Des supporters de l'OM au camp d'internement des Milles pour "pas que ça dérape"


Libé
Vendredi 27 Décembre 2024

Que faire pour lutter contre la haine? "Aller voir la réalité du fascisme", répond Rachid Zeroual, leader du principal groupe de supporters du club de football de l'Olympique de Marseille (sud-est de la France), qui a embarqué, avec un rabbin, des jeunes au camp des Milles.

Ce rabbin, Haïm Bendao, reconnaît qu'il avait "un peu une boule au ventre" en arrivant avec cette soixantaine de supporters des South Winners, âgés de 15 à 25 ans, dans cette ancienne tuilerie située près d'Aix-en-Provence (à 25 km de Marseille) qui fut pendant la Seconde Guerre mondiale un camp français d'internement avant la déportation d'environ 2.000 juifs.
Mais très vite, l'agilité de la médiatrice accompagnant le groupe fait que les blagues fusent et il glisse: "C'est au-delà de mes espoirs", les supporters réussissent à "sortir du pire par le sourire".

"Et si je me mettais à tenir des propos racistes, vous feriez quoi?", demande la médiatrice. "Je te questionnerais: +pourquoi tu dis ça+?", répond l'un. "Faut partir dans un débat pour lui montrer ses torts", appuie un autre.

"Et on risque quoi à faire ça?", leur demande-t-elle. "Rien!" répondent les jeunes, prenant conscience qu'il n'y a pas de petit acte de résistance.
Et tous éclatent de rire quand l'un des anciens demande s'il peut en venir aux mains, comme l'avaient fait les Winners dans les années 80 pour chasser les "fachos du stade".

"S'il y a un groupe qui s'est démarqué, qui a lutté contre la montée du fascisme dans les stades, c'est nous", leur rappelle de sa voix rocailleuse Rachid Zeroual, figure des South Winners, le groupe aux 7.500 membres qui enflamme le virage Sud du mythique stade Vélodrome de Marseille.

Aujourd'hui, il souhaite qu'"ils en prennent plein la gueule" dans ce lieu mémoriel pour se rendre compte de la "réalité" du fascisme, dans le contexte de montée de l'extrême droite en France et des actes antisémites consécutifs à l'embrasement au Proche-Orient après l'attaque sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et les représailles israéliennes très meurtrières à Gaza et au Liban.

"Je veux pas que ça dérape et j'avais peur que ça débarque à Marseille, que les jeunes s'entretuent pour des histoires qui sont lointaines et dans lesquelles, en fait, ils ne comprennent rien".

La cité portuaire, qui a accueilli des vagues d'exilés d'Arménie, d'Italie, du Maghreb, compte aujourd'hui les communautés juive et musulmane parmi les plus importantes de France.
Depuis toujours les groupes de supporters de l'OM affichent des valeurs fortes d'antiracisme mais "lors de déplacements, on est confronté à des groupes qui ont des idéaux fascistes, on voit des saluts nazis", raconte Jules Sitruk, 26 ans.

Mohamed-Ali Ahmaidi, 21 ans, se dit "touché" de traverser les allées du camp, glaciales en ce jour de mistral (un vent sec venu du nord), et d'imaginer les internés dormir sur ce sol rouge argileux et poussiéreux où tout le monde toussait et crachait du sang.

"Il ne faut pas tout le temps croire ce qu'on voit, surtout sur les réseaux, sur les téléphones. C'est très important de savoir ce qui s'est passé", estime-t-il. Pour lui, il faut que dans le stade on puisse continuer à "manger ensemble, boire un coup", sans oublier surtout ce que "chacun peut apporter à l'autre".
"Le communautarisme est de plus en plus présent parce que les gens ne vivent plus ensemble", embraye Emmanuel Cayo, 26 ans.

Le vivre-ensemble, une obsession chez les South Winners qui multiplient depuis le 7 octobre 2023 les initiatives pour éviter une importation du conflit.
"Si on exportait la paix plutôt ?", sourit Haïm Bendao, kippa et tee-shirt noirs assortis et veste kaki, qui officie depuis 25 ans dans les quartiers Nord de Marseille et est une figure du dialogue interreligieux dans la ville.

En janvier, ils débrieferont cette visite. "J'ai envie que ce qui doit être dit violemment ou pas violemment soit dit (...) Je veux arriver à cette discussion sur le conflit israélo-palestinien et qu'on ne mélange pas tout", espère-t-il.
"Si ça en fait changer un sur les 60, c'est toujours un de gagné. Et ça en fera réfléchir beaucoup", conclut Rachid Zeroual.


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