En France, des étudiants de Gaza en exil rêvent d'une nouvelle vie


Libé
Jeudi 9 Janvier 2025

Malgré l'exil, "je suis toujours à Gaza": hantés par la guerre, Asem et Mohammed, deux étudiants palestiniens accueillis en France depuis l'automne 2024, racontent leur expérience traumatisante et leur rêve encore flou d'une nouvelle vie.

Il y a quelques mois encore, Asem Abuzarifa, 25 ans, soignait ses compatriotes à l'hôpital Al-Chifa, l'un des principaux de Gaza, où il a exercé en tant qu'interne, dans des conditions de médecine de guerre.

"Nous devions gérer beaucoup de patients (...) Nous n'étions pas préparés à cette situation. On manquait de matériel, de médicaments. Parmi les blessés, il y avait beaucoup d'enfants. Les gens se plaignaient qu'ils manquaient de tout", se souvient-il dans un entretien à l'AFP.
Le jeune homme à l'allure impeccable et au sourire contagieux est l'un des quatre étudiants gazaouis qui ont rejoint à la rentrée l'université de Lille, dans le nord de la France.

Au total, 32 étudiants de Gaza sont arrivés en France depuis l'été dernier via un "couloir universitaire", un dispositif d'accueil d'étudiants en demande de protection internationale, explique Emmanuelle Jourdan-Chartier, vice-présidente de la vie étudiante de l'université de Lille.

Outre Al-Chifa, visé par des opérations militaires israéliennes critiquées par des ONG internationales et l'ONU, Asem a aussi travaillé quelques mois dans un hôpital à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, avant de décrocher son diplôme. Il part ensuite au Caire, avec l'idée de s'expatrier pour réaliser son rêve de devenir cardiologue.

Là, il tombe sur une annonce en ligne d'une bourse française ouverte aux étudiants de Gaza. Trois semaines plus tard, sa candidature est acceptée, il obtient son visa puis débarque en France. Sa première nuit dans sa chambre universitaire, enfin en sécurité et au calme, a été "l'un des plus beaux moments" de sa vie, dit-il.

A Lille, Asem a pris ses distances avec l'actualité du Proche-Orient et les réseaux sociaux. "C'est peut-être un mécanisme de défense", pense-t-il.

Le jeune médecin garde cependant le contact avec sa famille et ses amis: "Ils me manquent tous". Et quand il évoque son frère jumeau resté en Egypte, il fond en larmes, tant son absence lui pèse.

Mohammed Alaloul, 22 ans, un autre Gazaoui accueilli à Lille, peine également à masquer son traumatisme de la guerre, qui l'a contraint à arrêter ses études en finances.
Lui aussi est passé par Al-Chifa, comme brancardier, au début de la guerre contre Israël.

"Ma famille est partie vers le sud (de la bande de Gaza, NDLR) et je suis resté dans le nord parce que je sentais que l'hôpital avait besoin de bénévoles", explique-t-il.
"J'ai vu des scènes horribles. J'ai vu la mort de mes propres yeux, mais en même temps j'étais déterminé à sauver" des vies.

Mohammed tient quelques mois, puis part à son tour vers le Sud. Dans un camp de réfugiés, il anime des ateliers de dabké, une danse traditionnelle en Palestine, pour "ramener de la joie dans ce malheur". "Il fallait faire quelque chose pour les enfants surtout, pour qu'on puisse vivre dans le présent".

"Je marchais chaque jour 6 à 8 km pour arriver à ce camp de réfugiés" parfois pour "juste danser avec les enfants (...). Il n'y avait pas d'électricité, pas d'eau, et la danse restait possible".
En avril 2024, nouveau départ, cette fois pour Le Caire. Lui aussi décroche là-bas la bourse d'étude du gouvernement français.

Il se reconstruit désormais loin de sa famille, dont une partie est en Egypte, l'autre toujours à Gaza. "Je sais ce qu'ils ont survécu (...), j'y pense chaque jour".
Pendant quatre semestres, les étudiants gazaouis suivront des cours de français avant de pouvoir éventuellement raccrocher avec des études en France.

Mohammed veut d'abord se concentrer sur l'apprentissage du français avant de réfléchir aux prochaines étapes. Il a aussi décroché une bourse pour une résidence artistique en Avignon cette année, afin d'y monter un spectacle de dabké.

Mais si Gaza redevient un jour "vivable, alors j'y retournerais certainement", affirme-t-il. "Je suis toujours à Gaza, je suis parti mais c'est comme si je vivais toujours à Gaza".


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