Autres articles
-
Moussaoui Ajlaoui : Le comble de l’absurdité, c’est que l’Algérie a deux voix au sein de l’UA, la sienne et celle du polisario qui ne prend jamais le contrepied de son mentor algérien
-
Patrizia d'Antonio : L’écrivain humaniste Alberto Manzi, une figure exceptionnelle qui symbolise à la fois l’éducation, l’unité linguistique et l’humanisme
-
Derguene Mbaye : Les pays africains peuvent beaucoup apprendre de l’expérience du Maroc en matière d'intelligence artificielle
-
Salwa Harif : «La cybersécurité est désormais une préoccupation partagée au Maroc»
-
Sebbari Rachid : Selon les dernières données fournies par l’OMM, c’est une quasi-certitude que la période 2023-2027 sera la plus chaude jamais enregistrée sur terre
«Dakira, Présences marocaines aux Pays-Bas» est le thème d’une exposition itinérante retraçant l’histoire particulière
de l’immigration marocaine aux Pays-Bas. Après Agadir, Tanger, Al Hoceima et Mohammedia, c’est aux Anciens abattoirs de Casablanca que se poursuit ce périple (jusqu’au 15 septembre) qui « permettra aux citoyens des deux pays de porter un regard apaisé sur la réalité des identités contemporaines issues de ces brassages et de mieux cerner le socle de valeurs qui unifie les multiples composantes de cette identité, soulignent
les organisateurs, le Conseil
de la communauté marocaine
à l'étranger (CCME) et l'Association "Dakira". Entretien avec le président de cette dernière Abdellatif Maroufi.
Libé : La présence marocaine aux Pays-Bas remonte officiellement à près d’un demi-siècle. Pourquoi avoir attendu autant d’années pour monter ce projet d’exposition ?
Abdellatif Maroufi : L’histoire se construit sur plusieurs années et l’immigration marocaine aux Pays-Bas ne date que d’environ 40 ans. Même si elle a existé avant les conventions officielles, il était important que cette histoire s’accumule tout comme les archives que nous devions collectionner et traiter avant de les utiliser ou d’envisager une exposition.
On n’aurait pas pu commencer plutôt puisqu’on ne pouvait imaginer que cette immigration serait définitive. D’autant plus que les premiers immigrés marocains n’avaient pas l’intention de rester indéfiniment aux Pays-Bas : ils voulaient juste rassembler un peu d’argent et rentrer chez eux pour monter un petit commerce. D’ailleurs, les autorités hollandaises d’alors les considéraient comme des travailleurs hôtes, « invités », qui n’étaient là que pour une période déterminée.
Vous avez rencontré certains de ces Marocains. Comment ont-ils accueilli votre démarche ?
Ils ont tout de suite adhéré à notre démarche qui les sortait du silence dans lequel ils étaient plongés pendant longtemps. C’est une reconnaissance parce qu’ils faisaient partie de l’histoire sans avoir participé à son écriture.
L’idée était de les rencontrer, de discuter avec eux et leur donner la parole. C’est donc avec joie qu’ils nous ont raconté leurs histoires, comment ils sont arrivés aux Pays-Bas, comment ils ont vécu les premières années, comment ils se sont intégrés, etc. Nous avons même abordé certains sujets tabous, car il faut savoir qu’ils sont partis très jeunes et qu’ils avaient été tentés par certaines dérives.
L’exposition s’intéresse à la période de 1965 à 1975. Pourquoi cette tranche d’histoire ?
Nous nous sommes intéressés à cette période parce que nous comptons monter d’autres projets couvrant les périodes 1975 à 1985 et 1985 à 1995.
Nous avons aussi choisi cette période parce qu’elle se situe avant la grande crise économique des années 1973. C’était le début du regroupement familial massif et bien avant le projet d’installation définitif. Notre idée était de montrer la vie des premiers travailleurs immigrés.
La deuxième période concerne le regroupement familial et la deuxième génération. Alors que la troisième, c’est ce qu’on appellera la période de citoyenneté parce que les Marocains vont finalement décider de rester là-bas, de devenir des citoyens hollandais et vont commencer à réclamer leurs droits. Le Maroc devenant ainsi leur pays d’origine et non un pays où ils résident.
La projection d’un film accompagne cette exposition. Comment s’est déroulée la collaboration avec la télévision hollandaise ? A-t-il été facile de rassembler toutes ces images dans lesquelles on retrouve justement ces premiers immigrants?
J’ai personnellement travaillé à la radio et télévision hollandaise, ce qui a facilité le travail de collecte d’archives, et m’a permis d’obtenir les documents dont j’avais besoin.
Le plus dur était de savoir comment les utiliser, les traiter et les réunir dans un documentaire. La chanson « Passeport vert », d’un immigré marocain, nous a beaucoup aidés à réaliser ce film. C’est une sorte d’hymne à l’immigration chantée dans plusieurs langues et dans de nombreux pays. Elle raconte l’histoire de l’immigré à partir de la démarche pour l’obtention d’un passeport, puisqu’à l’époque ce n’est pas un visa qu’il fallait obtenir. Comment a-t-il pris le bateau; comment quémandait-il pour manger; comment s’organisait-il pour arrondir ses mois?
