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La municipalité El Bhalil, située à 4 km de Sefrou et 25 km de Fès, compte parmi les zones défavorisées du « Maroc profond ». Une tournée effectuée dans ce grand village est à même de confirmer cette réalité. Malgré la beauté des paysages, malgré le charme de la nature composée d’un ensemble de montagnes, de rivières et de sources d’eau inépuisables, ainsi que les différents conseils communaux qui se sont succédé au village ces dernières années n’ont pas su exploiter positivement ces potentiels économiques et environnementaux afin de favoriser un développement durable qui pourrait sortir les populations d’une misère qui accable une bonne partie d’entre elles. De leur côté, les richesses économiques, notamment les terres destinées aux activités agricoles et les carrières de sable importantes qui encerclent cette petite ville ne participent en aucun cas au développement économique et social d’El Bhalil.
Quant à la jeunesse, locomotive de développement et de modernisation dans toute société, elle vit dans une situation calamiteuse et ne pense qu’à l’exode. Pourtant, la jeunesse bahloulie, comme celle du Maroc, rêve d’une situation meilleure. Un rêve qui ne peut se réaliser en l’absence de l’encadrement politique et associatif qui fait grand défaut, et en l’absence des initiatives permettant la revalorisation et la qualification du potentiel humain.
Quelle est la situation socio-économique de ce grand village oublié aux fins fonds du Maroc ? Quelle est la situation de la jeunesse Bahloulie ? Quels sont les obstacles interdisant le développement du village ? Quelles pourraient être les solutions pour la crise structurale que connait cette région défavorisée ? Ce reportage tâchera de revenir sur ces questions en présentant un état des lieux tout en ayant recours à des illustrations concrètes.
Comme dans la plupart des régions « semi-rurales » marocaines, les jeunes Bahloulis vivent dans une situation critique. La première difficulté que rencontrent ces jeunes est l’accès au travail. « Ce que je revendique, c’est un poste de travail avec un salaire ou bien une rémunération simple et modeste » témoigne Omar Merouni, un jeune diplômé. Devant l’absence flagrante des projets de développement économique, et devant l’absence des petites et moyennes entreprises ayant pour objectif de créer une dynamique économique et des postes de travail, le taux de chômage devient de plus en plus élevé au sein de cette jeunesse. Ce qui pousse un bon nombre de jeunes à quitter cette petite cité pour aller chercher du travail dans les grandes villes accaparant l’activité industrielle marocaine, notamment Casablanca, Fès et Tanger. Pourtant, il y a six ans, une usine de pâtisserie a été installée aux environs de la ville. Plus de trois cents jeunes Bahloulis y travaillaient. Or, cette usine a été fermée et déplacée à la commune Bensouda, aux environs de Fès. Selon quelques anciens travailleurs, « c’est le conseil municipal et le conseil régional qui ont été derrière ce transfert». Cette usine a été remplacée par un atelier de textile, qui, a son tour, a été fermé, causant à des centaines de jeunes chômeurs. Cela a conduit Abdeaziz Kayoum, jeune Bahlouli et étudiant en sociologie à la faculté des lettres et des sciences humaines de Fès, à conclure qu’il s’agit d’une véritable politique « de punition et de sanction envers les habitants, due à des causes politiques historiques ». Cela laisse croire à ce que les responsables ne veulent plus que la petite ville El Bhalil se transformerait à une zone industrielle, chose qui engendrera un accroissement des populations et une large urbanisation qui nécessitera une bonne gestion ainsi que des efforts considérables. Selon Adil Haraoui, jeune diplômé en développement informatique, « la principale activité des jeunes consiste à passer le temps dans des cafés à fumer librement de la drogue ». D’ailleurs, une petite tournée dans les cafés, qui foisonnent d’une façon étrange, peut confirmer cet état de fait. Ils sont par centaines à passer une bonne partie de la journée dans des cafés, souvent modestes, avec une consommation qui ne dépasse pas les 4DH. Beaucoup de jeunes fument le cannabis sans manifester aucune crainte face à la police. Les distributeurs du cannabis sont très actifs dans la petite ville. Ils importent des quantités moyennes du hachich d’un village qui s’appelle Hamman Ben EL Haj, se situant aux environ de Fès, et cela après que ces quantités sont introduites de Kettama, région très connue par la production du cannabis au nord du Maroc. « Devant la misère, l’oisiveté et le chômage, les jeunes ne trouvent refuge que dans le hachich » indique Nizar Chabbou, un jeune chômeur. « Cela permet aux jeunes d’oublier un peu leur réalité épineuse »ajoute-t-il avec un air à la fois soucieux et engagé.
