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«L’affaire Bensmim est devenue un exemple mondial de la lutte pour le droit à l’eau»
Le village de Bensmim est situé à 70 kilomètres de Fès. Le nombre de ses
habitants ne dépasse pas les 3500. L’agriculture et l’élevage sont les deux
principales activités
économiques de la
population. Cette dernière vit dans des conditions sociales précaires comme dans la plupart des régions rurales marocaines.
La source d’eau Bensmim est considérée comme le garant de la continuité puisque l’agriculture
en dépend
largement.
La privatisation et
l’exploitation de cette
source par une entreprise internationale ont induit une véritable crise dans la région. La population n’a pas hésité à riposter à cette initiative étatique qui menace son existence et porte atteinte à son droit à l’eau. C’est ainsi que les habitants de ce village ont choisi de protester et
d’exprimer leur colère contre cette décision.
Il faut signaler également qu’ils ont été assistés et encadrés par plusieurs
associations et ONG
militantes des droits humains en lutte contre
l’exploitation étrangère
des ressources naturelles
et leur privatisation.
Parmi ces ONG on trouve l’Association pour le Contrat mondial de l’eau (ACME).
Cette interview avec
M. Aziz Latrache, membre du conseil national de cette association, permet d’avoir un aperçu général sur une affaire qui témoigne d’une lutte populaire pour un droit primordial,
en l’occurrence l’eau.
Libé : Que pouvez-vous nous dire de l’affaire Bensmim et de la crise qu’a connue la région après l’installation d’une société qui devrait exploiter les richesses d’eau du village?
Aziz Latrach : La préparation du dossier de la privatisation de la source Bensmim a été entamée depuis 2001 par la Société euro-africaine des Eaux. Après que cette entreprise privée a présenté son étude sur le projet, le gouvernement marocain a signé le partenariat qui permet la construction et l’exploitation d’une unité de production d’eau, et ce pour une durée de 30 ans. Cela devrait menacer la continuité de cette source naturelle d’eau. Ce qu’il faut savoir, c’est que cette source représente le pilier de toute activité économique dans ce village. Ces activités ne sont pas diversifiées mais se limitent à l’agriculture et à l’élevage. Il y a plus de 5.000 têtes de mouton. Ainsi, on peut considérer l’eau comme la base d’existence des populations.
L’Etat estime qu’il a droit à 60% de cette source minérale, contre 40% pour les villageois, en majorité des agriculteurs. Ces derniers ont affirmé que cette source appartient à la Zaouia de Bensmim. Ils confirment ce droit avec une attestation que le Roi feu Mohamed V leur a octroyée à l’occasion d’une visite à ce village. Il est important de souligner aussi que l’entreprise et l’Etat se sont basés sur des informations erronées indiquant que le débit de la source est élevé et que les richesses d’eau sont largement suffisantes pour une double exploitation, en s’appuyant sur des recherches pluviométriques qui datent des années 60 et 70. Alors qu’en réalité, le débit est en pleine régression et ne peut même pas satisfaire les besoins des populations de Bensmim. Pour preuve, les agriculteurs cultivent leurs terres à tour de rôle, puisqu’ils n’ont pas la possibilité d’irriguer toutes leurs propriétés. De plus, tout le monde est convaincu que le Maroc a connu une longue période de sécheresse au cours des trois dernières décennies, et que les pluies des deux années précédentes constituent une exception.
Quelle était la réaction de la population du village Bensmim après cette décision envisageant la privatisation de leur source d’eau? Et quelle était la riposte de la société civile ?
Les citoyens se sont mobilisés et ont exprimé leur colère et le rejet de ce projet de privatisation sans préavis. Ils ont également contacté notre organisation qui leur a apporté aide et soutien avec dévouement et esprit militant. Il y a eu aussi une série de manifestations qui ont été brutalement réprimées par les forces de l’ordre.
De ce fait, de nombreux citoyens ont été arrêtés, entre autres, un homme âgé de plus de soixante-dix ans, le but était de terroriser les gens et les punir. Pourtant, la région de Bensmim a connu une large mobilisation. Ainsi, un grand nombre de manifestations ont été organisées et encadrées par l’Association pour le Contrat Mondial de l’Eau en coordination avec d’autres ONG des droits humains. Cette mobilisation s’est étendue sur tout le territoire marocain, ce qui a donné lieu à des caravanes de solidarité avec la population de Bensmim.
J’aimerais ajouter que notre organisation était à l’origine de la solidarité internationale pour soutenir cette cause, puisque nous avons contacté plusieurs associations internationales et des personnalités influentes dont une parlementaire belge d’origine marocaine, Alima Boumediane qui a envoyé une dépêche à l’ex-Premier ministre Driss Jettou, pour demander l’annulation de la privatisation de la source d’eau Bensmim. C’était après que cette affaire a été présentée et discutée par les députés du Parlement européen. Et dernièrement, à l’occasion de la tenue du Forum Mondial Alternatif de l’Eau qui s’est déroulé en Turquie, nous avons mené une campagne visant à internationaliser cette question et bénéficier du soutien de la société civile mondiale.
