur son visage, elle,
est pour indiquer qu'il n'est, pour le moins, pas tranquille. Il nous expliquera pourquoi en fin de l'entretien que nous publierons en trois parties.
Libé: Qui est Karim Moulai ?
Karim Moulay: Je suis de la génération algérienne née au lendemain de l'indépendance et j'appartiens à une famille dont beaucoup de membres ont activement participé à la guerre de libération nationale. Certains en ont été des martyrs. Mon père, lui, est un ancien Moudjahid, il fut arrêté, emprisonné et torturé par l'armée française. C'est pour dire que le patriotisme, je l'ai dans mes veines.
Mon enfance et mon adolescence, je les ai passées à Lakhdaria - Wilaya de Bouira - située à 75km à l'est d'Alger. Sur cette période, rien de très particulier, si ce n'est mon adhésion aux scouts et à l'Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA)(organisation parallèle du FLN, ndlr). Dans cette dernière organisation j'étais particulièrement actif…Et on l'avait remarqué.
Faut-il comprendre que le DRS en faisait l'une des pépinières où il recrutait ses futurs agents ?
Exactement. Ceux qui avaient quelques aptitudes pour être agent du DRS étaient repérés, suivis et encadrés. Après quoi, ils sont approchés pour être formés, ensuite ils sont recrutés.
Karim espion, ça a été décidé quand, comment et par qui ?
Dès la rentrée universitaire 1987-1988, année qui correspond à l'entame de mon cursus universitaire à l'université des sciences et de la technologie Houari Boumédienne (USTHB), j'ai été approché par un officier du DRS qui s'est présenté à moi comme étant Abdelkader, de son vrai prénom Abbass. Aussi, me fit-il la proposition de travailler pour le DRS. Je n'ai pas hésité une seule seconde. J'ai tout de suite donné mon accord et ma formation aux techniques du renseignement a pu commencer quelques jours après. C'est l'officier Abdelkader lui-même qui s'en est chargé pendant 4 mois.
Ne ressentiez-vous pas quelque gêne à faire ce métier au sein de la SM, sécurité militaire (beaucoup d'Algériens continuent d'appeler ainsi le DRS, ndlr) ?
Non ! Je n'avais aucune raison d'éprouver la moindre gêne. Dans ma tête j'allais travailler pour les intérêts de mon pays et pour sa sécurité. Je trouve que c'est même louable. D'autant plus que j'ai la fibre patriotique comme je vous l'ai expliqué précédemment.
Il est vrai que la SM n'avait pas bonne presse auprès du peuple algérien, mais je ne m'en suis pas soucié du tout.
Après votre recrutement, que s'est-il passé dans cette fameuse université (USTBH) et comment viviez-vous votre nouvelle condition à la fois d'étudiant et d'agent du DRS ?
Ayant remarqué que j'avais de très bonnes aptitudes pour le métier d'agent, le DRS me propulsa officiellement directeur des cours et de la pédagogie. J'assumais en plus, mais de manière non officielle, la fonction de vice-recteur de l'université. Vous imaginez ?! Je n'étais alors qu'un simple étudiant en première année de technologie. Aussi, avait-on mis à ma disposition un immense bureau et un secrétariat. Vous vous doutez bien que le DRS pouvait se permettre ce genre de fantaisie…
L'USTHB de Bab Ezzaouar qui est immensément grande accueillait à cette époque près de 25.000 étudiants répartis entre 15 facultés, cela m'assurait un certain anonymat.
Ma mission dans cette université, fief de la contestation estudiantine à cette époque, consistait à surveiller et à établir des rapports sur certains étudiants appartenant à diverses mouvances et sur les organisations estudiantines.
Vous aviez déclaré que des enseignants et des étudiants de cette université ont été kidnappés ou/et assassinés dans le cadre d'opérations menées par le DRS. Quel rôle y avez-vous joué ?
Pour la plupart de ces opérations, c'était moi qui fournissais un rapport sur la personne concernée. Parfois, je participais directement à la mission en désignant par exemple la personne aux éléments du DRS.
Des kidnappings et des assassinats ont eu lieu devant mes yeux. Je ne comprenais pas toujours les motivations qui les sous-tendaient…Mais je ne posais pas trop de questions. Mon supérieur, Abdelkader, m'avait clairement signifié que je ne devais pas en poser.