Cette oisiveté qui a interpellé le jeune Nizar est flagrante dans la ville. Les activités culturelles, sportives, artistiques et politiques sont quasi-inexistantes. D’ailleurs, la ville qui compte 20 000 habitants, ne compte ni salle de cinéma, ni théâtre, ni bibliothèque, ni musée, ni salle de sport polyvalente… la seule maison des jeunes qui existe, est souvent fermée. Et comme indique Boussif, jeune associatif, « seul le directeur est actif dans cette maison des jeunes jamais fréquentée par les jeunes ». Ces derniers sont attirés par les cafés et les salles de billards où se consomme la drogue d’une façon manifeste.
Une société civile incapable d’encadrer les citoyens Bahloulis
Deux associations sont aujourd’hui actives à El Bhalil. Il s’agit de la section El Bhalil de l’Association Marocaine de l’Education de la Jeunesse (AMEJ), et la section El Bhalil de l’UNESCO. Cette dernière a été créée en octobre 2007. Pour l’AMEJ, elle a joué un rôle primordial dans l’encadrement de la jeunesse dans la municipalité depuis plusieurs années. Malgré les problèmes qui touchent le bon fonctionnement de cette association, « l’AMEJ reste une grande école qui a permis l’encadrement et la formation de toute une génération de jeunes Bahloulis » déclare Hamid, un acteur associatif. Parmi les difficultés accablant l’Association, on trouve le manque de recettes financières. D’ailleurs, le conseil municipal n’a octroyé aux deux associations qu’une somme modeste ne dépassant pas les 1500 DH au nom de l’année budgétaire 2008. « C’est ridicule, c’est du vol » affirme un jeune associatif Bahlouli. De l’autre côté, la section de l’UNESCO El Bhalil, bénéficie d’une bonne subvention de fonds étrangers, notamment des institutions espagnoles. D’ailleurs, cette section possède déjà un siège bien équipé qui pourrait abriter les différentes activités. Lors d’une rencontre avec Abdelatif Achabi, membre du bureau exécutif de l’association, on a appris que les activités de cette section de l’UNESCO se focalisent uniquement sur l’art culinaire et l’organisation de quelques soirées festives au profit des enfants.
Un acteur associatif nous a indiqué qu’il y a plusieurs causes qui participent à la détérioration de l’action de la société civile à Bhalil. Entre autres, on cite l’état déplorable de la seule maison des jeunes existant dans le village. Une maison des jeunes qui reste inexploitée pendant plusieurs années, et où loge un fonctionnaire du ministère de la Jeunesse et des Sports. On peut citer également le manque de communication et collaboration entre le conseil municipal et la préfecture d’une part et la société civile active dans la région d’autre part. « Dans une rencontre avec les membres du bureau exécutif UNESCO/El Bhalil, l’ancien gouverneur de la ville de Sefrou Mohamed Allouch, actuel gouverneur de la ville El Hajeb, a refusé de coopérer avec notre association, tout en traitant les habitants d’El Bhalil de rebelles qui ont été derrière le déclenchement des événements de Sefrou, l’été 2008 » affirme Abdelatif Achabi.