Les responsables ont-ils répondu favorablement aux revendications des citoyens et des mouvements sociaux qui ont pris en main cette affaire?
Il est certain que les manifestations et campagnes de solidarité ont constitué une véritable pression sur les autorités locales et centrales. Cette pression s’est accentuée après que cette affaire a été mise en lumière par plusieurs journaux et médias. De plus, cette question est devenue un exemple mondial de la lutte des peuples pour le droit à l’eau et la cause du militantisme contre la privatisation de cette richesse. Il s’agissait d’une leçon en matière de lutte de nos concitoyens à Bensmim contre la marchandisation de cet élément vital et existentiel. Ces efforts ont abouti à l’interruption des activités de l’unité de production jusqu’à aujourd’hui. Alors que le directeur de cette usine avait déjà confirmé que ces activités devaient démarrer dès 2004.
L’Etat, au lieu d’être compréhensible à l’égard des revendications légitimes des citoyens, avait mené une politique de punition intolérable. A titre d’exemple, en vue d’interdire les réunions des habitants, les autorités avaient coupé le courant électrique au mois de Ramadan, ce qui a été considéré comme une grave provocation. Cette punition collective s’est aggravée au point d’interdire le développement de la région, puisqu’aucun projet n’a été réalisé dans ce village, que ce soit dans le cadre de l’INDH ou privé. Signalons aussi que cette région vit dans la misère et la marginalisation.
Que pouvez-vous nous dire de l’entreprise privée qui a signé le contrat avec le gouvernement et comment prévoyez-vous l’avenir de cette cause?
Il y a plusieurs questions qui interpellent toute personne œuvrant à ce sujet. On ne connaît pas réellement quelles sont les parties qui soutiennent et facilitent les procédures légales devant l’entreprise exploitante. Il faut noter que ce projet a été construit sur une propriété publique, et ce contre la volonté des populations et des mouvements sociaux.
C’est aussi une occasion pour dénoncer le soutien étatique flagrant pour cette société, au détriment des droits des citoyens de Bensmim. Il en résulte que l’appareil de l’Etat est toujours contrôlé par les lobbyings des arrivistes et des magnats capitalistes dirigés par le Makhzen économique et le néolibéralisme sauvage.
Il est certain, d’autre part, que la résistance et la lutte des citoyens de Bensmim finiront par la victoire. Cette résistance menée avec l’encadrement des ONG œuvrant dans les domaines de l’écologie et la défense des droits humains sera sans aucun doute fructueuse pour l’avenir du village de Bensmim et la région en général.
Le village de Bensmim est situé à 70 kilomètres de Fès. Le nombre de ses
habitants ne dépasse pas les 3500. L’agriculture et l’élevage sont les deux
principales activités
économiques de la
population. Cette dernière vit dans des conditions sociales précaires comme dans la plupart des régions rurales marocaines.
La source d’eau Bensmim est considérée comme le garant de la continuité puisque l’agriculture
en dépend
largement.
La privatisation et
l’exploitation de cette
source par une entreprise internationale ont induit une véritable crise dans la région. La population n’a pas hésité à riposter à cette initiative étatique qui menace son existence et porte atteinte à son droit à l’eau. C’est ainsi que les habitants de ce village ont choisi de protester et
d’exprimer leur colère contre cette décision.
Il faut signaler également qu’ils ont été assistés et encadrés par plusieurs
associations et ONG
militantes des droits humains en lutte contre
l’exploitation étrangère
des ressources naturelles
et leur privatisation.
Parmi ces ONG on trouve l’Association pour le Contrat mondial de l’eau (ACME).
Cette interview avec
M. Aziz Latrache, membre du conseil national de cette association, permet d’avoir un aperçu général sur une affaire qui témoigne d’une lutte populaire pour un droit primordial,
en l’occurrence l’eau.
Libé : Que pouvez-vous nous dire de l’affaire Bensmim et de la crise qu’a connue la région après l’installation d’une société qui devrait exploiter les richesses d’eau du village?
Aziz Latrach : La préparation du dossier de la privatisation de la source Bensmim a été entamée depuis 2001 par la Société euro-africaine des Eaux. Après que cette entreprise privée a présenté son étude sur le projet, le gouvernement marocain a signé le partenariat qui permet la construction et l’exploitation d’une unité de production d’eau, et ce pour une durée de 30 ans. Cela devrait menacer la continuité de cette source naturelle d’eau. Ce qu’il faut savoir, c’est que cette source représente le pilier de toute activité économique dans ce village. Ces activités ne sont pas diversifiées mais se limitent à l’agriculture et à l’élevage. Il y a plus de 5.000 têtes de mouton. Ainsi, on peut considérer l’eau comme la base d’existence des populations.