Pouvez-vous nous donner quelques noms de personnes de l'USTHB kidnappées ou assassinées. Et dans quelles conditions l'ont-elles été ?
Je commencerai évidemment par l'assassinat du recteur feu Salah Djabaili, lequel a été abattu le 31 mai 1994 par des éléments du DRS à quelques mètres de là où je me trouvais. Dans cette affaire, j'avais joué le rôle d'informateur et de rabatteur, sans savoir toutefois que cela allait se terminer par l'élimination du recteur, de son chauffeur Bouâlam et de son garde du corps Jamal Magâach, le frère du journaliste Ahmed Magâach. Ceux-là ont été éliminés parce qu'il était dans les pratiques du DRS de ne pas laisser de témoins.
Deux étudiants, Hamza Mohamed et Badrane Mohamed, ont été identifiés sur mes indications. Hmaza sera exécuté et Badrane kidnappé sous mes yeux par 3 éléments du DRS. Ce dernier n'a plus donné signe de vie depuis. Très certainement exécuté aussi.
Je rappelle aussi que le professeur Djilali El Yabess, ex-ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a lui aussi été éliminé par le DRS…Une jeune journaliste, Hayat, l'a été aussi, au seul motif qu'elle ne voulait pas collaborer avec le DRS. Un professeur universitaire Hamad Hanbli…Et la liste des assassinats commis par le DRS est évidement longue.
Pourquoi l'assassinat du recteur Djabaili, que rien ne justifie de prime abord ?
Sommé d'agir, par l'ex-premier ministre Mouloud Hamrouche lui-même, pour que soient levés l'occupation et les sit-in observés par les étudiants, il avait refusé l'intervention des forces spéciales (Armée, Gendarmerie et DRS). Il présenta alors sa démission. A son retour après un séjour de quelques mois en France, il passa à l'université pour prendre ses effets personnels. Sur mes indications, le DRS l'y attendait. Il sera exécuté à 200 mètres du parking de voitures où je me trouvais. Et qui plus est à 500m d'un barrage de sécurité et dans une zone où se trouvait une garnison. Je ne pensais vraiment pas qu'il allait être puni de cette manière.
Avez-vous participé à cette époque où vous étiez encore étudiant à d'autres missions en dehors de l'enceinte universitaire ?
Oui, à plusieurs. Je citerai notamment celle au cours de laquelle a été exécuté un terroriste, le dénommé Boudjelti Mohamed. C'était en 1992 à Beni âmrane dans la wilaya de Boumerdes.
Et qui d'autre ?
Pour l'instant je préfère m'en tenir à ce seul exemple…J'en dirais plus et ferais d'autres révélations plus tard.
Vous avez également évoqué des massacres collectifs, notamment celui de Beni Messous dans la proche banlieue algéroise et vous avez déclaré que c'est le général Mohamed Médène dit « Toufik », le patron du DRS, qui aurait lui-même donné l'ordre à ses éléments de le perpétrer. L'accusation est très grave. Pouvez-vous l'étayer ?
Avant de répondre à votre question, je tiens d'abord à revenir sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé mon passage sur le plateau de télévision de la chaîne satellitaire El Hiwar dans le cadre de l'émission « Biwoudouh » diffusée en différé. Je fais noter à ce sujet qu'une partie de mes propos a fait l'objet d'une censure. Un journaliste algérien travaillant pour la chaîne en question, connu pour ses accointances avec les services algériens, en est derrière. Je crois deviner aussi que des pressions ont été exercées sur El Hiwar pour procéder à des coupes. J’y reviendrai.
Pour ce qui est du massacre de Beni Messous, perpétré dans la nuit du 31 mai 1997 et au cours duquel ont été exécutés 200 civils innocents, il ne fait pas l'ombre d'un doute que l'ordre venait du général Toufik lui-même. En faisant recouper quelques indices, et c'est là mon métier, dont certains m'ont été fournis par Abdellatif, le propre neveu du général, auquel me liait une amitié je suis arrivé à cette conclusion. Une conclusion que corrobore d'ailleurs la mainmise faite par le général et par son entourage sur les terrains se trouvant sur les lieux et aux alentours du lieu du massacre. Bien évidemment le DRS a tenté de faire passer la pilule en imputant ce massacre aux islamistes du GIA.