Dans le quartier Lamssila, une nouvelle maison des enfants et adolescents abandonnés par leurs familles a vu le jour. Il s’agit d’un projet social initié par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de l’Initiative nationale du développement humain (INDH). Un projet élaboré dans le village sans que les Bahloulis ne sachent en quoi il va servir leurs intérêts. D’ailleurs, ce sont des enfants et adolescents provenant d’autres villes et régions lointaines du Maroc qui en profitent. Ils sont au nombre de 14. Ils étaient tout d’abord abrités par le centre Lalla Meryem de Ben Slimane avant qu’ils soient transférés à ce nouveau local de Bhalil. Lors d’une visite à ce centre, les bénéficiaires nous ont affirmé que leur situation est dégradante, vu leurs habits malpropres, voire crasseux, qu’ils portent.« Cela fait plus d’un mois que je n’ai pas changé mes haillons », affirme le jeune Anouar El Mouzni. Les souffrances de ces adolescents sont multiples. Entre autres on peut remarquer que la nourriture est constamment insuffisante, ce qui pousse ces jeunes, selon l’acteur associatif Aziz El Gaadaoui, ainsi que la majorité des jeunes bénéficiaires que nous avons rencontrés, à aller demander aux familles habitant les maisons et villas avoisinantes de leur donner à manger. De son côté, le jeune adolescent Monsif indique que les douches sont souvent fermées, ce qui les pousse à se baigner dans les toilettes avec de l’eau froide. Malgré les difficultés que connaît le champ associatif dans cette petite ville, de nouvelles associations commencent à voir le jour. Ainsi, la section de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme a composé son bureau exécutif il y a quelques mois d’ici. Selon Aziz El Gaadaoui, membre de l’AMDH, « cette nouvelle initiative devrait participer au développement de l’esprit militant chez les jeunes, et promouvoir les valeurs de la lutte contre la fraude et la mauvaise gestion de la chose publique ».
Une économie diversifiée,
mais peu productive
Le souk hebdomadaire du mercredi constitue, un événement important dans la vie des Bahloulis
Chaque mercredi, tôt le matin, des centaines de citoyens Bahloulis et d’autres visiteurs et vendeurs venant de Fès, Sefrou et la région, envahissent un grand espace destiné aux activités commerciales dans le quartier Mssila. Ce jour représente un événement tant attendu pour les petits agriculteurs de la région qui viennent exposer leurs fruits et légumes transportés depuis leurs champs. Souvent, la marchandise est abondante. On peut remarquer aussi que ce Souk est bien organisé malgré l’absence de plusieurs infrastructures. Pour le conseil municipal, il s’agit d’une véritable source financière. D’ailleurs, des garages publics sont loués aux bouchers contre une somme de 100 DH. S’ajoutent à cela des impôts supplémentaires relatifs à l’exploitation des abattoirs. Les vendeurs nombreux payent également entre 02 et 07 Dh la place.
La saison de la récolte des olives dure environ trois mois de l’année. Cette période est tant attendue par les bahloulis, notamment les femmes et les jeunes. Ces derniers travaillent dans la cueillette et l’arrachage des olives, ainsi qu’à la transformation de l’huile d’olive. Les ouvriers saisonniers sont transportés tôt chaque matin par camions vers les champs. Souvent il fait froid, et, parfois, il neige. Ils sont payés entre 50 et 200 DH la journée. Le prix varie selon les tâches à exécuter. Lors de cette saison, les enfants, de leur part, participent à la récolte et subissent la dureté du climat.
Les carrières, un secteur économique important qui menace El Bhalil
A une distance d’un Km et demi de Bhalil se situent les premières Carrières qui entourent El Bhalil. Elles sont au nombre de 15 et dépendaient au départ de Bhalil avant leur transfert par la suite à la municipalité d’Aghbalou Kourar environ 22Km des Carrières). Le transfert ici concerne la manne fiscale, alors que c’est Bhalil qui subit les catastrophes écologiques et économiques engendrées par les carrières.
El Bhalil, se situant géographiquement aux avant-postes de ces carrières, subit des dégâts considérables. Plus de 250 hectares d’oliveraies ont été détruits par la poussière provoquée par ces carrières géantes (qui sont en réalité des fabriques, puisque le sable entre dans un processus de fabrication et de transformation après son extraction, et cela par de gros engins mis sur place). De plus, ce village, qui a remporté lors des années 80 la médaille d’or de la propreté, vit aujourd’hui sous l’effet de la pollution causée par le fracas des 2 000 semi-remorques qui circulent quotidiennement sur ses routes. Cela a donné lieu, selon une source médicale, à des maladies respiratoires, des allergies et d’autres touchant les yeux des citoyens. Derechef, les routes goudronnées du village sont, aujourd’hui, toutes défectueuses sous le poids de ces camions transporteurs de centaines de tonnes de sable, ce qui constitue une véritable tracasserie pour les automobilistes. Pourtant, ces carrières n’accordent plus de recettes financières au conseil municipal. Un conseil pauvre, puisque son budget annuel ne dépasse pas les 800 millions de centimes !