L’Etat estime qu’il a droit à 60% de cette source minérale, contre 40% pour les villageois, en majorité des agriculteurs. Ces derniers ont affirmé que cette source appartient à la Zaouia de Bensmim. Ils confirment ce droit avec une attestation que le Roi feu Mohamed V leur a octroyée à l’occasion d’une visite à ce village. Il est important de souligner aussi que l’entreprise et l’Etat se sont basés sur des informations erronées indiquant que le débit de la source est élevé et que les richesses d’eau sont largement suffisantes pour une double exploitation, en s’appuyant sur des recherches pluviométriques qui datent des années 60 et 70. Alors qu’en réalité, le débit est en pleine régression et ne peut même pas satisfaire les besoins des populations de Bensmim. Pour preuve, les agriculteurs cultivent leurs terres à tour de rôle, puisqu’ils n’ont pas la possibilité d’irriguer toutes leurs propriétés. De plus, tout le monde est convaincu que le Maroc a connu une longue période de sécheresse au cours des trois dernières décennies, et que les pluies des deux années précédentes constituent une exception.
Quelle était la réaction de la population du village Bensmim après cette décision envisageant la privatisation de leur source d’eau? Et quelle était la riposte de la société civile ?
Les citoyens se sont mobilisés et ont exprimé leur colère et le rejet de ce projet de privatisation sans préavis. Ils ont également contacté notre organisation qui leur a apporté aide et soutien avec dévouement et esprit militant. Il y a eu aussi une série de manifestations qui ont été brutalement réprimées par les forces de l’ordre.
De ce fait, de nombreux citoyens ont été arrêtés, entre autres, un homme âgé de plus de soixante-dix ans, le but était de terroriser les gens et les punir. Pourtant, la région de Bensmim a connu une large mobilisation. Ainsi, un grand nombre de manifestations ont été organisées et encadrées par l’Association pour le Contrat Mondial de l’Eau en coordination avec d’autres ONG des droits humains. Cette mobilisation s’est étendue sur tout le territoire marocain, ce qui a donné lieu à des caravanes de solidarité avec la population de Bensmim.
J’aimerais ajouter que notre organisation était à l’origine de la solidarité internationale pour soutenir cette cause, puisque nous avons contacté plusieurs associations internationales et des personnalités influentes dont une parlementaire belge d’origine marocaine, Alima Boumediane qui a envoyé une dépêche à l’ex-Premier ministre Driss Jettou, pour demander l’annulation de la privatisation de la source d’eau Bensmim. C’était après que cette affaire a été présentée et discutée par les députés du Parlement européen. Et dernièrement, à l’occasion de la tenue du Forum Mondial Alternatif de l’Eau qui s’est déroulé en Turquie, nous avons mené une campagne visant à internationaliser cette question et bénéficier du soutien de la société civile mondiale.
Les responsables ont-ils répondu favorablement aux revendications des citoyens et des mouvements sociaux qui ont pris en main cette affaire?
Il est certain que les manifestations et campagnes de solidarité ont constitué une véritable pression sur les autorités locales et centrales. Cette pression s’est accentuée après que cette affaire a été mise en lumière par plusieurs journaux et médias. De plus, cette question est devenue un exemple mondial de la lutte des peuples pour le droit à l’eau et la cause du militantisme contre la privatisation de cette richesse. Il s’agissait d’une leçon en matière de lutte de nos concitoyens à Bensmim contre la marchandisation de cet élément vital et existentiel. Ces efforts ont abouti à l’interruption des activités de l’unité de production jusqu’à aujourd’hui. Alors que le directeur de cette usine avait déjà confirmé que ces activités devaient démarrer dès 2004.
L’Etat, au lieu d’être compréhensible à l’égard des revendications légitimes des citoyens, avait mené une politique de punition intolérable. A titre d’exemple, en vue d’interdire les réunions des habitants, les autorités avaient coupé le courant électrique au mois de Ramadan, ce qui a été considéré comme une grave provocation. Cette punition collective s’est aggravée au point d’interdire le développement de la région, puisqu’aucun projet n’a été réalisé dans ce village, que ce soit dans le cadre de l’INDH ou privé. Signalons aussi que cette région vit dans la misère et la marginalisation.
Que pouvez-vous nous dire de l’entreprise privée qui a signé le contrat avec le gouvernement et comment prévoyez-vous l’avenir de cette cause?
Il y a plusieurs questions qui interpellent toute personne œuvrant à ce sujet. On ne connaît pas réellement quelles sont les parties qui soutiennent et facilitent les procédures légales devant l’entreprise exploitante. Il faut noter que ce projet a été construit sur une propriété publique, et ce contre la volonté des populations et des mouvements sociaux.
C’est aussi une occasion pour dénoncer le soutien étatique flagrant pour cette société, au détriment des droits des citoyens de Bensmim. Il en résulte que l’appareil de l’Etat est toujours contrôlé par les lobbyings des arrivistes et des magnats capitalistes dirigés par le Makhzen économique et le néolibéralisme sauvage.
Il est certain, d’autre part, que la résistance et la lutte des citoyens de Bensmim finiront par la victoire. Cette résistance menée avec l’encadrement des ONG œuvrant dans les domaines de l’écologie et la défense des droits humains sera sans aucun doute fructueuse pour l’avenir du village de Bensmim et la région en général.