Etait-il courant pour les officiers supérieurs du DRS de faire du business à ce prix là ?
Très courant peut-être pas, mais cela se faisait aussi.
Il est également cette affaire de l'assassinat des 7 moines de Tibehirine. Nombre d'observateurs disent qu'elle est, pour le moins, entourée de nombreuses zones d'ombre. Vous, vous en dites quoi ?
Je ne pourrais évidemment pas me prononcer sur un événement dont je n'ai pas les détails qui me permettrait d'affirmer qu'il a été l'œuvre de telle partie ou de telle autre. Néanmoins, je ne peux ne pas relever que l'assassinat des 7 moines s'est produit au moment où l'officier Abdelkader (Abbas) venait d'être désigné à la tête du DRS dans la région de Médéa-Blida dont relève Tibehirine. Et quand Abdelkader est dans un coin, il faut s'attendre à ce qu'il s’y produise quelque coup tordu. Cela dit, je pense qu'il y a eu un problème de casting (Karim sourit). Et comme les GIA étaient grandement infiltrés par le DRS, toutes les hypothèses peuvent être retenues. Y compris celle d'une bavure.
Vous avez quitté l'Algérie en 2000, et vous décidez de faire des déclarations pour le moins explosives en 2010. Au-delà des remords que vous dites avoir eus, avez-vous décidé de parler parce que vous vous sentez aujourd'hui plus en sécurité ?
Non je m'en tiens à l'explication que j'ai donnée : mes remords sont sincères et eux seuls dictent ma conduite. Aussi, mes déclarations ne sont d'aucun rapport avec ma sécurité. Bien au contraire, aujourd'hui je ne me sens plus en sécurité du fait de mes déclarations.
Je sais que je prends de gros risques. Et si la paix de ma conscience est à ce prix-là, tant pis.
Avez-vous été contacté par les familles des victimes citées dans vos déclarations ?
Oui j'ai été contacté par cinq familles algériennes dont celle de Jamal Magâach, le garde du corps de Salah Djabaili. Je leur ai expliqué le pourquoi et les conditions dans lesquelles ont été éliminées les victimes.
Dans la suite de la 2ème partie de cet entretien qui paraîtra dans notre édition de demain, Karim Moulay parlera, entre autres, de missions effectuées à l'étranger (Malaisie, Indonésie, Tunisie, Sénégal, Mauritanie, Turquie, Syrie…) et de l'attentat de l'hôtel Atlas Asni de Marrakech dont il avait assuré lui-même les préparatifs logistiques.
Les témoignages de ces transfuges, largement repris par les médias internationaux, ont fait état en effet de l'implication du DRS dans beaucoup d'assassinats individuels ainsi que dans des massacres collectifs de centaines de citoyens algériens.
L'ex-agent des services de renseignement algériens, Karim Moulai, rompt le silence et fait des révélations pour le moins explosives sur l'implication du DRS algérien dans des massacres de civils…et dans l'attentat de l'hôtel Atlas Asni de Marrakech.
Il est le dernier transfuge à témoigner publiquement sur les assassinats et autres massacres commandités, sinon directement commis par le DRS.
Contacté par Libération à son lieu de résidence en Grande-Bretagne juste après la publication des déclarations faites à l'agence Quds Press, Karim Moulai a accepté de nous accorder un long entretien que nous publierons la première partie dans notre édition d'aujourd'hui
Qui est Karim Moulai ? Quel rang occupait-il réellement dans la hiérarchie du DRS ? Pourquoi a-t-il attendu aussi longtemps avant de révéler une partie de ce qu'il sait et pourquoi précisément maintenant ? Est-il manipulé ? Qui tue qui en Algérie ? AIS, GIA, GSPC, AQMI et DRS, quelles accointances ? Pourquoi un attentat contre l'hôtel Atlas Asni et comment a-t-il été préparé ? De quelle nature sont les rapports entre le DRS et le Polisario ? Quel impact ont eu les déclarations de l'ex-agent en Algérie, particulièrement au sein du DRS ? Que court Karim Moulai comme risque ?...Ce sont là, entre autres, quelques-unes des questions que nous avons posées à l'ex-agent du DRS.
