Dix ans après: Portrait d’un Roi en mouvement


Narjis Rerhaye
Jeudi 30 Juillet 2009

Dix ans après: Portrait d’un Roi en mouvement
Depuis son accession au Trône, les adjectifs se sont bousculés. Un peu comme s’il fallait à tout prix donner des qualificatifs à ce Roi qui succédait au Père, le défunt Roi Hassan II. Dès les premiers jours, on a parlé du jeune Roi, en référence à son âge, pas encore quadra et déjà tenant les rênes d’une monarchie séculaire. Avec la jeunesse, tous les signes extérieurs ont été convoqués par une presse avide d’images. De mémoire de Marocains on n’avait jamais vu un monarque en jean’s et Ray ban ou sur un jet ski défiant les vagues. La photographie du Roi Mohammed VI portant un béret traditionnel tout en couleurs a fait le tour des chaumières devenant l’effigie d’une jeunesse en quête d’idole, vendue jusque dans les souks les plus reculés. « Avant, on avait peur du Roi. Maintenant, on a peur pour lui ». On ne saura jamais si cette phrase a été réellement prononcée ni par qui elle l’a été. Mais une chose est sûre, elle a fait le tour du pays, les journaux s’en sont emparés. De nouvelles relations, celles d’un peuple et d’un Roi, naissaient.
Le Roi des pauvres est alors apparu dans le lexique. C’est toute une population jusque-là oubliée, marginalisée, occultée qui s’est identifiée au chef de l’Etat. La pauvreté était officiellement admise, reconnue. Et c’est toute la compassion d’un Roi à l’assaut de la précarité qui a été retenue par ces Marocains longtemps habitués aux rubans coupés, à des années lumière des ceintures de pauvreté et de zones enclavées que beaucoup feignaient de ne pas voir. L’Initiative nationale pour le développement humain s’est naturellement imposée comme une politique structurante de lutte programmée contre la pauvreté.
Au pays de la symbolique, les faits et gestes sont décortiqués, analysés, décryptés. Le Roi s’arrête au feu rouge, conduit lui-même. L’événement est à portée de main, au bout du volant. La proximité prend du sens. La majorité silencieuse s’interroge. Et s’il était comme nous, Roi et citoyen, ainsi que le titrait avec beaucoup d’emphase « Jeune Afrique ».
Mohammed VI donne des sueurs froides à sa sécurité. Il bouscule le protocole, va au plus près de la foule, serre les mains. A Al Hoceima, alors que la terre venait de trembler, le Roi a planté sa tente au cœur de la ville, exactement comme tous les habitants de la région qui avaient tout perdu. La population en colère avait retrouvé sa sérénité, comme d’un coup de baguette magique. Que le Monarque passe la nuit dans des conditions identiques à ceux et celles frappés par le séisme avait comme suffi à panser les plaies, cicatrisé les blessures, calmé l’ire des Rifains.
Le mariage du chef de l’Etat est quelque part une révolution de velours. En ce Royaume où les sultans ne montraient jamais leurs épouses forcément recluses, le Roi déroge avec bonheur à la règle. Lalla Salma est non seulement un visage et une voix, mais elle a aussi un rang à tenir, une mission à remplir, par- delà les frontières du pays. Dans son combat contre le cancer, l’épouse du Roi est au chevet des patients les plus démunis, construisant des maisons de l’avenir pour les enfants atteints de cette maladie. Au sommet de l’Etat, la réforme du Code de la famille est prise pour ce qu’elle est, une justice rendue aux Marocaines.
Au journal télévisé, les images défilent. Mohammed VI inaugure, lance des chantiers, procède à la signature de conventions. Mais pas seulement. Le Roi demande des explications précises, pose des questions embarrassantes, fait le suivi. Il n’est pas en représentation ni dans la parade. On appréhende désormais les retards d’exécution. C’est le Roi voyageur. Désormais, les villes longtemps condamnées à la marginalisation l’accueillent. Dans les montagnes, des hameaux perdus l’attendent. Les visites Royales se font jusque dans les endroits les plus improbables.
« Lui c’est lui, et moi c’est moi », avait dit le Roi lors de l’une de ses toutes premières interviews, quelques mois après le décès de Hassan II. En dix ans, le Monarque a imprimé son propre style, une nouvelle manière d’être et de faire. Entre résistances et pesanteurs, la modernité, selon Mohammmed VI, procède d’abord et avant tout de micro-ruptures.


Et pour finir…

10 ans de règne. Officiellement, l’heure n’est pas au bilan. Pas même celui d’étape. Tant il est vrai que le Monarque n’a pas de rendez-vous électoral ni de sanction des urnes à craindre. Sur un plan institutionnel strict, le chef de l’Etat n’a pas de compte à rendre. Sur un plan moral, et au regard du contrat social qui le lie aux citoyens, il est permis de s’arrêter sur les grands chantiers ouverts, les dynamiques enclenchées mais aussi sur tout ce qui reste à faire.
L’élan est-il pris ? Le mouvement est-il irréversible ? Deux grandes interrogations qui traversent la décennie. Si les acquis requièrent une vigilance de tous les jours –tant il est vrai que rien n’est jamais définitif- bien des dossiers sont restés en suspens et n’ont pas été exactement une success story. La question de la liberté de presse ne saurait ici être occultée. La gestion du dicible et de l’indicible n’a toujours pas trouvé un mode d’emploi rationnel et acceptable. Face à des lignes rouges de plus en plus mouvantes, et un recours à la justice de plus en plus systématique, presse et pouvoir semblent former un couple impossible. Entre peines privatives de liberté et amendes mirobolantes, les journalistes sont toujours le poil à gratter des pouvoirs publics.
Le respect des droits humains –la liberté de presse en fait partie- est en demi-teinte. La difficile gestion des conflits sociaux en même temps que les procès des « réseaux terroristes », particulièrement celui des six politiques de l’affaire Belliraj- n’en finit pas d’interpeller les activistes.
Le chantier de la politique n’est pas, non plus, à inscrire au registre des success stories. L’organisation d’élections transparentes et l’adoption d’une loi sur les partis ne peuvent faire l’économie d’un principe universel : sans partis politiques –forts, vrais et émanant de la société- il n’y a pas de démocratie.
Une société qui a fait vœu de modernité et d’égalité ne saurait autoriser les passe-droits, les privilèges, les rentes. Parce qu’il n’y a pas de citoyens plus égaux que d’autres. Et c’est là l’un des plus grands combats que le Maroc doit encore mener.



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