Quel était le profil des Marocains de cette époque ? Qui étaient-ils, dans quel domaine travaillaient-ils ?
La grande majorité venait des couches sociales basses, des campagnes du Nord du Maroc et des bidonvilles de Hay Mohammadi (carrières centrales) à Casablanca. Ils étaient pour 90% des analphabètes. C’étaient des ouvriers vu que les Européens cherchaient de la main-d’œuvre.
Comment les Hollandais ont-ils réagi à l’idée de cette exposition ?
L’idée a été bien accueillie. Nous avons présenté cette exposition dans quatre villes hollandaises et organisé des débats auxquels les Néerlandais ont pris part. Ce qui leur a permis de découvrir cette histoire migratoire et de se faire une idée bien éloignée de l’islamisme et du radicalisme distillé un peu partout. Ils ont pu apprécier la contribution de ces immigrés à l’édification de l’économie néerlandaise.
Quelle image le citoyen hollandais a-t-il aujourd’hui des Marocains ?
C’est difficile d’en parler vu qu’on est dans une période non pas d’intégration mais de citoyenneté. Et sur ce point, nul n’ignore que dans toute immigration qui soit, il y a toujours confrontation quand on veut s’intégrer : l’immigré se demande comment va-t-il s’intégrer alors que celui qui l’accueille s’interroge sur son devenir. Cette question est d’autant plus fondamentale qu’on est dans un pays à l’origine déjà petit.
Mais je pense que les Marocains doivent prendre conscience que leur présence en dehors du Maroc est un privilège. Et qu’ils doivent savoir s’ouvrir aussi à d’autres cultures et ne pas rester enfermés.
Sur ce point, je pense que le Maroc doit à son tour s’ouvrir dès lors qu’il est devenu un pays d’immigration des Africains et d’autres. Il doit offrir à ces gens ce que les siens réclament à l’étranger. Et pas seulement demander aux Européens de bien accueillir ses citoyens et ne pas faire autant pour les immigrés qui sont chez lui.
Le Maroc doit être un modèle s’il veut que ses citoyens soient respectés ailleurs. Parce que le respect de l’être humain commence chez soi.
Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la richesse des Néerlandais d’origine marocaine?
Leur richesse, c’est leur dynamique que l’on retrouve dans la santé, la littérature et les arts. Par exemple, 10% de nouveaux écrivains recensés chaque année en Hollande sont d’origine marocaine. Ce sont des écrivains néerlandais d’origine marocaine qui maîtrisent la langue néerlandaise mieux que les Néerlandais eux-mêmes.
Les Marocains doivent profiter de cette richesse mais en même temps, le Maroc doit s’ouvrir davantage si l’on veut que la culture marocaine devienne universelle.
de l’immigration marocaine aux Pays-Bas. Après Agadir, Tanger, Al Hoceima et Mohammedia, c’est aux Anciens abattoirs de Casablanca que se poursuit ce périple (jusqu’au 15 septembre) qui « permettra aux citoyens des deux pays de porter un regard apaisé sur la réalité des identités contemporaines issues de ces brassages et de mieux cerner le socle de valeurs qui unifie les multiples composantes de cette identité, soulignent
les organisateurs, le Conseil
de la communauté marocaine
à l'étranger (CCME) et l'Association "Dakira". Entretien avec le président de cette dernière Abdellatif Maroufi.
Libé : La présence marocaine aux Pays-Bas remonte officiellement à près d’un demi-siècle. Pourquoi avoir attendu autant d’années pour monter ce projet d’exposition ?
Abdellatif Maroufi : L’histoire se construit sur plusieurs années et l’immigration marocaine aux Pays-Bas ne date que d’environ 40 ans. Même si elle a existé avant les conventions officielles, il était important que cette histoire s’accumule tout comme les archives que nous devions collectionner et traiter avant de les utiliser ou d’envisager une exposition.
On n’aurait pas pu commencer plutôt puisqu’on ne pouvait imaginer que cette immigration serait définitive. D’autant plus que les premiers immigrés marocains n’avaient pas l’intention de rester indéfiniment aux Pays-Bas : ils voulaient juste rassembler un peu d’argent et rentrer chez eux pour monter un petit commerce. D’ailleurs, les autorités hollandaises d’alors les considéraient comme des travailleurs hôtes, « invités », qui n’étaient là que pour une période déterminée.
Vous avez rencontré certains de ces Marocains. Comment ont-ils accueilli votre démarche ?
Ils ont tout de suite adhéré à notre démarche qui les sortait du silence dans lequel ils étaient plongés pendant longtemps. C’est une reconnaissance parce qu’ils faisaient partie de l’histoire sans avoir participé à son écriture.