Lors de notre dernière séance d'entretiens, Karim Moulai, visiblement plus inquiet que d'habitude, nous a déclaré craindre pour sa vie. "Je viens d'avoir des informations qui indiquent qu'ils pensent (les services algériens, ndlr) sérieusement à m'éliminer. Et pas plus tard qu'aujourd'hui plusieurs fois des inconnus ont frappé à ma porte et à chaque fois ils ont pris le soin de masquer la caméra de surveillance pour que je ne puisse pas voir le visage de ou des "visiteurs". Je commence à avoir un sérieux problème de sécurité ici en Grande-Bretagne, ce pourquoi je compte…". Il ne terminera pas sa phrase. Nous n'avons pas non plus insisté pour en savoir davantage.
Pendant que quelques observateurs avancent l'idée que l'ex-agent du DRS algérien serait manipulé par telle ou telle autre partie et mettent quelques doutes sur sa repentance tardive, d'autres, la majorité pour ainsi dire, n'hésitent pas à qualifier les déclarations faites par Karim Moulai de très compromettantes pour Alger.
Sa grande taille (190cm), sa forte carrure, sa calvitie assez prononcée et son regard qui signe une très forte détermination font constater d'emblée que Karim Moulai a le physique et l'allure de
l'emploi. Sa barbe de trois jours qui accentue les signes de fatigue visibles sur son visage, elle,
est pour indiquer qu'il n'est, pour le moins, pas tranquille. Il nous expliquera pourquoi en fin de l'entretien que nous publierons en trois parties.
Libé: Qui est Karim Moulai ?
Karim Moulay: Je suis de la génération algérienne née au lendemain de l'indépendance et j'appartiens à une famille dont beaucoup de membres ont activement participé à la guerre de libération nationale. Certains en ont été des martyrs. Mon père, lui, est un ancien Moudjahid, il fut arrêté, emprisonné et torturé par l'armée française. C'est pour dire que le patriotisme, je l'ai dans mes veines.
Mon enfance et mon adolescence, je les ai passées à Lakhdaria - Wilaya de Bouira - située à 75km à l'est d'Alger. Sur cette période, rien de très particulier, si ce n'est mon adhésion aux scouts et à l'Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA)(organisation parallèle du FLN, ndlr). Dans cette dernière organisation j'étais particulièrement actif…Et on l'avait remarqué.
Faut-il comprendre que le DRS en faisait l'une des pépinières où il recrutait ses futurs agents ?
Exactement. Ceux qui avaient quelques aptitudes pour être agent du DRS étaient repérés, suivis et encadrés. Après quoi, ils sont approchés pour être formés, ensuite ils sont recrutés.
Karim espion, ça a été décidé quand, comment et par qui ?
Dès la rentrée universitaire 1987-1988, année qui correspond à l'entame de mon cursus universitaire à l'université des sciences et de la technologie Houari Boumédienne (USTHB), j'ai été approché par un officier du DRS qui s'est présenté à moi comme étant Abdelkader, de son vrai prénom Abbass. Aussi, me fit-il la proposition de travailler pour le DRS. Je n'ai pas hésité une seule seconde. J'ai tout de suite donné mon accord et ma formation aux techniques du renseignement a pu commencer quelques jours après. C'est l'officier Abdelkader lui-même qui s'en est chargé pendant 4 mois.
Ne ressentiez-vous pas quelque gêne à faire ce métier au sein de la SM, sécurité militaire (beaucoup d'Algériens continuent d'appeler ainsi le DRS, ndlr) ?
Non ! Je n'avais aucune raison d'éprouver la moindre gêne. Dans ma tête j'allais travailler pour les intérêts de mon pays et pour sa sécurité. Je trouve que c'est même louable. D'autant plus que j'ai la fibre patriotique comme je vous l'ai expliqué précédemment.
Il est vrai que la SM n'avait pas bonne presse auprès du peuple algérien, mais je ne m'en suis pas soucié du tout.
Après votre recrutement, que s'est-il passé dans cette fameuse université (USTBH) et comment viviez-vous votre nouvelle condition à la fois d'étudiant et d'agent du DRS ?