L’exploitation des domaines terriens par les carrières se fait d’une façon effrénée et abusive. Plusieurs exploitants, ayant creusé les montagnes, ont commencé à atteindre la terre jusqu’à ce que l’eau remonte à la surface. « Cela permet au moins aux enfants et aux jeunes d’aller se baigner dans des « piscines naturelles », creusées par ces magnats rentiers » déclare avec un ton ironique Bouhmala Abdelhaq, acteur associatif. Les calamités écologiques causées par ces carrières sont nombreuses de plus en plus graves. Un rapport publié par Al Ittihad Ichtiraki en juin 2007 indique que des matières chimiques hydro-carboniques pénètrent dans la nappe phréatique au dessous du village. Le même rapport indique que des explosifs sont utilisés à des fins d’exploitation minière. Ces carrières sont aujourd’hui en train d’affecter l’agriculture et l’écologie du village sans offrir aucune plus-value. D’ailleurs, la main d’œuvre est de plus en plus délaissée au détriment des machines géantes qui remplacent les centaines d’ouvriers chômeurs qui pratiquent d’autres métiers informels. Pourtant, les mêmes ouvriers qui travaillent encore dans ces carrières souffrent des conditions de travail difficiles sans contrats légaux, et ne bénéficient d’aucune couverture médicale ou sociale. Ils sont payés entre 50 et 60 DH le jour, et peuvent être mis à la porte à n’importe quel moment. En plus ils sont interdits d’exercer leur droit syndical. Pourtant, il y a des conducteurs des engins et camions qui sont mieux payés (entre 2.500 et 3.000DH par mois). Le grand village El Bhalil, quelles que soient les circonstances, par sa nature splendide, ses vergers sauvages beaux et étendus, ses habitants accueillants, ses anciennes maisons et authentiques, vit aujourd’hui sur les rythmes de la déchéance. Rien n’a changé positivement pendant ces dernières années. Et au lieu d’élire démocratiquement un conseil municipal engagé et capable de réanimer la situation socio-économique du village, les citoyens se sont contentés de l’absentéisme lors des dernières élections communales. Ils étaient 6 539 sur les listes des électeurs. Seulement 30% d’entre eux ont voté.
Quant à la jeunesse, locomotive de développement et de modernisation dans toute société, elle vit dans une situation calamiteuse et ne pense qu’à l’exode. Pourtant, la jeunesse bahloulie, comme celle du Maroc, rêve d’une situation meilleure. Un rêve qui ne peut se réaliser en l’absence de l’encadrement politique et associatif qui fait grand défaut, et en l’absence des initiatives permettant la revalorisation et la qualification du potentiel humain.
Quelle est la situation socio-économique de ce grand village oublié aux fins fonds du Maroc ? Quelle est la situation de la jeunesse Bahloulie ? Quels sont les obstacles interdisant le développement du village ? Quelles pourraient être les solutions pour la crise structurale que connait cette région défavorisée ? Ce reportage tâchera de revenir sur ces questions en présentant un état des lieux tout en ayant recours à des illustrations concrètes.