L’idée était de les rencontrer, de discuter avec eux et leur donner la parole. C’est donc avec joie qu’ils nous ont raconté leurs histoires, comment ils sont arrivés aux Pays-Bas, comment ils ont vécu les premières années, comment ils se sont intégrés, etc. Nous avons même abordé certains sujets tabous, car il faut savoir qu’ils sont partis très jeunes et qu’ils avaient été tentés par certaines dérives.
L’exposition s’intéresse à la période de 1965 à 1975. Pourquoi cette tranche d’histoire ?
Nous nous sommes intéressés à cette période parce que nous comptons monter d’autres projets couvrant les périodes 1975 à 1985 et 1985 à 1995.
Nous avons aussi choisi cette période parce qu’elle se situe avant la grande crise économique des années 1973. C’était le début du regroupement familial massif et bien avant le projet d’installation définitif. Notre idée était de montrer la vie des premiers travailleurs immigrés.
La deuxième période concerne le regroupement familial et la deuxième génération. Alors que la troisième, c’est ce qu’on appellera la période de citoyenneté parce que les Marocains vont finalement décider de rester là-bas, de devenir des citoyens hollandais et vont commencer à réclamer leurs droits. Le Maroc devenant ainsi leur pays d’origine et non un pays où ils résident.
La projection d’un film accompagne cette exposition. Comment s’est déroulée la collaboration avec la télévision hollandaise ? A-t-il été facile de rassembler toutes ces images dans lesquelles on retrouve justement ces premiers immigrants?
J’ai personnellement travaillé à la radio et télévision hollandaise, ce qui a facilité le travail de collecte d’archives, et m’a permis d’obtenir les documents dont j’avais besoin.
Le plus dur était de savoir comment les utiliser, les traiter et les réunir dans un documentaire. La chanson « Passeport vert », d’un immigré marocain, nous a beaucoup aidés à réaliser ce film. C’est une sorte d’hymne à l’immigration chantée dans plusieurs langues et dans de nombreux pays. Elle raconte l’histoire de l’immigré à partir de la démarche pour l’obtention d’un passeport, puisqu’à l’époque ce n’est pas un visa qu’il fallait obtenir. Comment a-t-il pris le bateau; comment quémandait-il pour manger; comment s’organisait-il pour arrondir ses mois?
Quel était le profil des Marocains de cette époque ? Qui étaient-ils, dans quel domaine travaillaient-ils ?
La grande majorité venait des couches sociales basses, des campagnes du Nord du Maroc et des bidonvilles de Hay Mohammadi (carrières centrales) à Casablanca. Ils étaient pour 90% des analphabètes. C’étaient des ouvriers vu que les Européens cherchaient de la main-d’œuvre.
Comment les Hollandais ont-ils réagi à l’idée de cette exposition ?
L’idée a été bien accueillie. Nous avons présenté cette exposition dans quatre villes hollandaises et organisé des débats auxquels les Néerlandais ont pris part. Ce qui leur a permis de découvrir cette histoire migratoire et de se faire une idée bien éloignée de l’islamisme et du radicalisme distillé un peu partout. Ils ont pu apprécier la contribution de ces immigrés à l’édification de l’économie néerlandaise.
Quelle image le citoyen hollandais a-t-il aujourd’hui des Marocains ?
C’est difficile d’en parler vu qu’on est dans une période non pas d’intégration mais de citoyenneté. Et sur ce point, nul n’ignore que dans toute immigration qui soit, il y a toujours confrontation quand on veut s’intégrer : l’immigré se demande comment va-t-il s’intégrer alors que celui qui l’accueille s’interroge sur son devenir. Cette question est d’autant plus fondamentale qu’on est dans un pays à l’origine déjà petit.
Mais je pense que les Marocains doivent prendre conscience que leur présence en dehors du Maroc est un privilège. Et qu’ils doivent savoir s’ouvrir aussi à d’autres cultures et ne pas rester enfermés.
Sur ce point, je pense que le Maroc doit à son tour s’ouvrir dès lors qu’il est devenu un pays d’immigration des Africains et d’autres. Il doit offrir à ces gens ce que les siens réclament à l’étranger. Et pas seulement demander aux Européens de bien accueillir ses citoyens et ne pas faire autant pour les immigrés qui sont chez lui.
Le Maroc doit être un modèle s’il veut que ses citoyens soient respectés ailleurs. Parce que le respect de l’être humain commence chez soi.
Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la richesse des Néerlandais d’origine marocaine?
Leur richesse, c’est leur dynamique que l’on retrouve dans la santé, la littérature et les arts. Par exemple, 10% de nouveaux écrivains recensés chaque année en Hollande sont d’origine marocaine. Ce sont des écrivains néerlandais d’origine marocaine qui maîtrisent la langue néerlandaise mieux que les Néerlandais eux-mêmes.
Les Marocains doivent profiter de cette richesse mais en même temps, le Maroc doit s’ouvrir davantage si l’on veut que la culture marocaine devienne universelle.