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Dunes d'Essaouira : Autant en emporte le vent


Abdelali Khallad
Vendredi 30 Octobre 2009

Dunes d'Essaouira : Autant en emporte le vent
Étendues sur  une superficie de 11.800 hectares, les dunes de sables mouvants d'Essaouira constituent un périmètre forestier protégeant efficacement la ville  et ses liaisons routières avec Safi et Marrakech, formant sur le plan scientifique une réserve naturelle  protégée.
 Qualifiées d'œuvre historique par les botanistes et les écologistes, ces dunes sont  actuellement soumises à un travail de  déstabilisation et de destruction massive qui prend la forme d'une invasion du béton à travers des projets touristiques et immobiliers où le souci économique l’emporte sur une approche écologique.
Une sérieuse menace de déséquilibre de l'environnement guette actuellement le littoral de la ville qui subit, depuis plusieurs années, des irrégularités liées à la gestion de ses ressources naturelles en termes de biodiversité singulière. Elément qui a permis à la paisible Mogador d'accéder au répertoire des sites d'intérêt biologique et écologique (SIBE). De ce fait, la zone dunaire et l'archipel, désormais patrimoine mondial, ont intégré la liste Ramsar des zones humides.
 Les dunes d'Essaouira sont actuellement confrontées à des facteurs dévastateurs encore plus graves que ceux du début du vingtième siècle. Il ne s'agit plus  de simples activités de pâturage ou de coupes anarchiques  au niveau forestier. C'est toute une machine infernale due à l’urbanisation, et un dangereux processus  de cession des sites répertoriés au profit d'opérateurs immobiliers et touristiques qui sont en train de changer les caractéristiques de cet héritage écologique conçu avec patience et persévérance dès le début du siècle précédent.
Créée en 1760, la ville  d'Essaouira située en bordure  de l'océan Atlantique, et soumise à une forte  fréquence du vent  et à une importante érosion marine des roches friables, charriant sur le rivage d’importantes quantités de sable, était entourée d’une forêt dense de genévriers de 14.000 hectares, prolongée par des massifs forestiers de thuya et d'arganier s'étendant à l'est et au sud sur 300.000 hectares.
Elle avait fait l'expérience d'un massacre du couvert forestier avoisinant suite à l'exploitation abusive du bois pour répondre aux besoins d'une urbanisation émergente (construction de maisons, pâturage, bois de chauffage) qui n'a pas pris en considération l'intérêt vital du couvert végétal dans la protection de la ville contre le mouvement constant des sables maritimes déplacés par le vent du nord soufflant 291 jours par  an.  Un siècle et demi plus tard, il n'existait plus de forêt dans un rayon de 8 à 15 km.
"La construction de la ville, qui allait devenir rapidement un des ports importants du Maroc de l'époque, nécessita de gros besoins en bois de construction que fournissait la forêt de genévriers, située aux portes de la ville. Mais l'exploitation fut menée sans appliquer aucune règle sylvicole, en se contentant de couper des arbres donnant les poutres les plus intéressantes. C'est ainsi que l'on trouve encore à Essaouira de très vieilles maisons, dont la charpente et même l'ossature des murs, sont constituées· par d'énormes poutres de genévrier. Si les gros arbres furent débités pour fournir des poutres, les plus petits servirent à fabriquer du charbon de bois. Celui-ci était consommé par les habitants pour la cuisson de leurs aliments, et bientôt, avec la création du port, exporté par bateau.
A ces exploitations massives inconsidérées s'ajoutèrent les abus de pâturage. Les premiers habitants, et les riverains de la nouvelle ville, pour alimenter en viande et en lait les nouveaux citadins, développèrent leurs troupeaux en les nourrissant traditionnellement dans la forêt limitrophe", témoigna C. Sulzlee, ingénieur principal des Eaux et Forêts au Maroc dans un article-témoignage publié en 1962.
Une fois la forêt déboisée, aucun obstacle ne s'opposa plus à l'oeuvre du vent. Les sables envahirent l'intérieur des terres, formant des dunes qui furent constamment en mouvement sous l'effet des vents du nord. Les maisons des quartiers est de la ville étaient ensablées. L'avenir de la  ville semblait décidément compromis.