Comme dans la plupart des régions « semi-rurales » marocaines, les jeunes Bahloulis vivent dans une situation critique. La première difficulté que rencontrent ces jeunes est l’accès au travail. « Ce que je revendique, c’est un poste de travail avec un salaire ou bien une rémunération simple et modeste » témoigne Omar Merouni, un jeune diplômé. Devant l’absence flagrante des projets de développement économique, et devant l’absence des petites et moyennes entreprises ayant pour objectif de créer une dynamique économique et des postes de travail, le taux de chômage devient de plus en plus élevé au sein de cette jeunesse. Ce qui pousse un bon nombre de jeunes à quitter cette petite cité pour aller chercher du travail dans les grandes villes accaparant l’activité industrielle marocaine, notamment Casablanca, Fès et Tanger. Pourtant, il y a six ans, une usine de pâtisserie a été installée aux environs de la ville. Plus de trois cents jeunes Bahloulis y travaillaient. Or, cette usine a été fermée et déplacée à la commune Bensouda, aux environs de Fès. Selon quelques anciens travailleurs, « c’est le conseil municipal et le conseil régional qui ont été derrière ce transfert». Cette usine a été remplacée par un atelier de textile, qui, a son tour, a été fermé, causant à des centaines de jeunes chômeurs. Cela a conduit Abdeaziz Kayoum, jeune Bahlouli et étudiant en sociologie à la faculté des lettres et des sciences humaines de Fès, à conclure qu’il s’agit d’une véritable politique « de punition et de sanction envers les habitants, due à des causes politiques historiques ». Cela laisse croire à ce que les responsables ne veulent plus que la petite ville El Bhalil se transformerait à une zone industrielle, chose qui engendrera un accroissement des populations et une large urbanisation qui nécessitera une bonne gestion ainsi que des efforts considérables. Selon Adil Haraoui, jeune diplômé en développement informatique, « la principale activité des jeunes consiste à passer le temps dans des cafés à fumer librement de la drogue ». D’ailleurs, une petite tournée dans les cafés, qui foisonnent d’une façon étrange, peut confirmer cet état de fait. Ils sont par centaines à passer une bonne partie de la journée dans des cafés, souvent modestes, avec une consommation qui ne dépasse pas les 4DH. Beaucoup de jeunes fument le cannabis sans manifester aucune crainte face à la police. Les distributeurs du cannabis sont très actifs dans la petite ville. Ils importent des quantités moyennes du hachich d’un village qui s’appelle Hamman Ben EL Haj, se situant aux environ de Fès, et cela après que ces quantités sont introduites de Kettama, région très connue par la production du cannabis au nord du Maroc. « Devant la misère, l’oisiveté et le chômage, les jeunes ne trouvent refuge que dans le hachich » indique Nizar Chabbou, un jeune chômeur. « Cela permet aux jeunes d’oublier un peu leur réalité épineuse »ajoute-t-il avec un air à la fois soucieux et engagé.
Cette oisiveté qui a interpellé le jeune Nizar est flagrante dans la ville. Les activités culturelles, sportives, artistiques et politiques sont quasi-inexistantes. D’ailleurs, la ville qui compte 20 000 habitants, ne compte ni salle de cinéma, ni théâtre, ni bibliothèque, ni musée, ni salle de sport polyvalente… la seule maison des jeunes qui existe, est souvent fermée. Et comme indique Boussif, jeune associatif, « seul le directeur est actif dans cette maison des jeunes jamais fréquentée par les jeunes ». Ces derniers sont attirés par les cafés et les salles de billards où se consomme la drogue d’une façon manifeste.
Une société civile incapable d’encadrer les citoyens Bahloulis
Deux associations sont aujourd’hui actives à El Bhalil. Il s’agit de la section El Bhalil de l’Association Marocaine de l’Education de la Jeunesse (AMEJ), et la section El Bhalil de l’UNESCO. Cette dernière a été créée en octobre 2007. Pour l’AMEJ, elle a joué un rôle primordial dans l’encadrement de la jeunesse dans la municipalité depuis plusieurs années. Malgré les problèmes qui touchent le bon fonctionnement de cette association, « l’AMEJ reste une grande école qui a permis l’encadrement et la formation de toute une génération de jeunes Bahloulis » déclare Hamid, un acteur associatif. Parmi les difficultés accablant l’Association, on trouve le manque de recettes financières. D’ailleurs, le conseil municipal n’a octroyé aux deux associations qu’une somme modeste ne dépassant pas les 1500 DH au nom de l’année budgétaire 2008. « C’est ridicule, c’est du vol » affirme un jeune associatif Bahlouli. De l’autre côté, la section de l’UNESCO El Bhalil, bénéficie d’une bonne subvention de fonds étrangers, notamment des institutions espagnoles. D’ailleurs, cette section possède déjà un siège bien équipé qui pourrait abriter les différentes activités. Lors d’une rencontre avec Abdelatif Achabi, membre du bureau exécutif de l’association, on a appris que les activités de cette section de l’UNESCO se focalisent uniquement sur l’art culinaire et l’organisation de quelques soirées festives au profit des enfants.