Ayant remarqué que j'avais de très bonnes aptitudes pour le métier d'agent, le DRS me propulsa officiellement directeur des cours et de la pédagogie. J'assumais en plus, mais de manière non officielle, la fonction de vice-recteur de l'université. Vous imaginez ?! Je n'étais alors qu'un simple étudiant en première année de technologie. Aussi, avait-on mis à ma disposition un immense bureau et un secrétariat. Vous vous doutez bien que le DRS pouvait se permettre ce genre de fantaisie…
L'USTHB de Bab Ezzaouar qui est immensément grande accueillait à cette époque près de 25.000 étudiants répartis entre 15 facultés, cela m'assurait un certain anonymat.
Ma mission dans cette université, fief de la contestation estudiantine à cette époque, consistait à surveiller et à établir des rapports sur certains étudiants appartenant à diverses mouvances et sur les organisations estudiantines.
Vous aviez déclaré que des enseignants et des étudiants de cette université ont été kidnappés ou/et assassinés dans le cadre d'opérations menées par le DRS. Quel rôle y avez-vous joué ?
Pour la plupart de ces opérations, c'était moi qui fournissais un rapport sur la personne concernée. Parfois, je participais directement à la mission en désignant par exemple la personne aux éléments du DRS.
Des kidnappings et des assassinats ont eu lieu devant mes yeux. Je ne comprenais pas toujours les motivations qui les sous-tendaient…Mais je ne posais pas trop de questions. Mon supérieur, Abdelkader, m'avait clairement signifié que je ne devais pas en poser.
Pouvez-vous nous donner quelques noms de personnes de l'USTHB kidnappées ou assassinées. Et dans quelles conditions l'ont-elles été ?
Je commencerai évidemment par l'assassinat du recteur feu Salah Djabaili, lequel a été abattu le 31 mai 1994 par des éléments du DRS à quelques mètres de là où je me trouvais. Dans cette affaire, j'avais joué le rôle d'informateur et de rabatteur, sans savoir toutefois que cela allait se terminer par l'élimination du recteur, de son chauffeur Bouâlam et de son garde du corps Jamal Magâach, le frère du journaliste Ahmed Magâach. Ceux-là ont été éliminés parce qu'il était dans les pratiques du DRS de ne pas laisser de témoins.
Deux étudiants, Hamza Mohamed et Badrane Mohamed, ont été identifiés sur mes indications. Hmaza sera exécuté et Badrane kidnappé sous mes yeux par 3 éléments du DRS. Ce dernier n'a plus donné signe de vie depuis. Très certainement exécuté aussi.
Je rappelle aussi que le professeur Djilali El Yabess, ex-ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a lui aussi été éliminé par le DRS…Une jeune journaliste, Hayat, l'a été aussi, au seul motif qu'elle ne voulait pas collaborer avec le DRS. Un professeur universitaire Hamad Hanbli…Et la liste des assassinats commis par le DRS est évidement longue.
Pourquoi l'assassinat du recteur Djabaili, que rien ne justifie de prime abord ?
Sommé d'agir, par l'ex-premier ministre Mouloud Hamrouche lui-même, pour que soient levés l'occupation et les sit-in observés par les étudiants, il avait refusé l'intervention des forces spéciales (Armée, Gendarmerie et DRS). Il présenta alors sa démission. A son retour après un séjour de quelques mois en France, il passa à l'université pour prendre ses effets personnels. Sur mes indications, le DRS l'y attendait. Il sera exécuté à 200 mètres du parking de voitures où je me trouvais. Et qui plus est à 500m d'un barrage de sécurité et dans une zone où se trouvait une garnison. Je ne pensais vraiment pas qu'il allait être puni de cette manière.
Avez-vous participé à cette époque où vous étiez encore étudiant à d'autres missions en dehors de l'enceinte universitaire ?
Oui, à plusieurs. Je citerai notamment celle au cours de laquelle a été exécuté un terroriste, le dénommé Boudjelti Mohamed. C'était en 1992 à Beni âmrane dans la wilaya de Boumerdes.
Et qui d'autre ?