En 1918, un deuxième souffle fut donné aux travaux de fixation des dunes déjà entamées en 1914. Un considérable dispositif humain, financier et matériel fut mobilisé pour réussir une gigantesque opération de reboisement et de fixation des dunes sur plusieurs hectares. Les méthodes de fixation variaient entre l'usage de moyens physiques, l'introduction de plantes fixatrices rapides, et puis la création d'un peuplement forestier qui avait permis, entre autres, la replantation de genévriers sur plusieurs hectares.
Achevé en 1986, le processus de fixation et de reboisement des dunes exige un effort durable d'entretien et de densification pour éviter toute fragilisation des zones dunaires (90% sur le domaine territorial de la municipalité d'Essaouira, 10% dans les communes rurales Sidi Kaouki au sud et de My Bouzerktoune et Ounagha au nord)  connues pour leur richesse floristique, et regorgent d'une diversité de mammifères (sanglier, chacal, genette, mangouste, loutre, lièvre, et belette) et une avifaune nicheuse et migratrice et bien d'autres espèces d'oiseaux rares.
"Mais le climat n'est pas le seul obstacle au travail du forestier. Dès les premières années après la fixation, les arbres  introduits sont encore tout petits, et une abondante végétation de plantes pastorales apparaît constituant un pâturage de très bonne qualité, attirant le bétail des riverains. Les branchages placés pour la fixation, donnent  un ou deux ans après  un excellent bois de chauffage bien sec, commode à ramasser, léger à transporter, et facile à écouler à bon prix auprès des utilisateurs (cafés, bains, boulangers, qui apprécient cet excellent combustible quasi gratuit). Enfin, les dunes boisées, situées aux portes de la ville, attirent tout naturellement les promeneurs, alors que le simple piétinement du sol brise les fines radicelles des végétaux introduits, les faisant périr à brève échéance.
En fait, une forte proportion des surfaces anciennement fixées ne porte qu'un boisement médiocre, et cela est dû en grande partie aux délits antérieurs. Il y a un demi-siècle, le brigadier chef Dupuy  était déjà à l’œuvre pour arrêter cette dégradation. La lecture de son livret journalier nous indique que chaque jour ou presque, il constatait la présence de nombreux troupeaux en délit.
Il conduisait ce bétail en fourrière, quand il le pouvait. De plus, il arrivait à cette époque-là que les coupables, protégés par les autorités, ne soient pas punis.
Le même livret révèle que les délits qu’il constata furent sans· sanctions, et qu'il reçut même l'ordre des « services municipaux d'Essaouira » de ne plus faire de tournées dans le secteur de Chicht « pour éviter toute histoire » (page 6 à la date du 29-11-1914)", peut-on encore lire sur le même document de C. Sulzlee.
Un siècle après, l'écosystème de la ville se retrouve encore une fois menacé, à cause de cette extension urbanistique anarchique motivée par des soucis purement économiques qui ne prennent pas en considération le long chemin parcouru par plusieurs générations de forestiers qui ont réussi à transformer  les dunes mouvantes d'Essaouira, considérées au début du siècle comme un danger pour l'avenir de la ville, en vraie richesse naturelle, une réserve biologique et écologique singulière répertoriée Ramsar.
Faut-il encore rappeler que les sables de la ville font l'objet  depuis plusieurs années, d'actes de pillage commis par des transporteurs et des camionneurs qui sillonnent les routes de la province au vu et au su des autorités élues et locales? Pourtant, il n'y a aucune carrière de sable autorisée par les services municipaux.
Ces crimes écologiques ont été même officialisés par la cession de plusieurs dizaines d'hectares au profit de projets immobiliers et touristiques. Des milliers de tonnes de sable sont transportées au quotidien vers d'autres villes pour des chantiers de construction et partant garnir  les comptes de certains particuliers.
Les dunes de la ville ne sont plus sous  l'effet des vents nordiques, elles sont en train de subir la loi d'une poignée de spéculateurs qui ont découvert les vertus économiques du sable maritime. Peut-être allons-nous un jour nous réveiller et apprendre la mauvaise  nouvelle de l'expatriation des sables de Mogador vers les plages caillouteuses de pays européens, ou d’ailleurs !


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