Un acteur associatif nous a indiqué qu’il y a plusieurs causes qui participent à la détérioration de l’action de la société civile à Bhalil. Entre autres, on cite l’état déplorable de la seule maison des jeunes existant dans le village. Une maison des jeunes qui reste inexploitée pendant plusieurs années, et où loge un fonctionnaire du ministère de la Jeunesse et des Sports. On peut citer également le manque de communication et collaboration entre le conseil municipal et la préfecture d’une part et la société civile active dans la région d’autre part. « Dans une rencontre avec les membres du bureau exécutif UNESCO/El Bhalil, l’ancien gouverneur de la ville de Sefrou Mohamed Allouch, actuel gouverneur de la ville El Hajeb, a refusé de coopérer avec notre association, tout en traitant les habitants d’El Bhalil de rebelles qui ont été derrière le déclenchement des événements de Sefrou, l’été 2008 » affirme Abdelatif Achabi.
Dans le quartier Lamssila, une nouvelle maison des enfants et adolescents abandonnés par leurs familles a vu le jour. Il s’agit d’un projet social initié par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de l’Initiative nationale du développement humain (INDH). Un projet élaboré dans le village sans que les Bahloulis ne sachent en quoi il va servir leurs intérêts. D’ailleurs, ce sont des enfants et adolescents provenant d’autres villes et régions lointaines du Maroc qui en profitent. Ils sont au nombre de 14. Ils étaient tout d’abord abrités par le centre Lalla Meryem de Ben Slimane avant qu’ils soient transférés à ce nouveau local de Bhalil. Lors d’une visite à ce centre, les bénéficiaires nous ont affirmé que leur situation est dégradante, vu leurs habits malpropres, voire crasseux, qu’ils portent.« Cela fait plus d’un mois que je n’ai pas changé mes haillons », affirme le jeune Anouar El Mouzni. Les souffrances de ces adolescents sont multiples. Entre autres on peut remarquer que la nourriture est constamment insuffisante, ce qui pousse ces jeunes, selon l’acteur associatif Aziz El Gaadaoui, ainsi que la majorité des jeunes bénéficiaires que nous avons rencontrés, à aller demander aux familles habitant les maisons et villas avoisinantes de leur donner à manger. De son côté, le jeune adolescent Monsif indique que les douches sont souvent fermées, ce qui les pousse à se baigner dans les toilettes avec de l’eau froide. Malgré les difficultés que connaît le champ associatif dans cette petite ville, de nouvelles associations commencent à voir le jour. Ainsi, la section de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme a composé son bureau exécutif il y a quelques mois d’ici. Selon Aziz El Gaadaoui, membre de l’AMDH, « cette nouvelle initiative devrait participer au développement de l’esprit militant chez les jeunes, et promouvoir les valeurs de la lutte contre la fraude et la mauvaise gestion de la chose publique ».
Une économie diversifiée,
mais peu productive
Le souk hebdomadaire du mercredi constitue, un événement important dans la vie des Bahloulis
Chaque mercredi, tôt le matin, des centaines de citoyens Bahloulis et d’autres visiteurs et vendeurs venant de Fès, Sefrou et la région, envahissent un grand espace destiné aux activités commerciales dans le quartier Mssila. Ce jour représente un événement tant attendu pour les petits agriculteurs de la région qui viennent exposer leurs fruits et légumes transportés depuis leurs champs. Souvent, la marchandise est abondante. On peut remarquer aussi que ce Souk est bien organisé malgré l’absence de plusieurs infrastructures. Pour le conseil municipal, il s’agit d’une véritable source financière. D’ailleurs, des garages publics sont loués aux bouchers contre une somme de 100 DH. S’ajoutent à cela des impôts supplémentaires relatifs à l’exploitation des abattoirs. Les vendeurs nombreux payent également entre 02 et 07 Dh la place.