Pour l'instant je préfère m'en tenir à ce seul exemple…J'en dirais plus et ferais d'autres révélations plus tard.
Vous avez également évoqué des massacres collectifs, notamment celui de Beni Messous dans la proche banlieue algéroise et vous avez déclaré que c'est le général Mohamed Médène dit « Toufik », le patron du DRS, qui aurait lui-même donné l'ordre à ses éléments de le perpétrer. L'accusation est très grave. Pouvez-vous l'étayer ?
Avant de répondre à votre question, je tiens d'abord à revenir sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé mon passage sur le plateau de télévision de la chaîne satellitaire El Hiwar dans le cadre de l'émission « Biwoudouh » diffusée en différé. Je fais noter à ce sujet qu'une partie de mes propos a fait l'objet d'une censure. Un journaliste algérien travaillant pour la chaîne en question, connu pour ses accointances avec les services algériens, en est derrière. Je crois deviner aussi que des pressions ont été exercées sur El Hiwar pour procéder à des coupes. J’y reviendrai.
Pour ce qui est du massacre de Beni Messous, perpétré dans la nuit du 31 mai 1997 et au cours duquel ont été exécutés 200 civils innocents, il ne fait pas l'ombre d'un doute que l'ordre venait du général Toufik lui-même. En faisant recouper quelques indices, et c'est là mon métier, dont certains m'ont été fournis par Abdellatif, le propre neveu du général, auquel me liait une amitié je suis arrivé à cette conclusion. Une conclusion que corrobore d'ailleurs la mainmise faite par le général et par son entourage sur les terrains se trouvant sur les lieux et aux alentours du lieu du massacre. Bien évidemment le DRS a tenté de faire passer la pilule en imputant ce massacre aux islamistes du GIA.
Etait-il courant pour les officiers supérieurs du DRS de faire du business à ce prix là ?
Très courant peut-être pas, mais cela se faisait aussi.
Il est également cette affaire de l'assassinat des 7 moines de Tibehirine. Nombre d'observateurs disent qu'elle est, pour le moins, entourée de nombreuses zones d'ombre. Vous, vous en dites quoi ?
Je ne pourrais évidemment pas me prononcer sur un événement dont je n'ai pas les détails qui me permettrait d'affirmer qu'il a été l'œuvre de telle partie ou de telle autre. Néanmoins, je ne peux ne pas relever que l'assassinat des 7 moines s'est produit au moment où l'officier Abdelkader (Abbas) venait d'être désigné à la tête du DRS dans la région de Médéa-Blida dont relève Tibehirine. Et quand Abdelkader est dans un coin, il faut s'attendre à ce qu'il s’y produise quelque coup tordu. Cela dit, je pense qu'il y a eu un problème de casting (Karim sourit). Et comme les GIA étaient grandement infiltrés par le DRS, toutes les hypothèses peuvent être retenues. Y compris celle d'une bavure.
Vous avez quitté l'Algérie en 2000, et vous décidez de faire des déclarations pour le moins explosives en 2010. Au-delà des remords que vous dites avoir eus, avez-vous décidé de parler parce que vous vous sentez aujourd'hui plus en sécurité ?
Non je m'en tiens à l'explication que j'ai donnée : mes remords sont sincères et eux seuls dictent ma conduite. Aussi, mes déclarations ne sont d'aucun rapport avec ma sécurité. Bien au contraire, aujourd'hui je ne me sens plus en sécurité du fait de mes déclarations.
Je sais que je prends de gros risques. Et si la paix de ma conscience est à ce prix-là, tant pis.
Avez-vous été contacté par les familles des victimes citées dans vos déclarations ?
Oui j'ai été contacté par cinq familles algériennes dont celle de Jamal Magâach, le garde du corps de Salah Djabaili. Je leur ai expliqué le pourquoi et les conditions dans lesquelles ont été éliminées les victimes.
Dans la suite de la 2ème partie de cet entretien qui paraîtra dans notre édition de demain, Karim Moulay parlera, entre autres, de missions effectuées à l'étranger (Malaisie, Indonésie, Tunisie, Sénégal, Mauritanie, Turquie, Syrie…) et de l'attentat de l'hôtel Atlas Asni de Marrakech dont il avait assuré lui-même les préparatifs logistiques.