Des morts de trop en Afghanistan


PAR LHASSAN OUTALHA
Vendredi 27 Janvier 2012

Des morts de trop en Afghanistan
La mort de quatre soldats français semble précipiter un éventuel désengagement de la France d’Afghanistan. Le président Sarkozy qui s’est exprimé à ce sujet a d’ores et déjà annoncé la suspension de toute activité des soldats français stationnés en grande partie à Kapisa tout en brandissant la menace d’un retrait définitif.
 Les faits : quatre morts, une quinzaine de blessés, dont «huit grièvement».
C’est le lourd bilan de la dernière attaque qui s’est déroulée vendredi 20 janvier dans l’est de l’Afghanistan. Ce drame est une reproduction à l’identique du scénario du mois dernier.
 L’attaque a eu lieu à 8 heures du matin, heure afghane, dans le district de Tagab, dans la province de Kapisa, alors que les militaires terminaient l’entraînement sportif à l’intérieur de la base française de Gwam. Le tireur a été interpellé, mais on ignore encore s’il s’agit «d’un taliban infiltré ou d’une personne qui a agi pour des décisions que nous ne maîtrisons pas», a confié Gérard Longuet. L’armée française a circonscrit le périmètre de la base.
 Cette attaque pourrait marquer un tournant dans la présence française en Afghanistan.
 L’attaque rappelle fortement celle du 29 décembre, lorsque deux légionnaires français avaient été abattus par un soldat de l’Armée nationale afghane (ANA) dont ils assuraient la formation dans la province de Kapisa, au nord-est de Kaboul, région très infiltrée par la rébellion des talibans où se trouve la vallée de Tagab.
 On sait que Français et Afghans cohabitent au sein des infrastructures militaires avec comme objectif d’assurer petit à petit le transfert de la responsabilité des militaires français aux nouvelles forces afghanes. Ces derniers temps, les attaques de militaires de l’Otan par des soldats afghans, ou des insurgés ayant infiltré les forces de sécurité, se sont multipliées.
Un problème de confiance se fait de plus en plus insistant.
 Comment assurer la transition si Français et Afghans se comportent en frères ennemis, le capital confiance entre forces de l’OTAN et recrues afghanes étant épuisé, l’accès des bases françaises est désormais interdit aux militaires afghans et les opérations en cours ont été suspendues. On envisage même le retour anticipé des soldats français, ce qui constitue une décision très difficile à prendre car elle est au-delà du discrédit. Ce sont les relations avec les Etats-Unis qui risquent d’en pâtir.
 Les forces de l’armée française interviennent dans la guerre d’Afghanistan depuis fin 2001 dans deux opérations internationales distinctes : la force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) sous commandement de l’OTAN et l’opération Enduring Freedom sous commandement américain. En 2010, elle est la quatrième contributrice de la coalition.
 Jusqu’alors cette présence militaire dans un pays aussi éloigné et inconnu ne suscitait aucun émoi particulier, les soldats français étant déployés dans un but de sécurisation, d’aide humanitaire et de reconstruction économique ainsi que de la formation des nouvelles forces afghanes. C’est depuis le 26 mars 2008 que le président propose au Parlement l’envoi de troupes supplémentaires et que la France se met à participer à des combats contre les insurgés talibans au sud du pays.
 Le 18 août 2008 une patrouille du 8ème régiment parachutiste d’infanterie de marine est prise dans une embuscade à Kapisa, le bilan est de 10 morts et de 23 blessés.
 A trois mois de l’élection présidentielle en France, la mort des quatre soldats peut relancer le débat sur la présence militaire en Afghanistan, décidée en 2001 par les socialistes et la droite, mais qui est de plus en plus contestée à gauche. François Hollande, candidat PS à la présidentielle, a réaffirmé sa volonté de retirer les forces françaises d’Afghanistan, le plus rapidement possible, au plus tard à la fin de l’année 2012. Ceci, bien entendu s’il est élu. Il n’a pas remis en cause la décision d’y aller prise en 2001 puisque son parti était codécideur de cette intervention.
 Les quatre Français décédés vendredi portent à 82 le nombre de militaires français tombés en Afghanistan depuis le début du déploiement de la force internationale fin 2001.
 La France, 4ème plus important contingent en Afghanistan, compte actuellement 3.600 soldats, après le retrait de 400 militaires depuis le mois d’octobre. Près de 130.000 soldats étrangers, aux deux tiers américains, sont déployés en Afghanistan.
 Les forces françaises ont enregistré en 2011 leurs plus lourdes pertes depuis le début du conflit, avec 26 soldats tués en opérations, dont cinq dans un attentat suicide le 13 juillet. Elles sont fortement impliquées dans la formation de l’armée afghane, qui doit prendre le relais de l’Otan après le départ de la force internationale, programmé pour 2014.
L’événement survenu est le déclencheur d’alerte en métropole dans l’opinion publique. En effet, des questions et des incompréhensions naissent sur la présence militaire de la France en Afghanistan. Le Français lambda a du mal à comprendre pourquoi des Français vont combattre et se faire tuer si loin de leur pays et chaque mort constitue pour lui un mort de trop. La grogne et la contestation montent et comme on est en période électorale, chacun y va de son idée pour convertir ce malaise, cumulé à d’autres, en intentions de vote et en points dans les divers sondages sur la cote de popularité de tel ou tel candidat.
C’est une véritable controverse dont les principaux protagonistes sont le gouvernement, l’armée française, l’opinion publique relayée par la presse ainsi que les familles des victimes.


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