La saison de la récolte des olives dure environ trois mois de l’année. Cette période est tant attendue par les bahloulis, notamment les femmes et les jeunes. Ces derniers travaillent dans la cueillette et l’arrachage des olives, ainsi qu’à la transformation de l’huile d’olive. Les ouvriers saisonniers sont transportés tôt chaque matin par camions vers les champs. Souvent il fait froid, et, parfois, il neige. Ils sont payés entre 50 et 200 DH la journée. Le prix varie selon les tâches à exécuter. Lors de cette saison, les enfants, de leur part, participent à la récolte et subissent la dureté du climat.
Les carrières, un secteur économique important qui menace El Bhalil
A une distance d’un Km et demi de Bhalil se situent les premières Carrières qui entourent El Bhalil. Elles sont au nombre de 15 et dépendaient au départ de Bhalil avant leur transfert par la suite à la municipalité d’Aghbalou Kourar environ 22Km des Carrières). Le transfert ici concerne la manne fiscale, alors que c’est Bhalil qui subit les catastrophes écologiques et économiques engendrées par les carrières.
El Bhalil, se situant géographiquement aux avant-postes de ces carrières, subit des dégâts considérables. Plus de 250 hectares d’oliveraies ont été détruits par la poussière provoquée par ces carrières géantes (qui sont en réalité des fabriques, puisque le sable entre dans un processus de fabrication et de transformation après son extraction, et cela par de gros engins mis sur place). De plus, ce village, qui a remporté lors des années 80 la médaille d’or de la propreté, vit aujourd’hui sous l’effet de la pollution causée par le fracas des 2 000 semi-remorques qui circulent quotidiennement sur ses routes. Cela a donné lieu, selon une source médicale, à des maladies respiratoires, des allergies et d’autres touchant les yeux des citoyens. Derechef, les routes goudronnées du village sont, aujourd’hui, toutes défectueuses sous le poids de ces camions transporteurs de centaines de tonnes de sable, ce qui constitue une véritable tracasserie pour les automobilistes. Pourtant, ces carrières n’accordent plus de recettes financières au conseil municipal. Un conseil pauvre, puisque son budget annuel ne dépasse pas les 800 millions de centimes !
L’exploitation des domaines terriens par les carrières se fait d’une façon effrénée et abusive. Plusieurs exploitants, ayant creusé les montagnes, ont commencé à atteindre la terre jusqu’à ce que l’eau remonte à la surface. « Cela permet au moins aux enfants et aux jeunes d’aller se baigner dans des « piscines naturelles », creusées par ces magnats rentiers » déclare avec un ton ironique Bouhmala Abdelhaq, acteur associatif. Les calamités écologiques causées par ces carrières sont nombreuses de plus en plus graves. Un rapport publié par Al Ittihad Ichtiraki en juin 2007 indique que des matières chimiques hydro-carboniques pénètrent dans la nappe phréatique au dessous du village. Le même rapport indique que des explosifs sont utilisés à des fins d’exploitation minière. Ces carrières sont aujourd’hui en train d’affecter l’agriculture et l’écologie du village sans offrir aucune plus-value. D’ailleurs, la main d’œuvre est de plus en plus délaissée au détriment des machines géantes qui remplacent les centaines d’ouvriers chômeurs qui pratiquent d’autres métiers informels. Pourtant, les mêmes ouvriers qui travaillent encore dans ces carrières souffrent des conditions de travail difficiles sans contrats légaux, et ne bénéficient d’aucune couverture médicale ou sociale. Ils sont payés entre 50 et 60 DH le jour, et peuvent être mis à la porte à n’importe quel moment. En plus ils sont interdits d’exercer leur droit syndical. Pourtant, il y a des conducteurs des engins et camions qui sont mieux payés (entre 2.500 et 3.000DH par mois). Le grand village El Bhalil, quelles que soient les circonstances, par sa nature splendide, ses vergers sauvages beaux et étendus, ses habitants accueillants, ses anciennes maisons et authentiques, vit aujourd’hui sur les rythmes de la déchéance. Rien n’a changé positivement pendant ces dernières années. Et au lieu d’élire démocratiquement un conseil municipal engagé et capable de réanimer la situation socio-économique du village, les citoyens se sont contentés de l’absentéisme lors des dernières élections communales. Ils étaient 6 539 sur les listes des électeurs. Seulement 30% d’entre eux ont voté.