Don Quichotte n ’ est pas marocain


Libé
Vendredi 4 Juin 2021

"Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts". Cette citation d'Isaac Newton prend tristement tout son sens lorsque nos confrères journalistes espagnols traitent de questions inhérentes au Maroc et aux Marocains. Face à cela, nous nous retrouvons malheureusement contraints de rappeler les règles élémentaires en matière d’éthique -chose dont nous nous serions volontiers passés-.

En politique, il est illusoire, voire chimérique, de parler éthique entre Etats, car seuls les intérêts triomphent. En journalisme, l’enjeu est tout autre depuis la génération de Jean-Paul Marat (assassiné le 13 juillet 1793 ̀a paris) qui a inculqúe aux consciences humaines que le journalisme est une prise de position pour l’intérêt public, et que l’ADN même du métier est de défendre une éthique d’engagement pour la vérité qui construit et forge l’opinion publique face à la chose politique.

Et puisque nous évoquons les notions d’éthique et de public, il est notoire que l’intérêt des nations pour l’éthique est particulièrement important. Chose que le journalisme devrait toujours défendre avec vigueur et humilité, sachant que les intérêts des Etats sont essentiellement politiques, tandis que les intérêts des nations sont plutôt historiques et humains. L’un défend des intérêts, quand l’autre défend des valeurs. L’un est purement tactique, l’autre profondément stratégique.

La récente crise hispano-marocaine, une de plus, nous donne l’occasion d’éprouver ce dilemme profond (plutôt cette fracture profonde) entre éthique et politique, de nos confrères ibériques, qui (malheureusement) ont aussitôt penché vers des postures de jugement de valeur, pour la simple raison qu'il s'agit du Maroc. Une attitude qui conforte l’idée que le problème «Maroc» est une pathologie (chronique?) caractéristique de la pensée journalistique espagnole. Est-ce l’esprit Don Quichotte qui subsiste toujours chez nos voisins du Nord, quand bien même nous sommes au XXIème siècle? Cet esprit du «noble chevalier, l’idéaliste, qui se bat contre des moulins à vent, le rêveur qui prend ses hallucinations pour des réalités, le fantasque, le maître et son valet, les pieds sur terre, le valet prosaïque. C’est un couple que nous retrouvons encore dans notre réalité, à la fois alliés et adversaires. C’est un duo qui résiste aux temps qui changent». (comme disait l’écrivain allemand G̈unter Grass).

Un exemple (trivial mais significatif): si nous nous risquons à une réponse en tant que journalistes marocains en réaction aux écrits du journaliste Ignacio Cembrero, qui ne perçoit du Maroc qu’une succession d’informations négatives, c'est l’Association de la presse madrilène (APM) qui monte au créneau arguant, en guise de défense de notre confrère Ignacio, qu'il est «menace» par divers médias marocains. Relevons d’ailleurs que notre collègue, spécialiste du dossier Maroc (il est d’ailleurs le seul journaliste espagnol à avoir interviewé le Roi Mohammed VI, interview qui a eu lieu à Ouarzazate au Sud-est du Maroc), ne change jamais de perspective dans son jugement du pays en ceci qu'il prend pour argent comptant tout ce qui est anti-Maroc.

(L’APM «a exprimé son soutien au journaliste Ignacio Cembrero face aux menaces proférées à son encontre par divers médias marocains proches du gouvernement de ce pays, pour son information dans El Confidencial sur la crise ouverte entre Madrid et Rabat»). Au regard de l’éthique journalistique de l’APM, les écrits de Cembrero sont sacrés du simple fait de ses origines. Tandis que nous, confrères marocains, n’avons pas le droit de le désapprouver, même lorsque nous savons oh combien notre ami Ignacio est proche du groupe militaro-politique espagnol.

Permettez-nous de penser que cette mascarade est une insulte à notre intelligence et à celle du public ! Chaque crise est une occasion de tester les valeurs humaines, politiques et déontologiques des nations. Pour nos voisins ibériques, qui pour nous sont «les gens du Nord » (sublime chanson de Jacques Brel), évoquer le respect du droit européen bafoué par l’Etat espagnol lorsqu’un individu pénètre dans l'espace Schengen avec un faux passeport et une fausse identité, souligner que l'Espagne a nié sa présence sur son territoire les 17 et 18 avril derniers, avant de reconnaître l'avoir admis pour «raisons humanitaires ... au-delà d’être fautifs, on pourrait aller jusqu’à parler là d’une forme d’arrogance de l’Espagne.
 

Lahcen Laassibi
Lahcen Laassibi
Qu’en est-il du respect de l’Etat de droit en posant des questions sur le jugement d’un présumé coupable d’une longue liste d’accusations, avec le respect de toutes les conditions d’un procès équitable, à savoir rester sur le sol européen, pour garantir sa présence devant les juges ? Est-ce là un privilège exclusif aux pays du «nord» ? Pourquoi est-ce si difficile d’être entendu comme journaliste «du Sud», qui pose des questions qui dérangent chez les «gens du Nord» ? Sans doute parce que vous vous trouvez «au Sud de la vérité ». Chaque nouvelle crise nous démontre davantage encore, comme l'a dit le grand José Saramago, Prix Nobel de littérature : «Qu’au fond ce qui est tragique, c’est l’impossibilité d’être quelqu‘un d’autre», lorsque c’est «la morale de Don Quichotte» qui prime chez nos voisins espagnols.

Par Lahcen Laassibi


Lu 869 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










    Aucun événement à cette date.


Inscription à la newsletter



services