Des Assises pour le dire : La santé, grosse carence dans la stratégie nationale d’immigration et d’asile

Les autochtones ne sont pas mieux lotis


Hassan Bentaleb
Vendredi 29 Juin 2018

«Nous avons le sentiment que la situation en matière de droit à la santé demeure identique à celle qui prévalait avant le lancement de la Stratégie nationale d’immigration et d'asile. Malgré certaines avancées notables, les difficultés et les contraintes persistent et les migrants ont du mal à accéder à des soins de qualité». Tel semble être le constat dressé par l’ensemble des participants à l’atelier « Santé et migration », organisé lundi dernier à Rabat, à  l'occasion de la tenue  de la 3ème édition des Assises marocaines des organisations de la société civile actives en soutien aux personnes migrantes. « On continue à assister aux mêmes pratiques : rétention des pièces d’identité, longues heures  d’attente, besoin d’intervention d’un tiers facilitateur, refus d’admission et d’accès aux services de consultation des hôpitaux et notamment des CHU…. Les entraves sont presque les mêmes et rien ne semble bouger depuis 2013 », a indiqué un représentant de l’une des 13 associations qui composent la Plateforme nationale protection migrants (PNPM),  chargée de l’organisation des Assises.
Un état des lieux que partage la représentante  de Caritas-Maroc qui a listé d’autres problèmes observés  lors de l’accompagnement et de la prise en charge des migrants malades. D’après elle, ces migrants souffrent encore du refus de certains membres du personnel médical de leur administrer des soins, du manque d’information et du refus de prise en charge des maladies lourdes sans parler du manque de  médicaments. En fait, si certains centres de santé acceptent de recevoir les patients étrangers sur simple déclaration d’adresse, d’autres exigent régulièrement un justificatif de domicile. Des CHU  pratiquent aussi la rétention des pièces d’identité des personnes ou des  membres de leur entourage à titre de garantie de  règlement des factures, notamment dans le cas des accouchements et des hospitalisations. Un rapport de la PNPM a constaté que l’accès effectif des patients étrangers aux structures sanitaires continue d’être conditionné, au moins au départ, par l’intervention de tiers facilitateurs, à défaut d’être automatiquement garanti. Pareille situation est également constatée au sein des structures publiques de soins secondaires et tertiaires. « En effet, les refus d’admission et d’accès aux services de consultation des hôpitaux, notamment les CHU, sont encore fréquents, en particulier du fait de l’exigence de documents d’identité (passeport, carte nationale d’identité ou titre de séjour) que beaucoup de migrants ne peuvent pas présenter. Pourtant, le règlement intérieur des hôpitaux mis en place en 2011 stipule très explicitement que « les patients ou blessés non-marocains sont admis, quel que soit leur statut, dans les mêmes conditions que les nationaux » (art. 57). Dans certains cas, le zèle est poussé jusqu’à conditionner l’hospitalisation par la présentation d’un titre de séjour », a précisé ledit rapport.
Souvent ces migrants n’obtiennent de rendez-vous de consultation ou d’hospitalisation qu’après une longue attente. Des consultations qui demeurent  très sommaires, sans auscultation et parfois en l’absence totale de confidentialité. A Rabat et Oujda par exemple, les consultations sont pratiquées devant une file d’attente de plusieurs dizaines de personnes sans aucune protection visuelle.
La dotation des centres de santé en médicaments pose également problème puisqu’elle semble être calculée en fonction de la population marocaine résidant dans le secteur, sans tenir compte des habitants étrangers. Ainsi, la plupart des centres de santé des quartiers à forte concentration de patients étrangers éventuels sont sous-approvisionnés par rapport au nombre de consultations effectuées, d’où un fort taux d’exécution des ordonnances qui restent à la charge des patients.
D’autres intervenants ont beaucoup insisté sur le manque d’information au niveau des prestations médicales offertes, des profils des migrants bénéficiaires, de leurs profils épidémiologiques… il y a également déficit au niveau des informations sur les filières de soins et les structures hospitalières au Maroc, ont souligné d’autres. « Beaucoup de migrants malades ne savant pas à quelle structure ils doivent s’adressent ni à quelle porte ils doivent frapper. Est-ce  celle des centres de santé ou celle des CHU ou autres ? Une situation des plus complexes puisqu’il n’y a pas de médiateurs capables de les orienter vers la bonne adresse», a précisé Aaron Fred, un acteur associatif. Et de poursuivre : « Ceci d’autant plus que ces mêmes migrants ont leurs préjugés sur les Marocains et sur l’accès aux soins. Certains pensent qu’ils seront automatiquement rejettés par les médecins marocains ».      
Pour sa part, un représentant d’une association œuvrant pour la défense des femmes asiatiques migrantes a tenu à préciser qu’il faut faire la différence entre le droit à la santé et l’accès aux soins. D’après lui, et comme le soulignent les documents de l’OMS, le droit à la santé englobe l’accès aux soins puisque ledit droit est défini comme  accès en temps utile à des soins de santé acceptables, d’une qualité satisfaisante et d’un coût abordable tout en précisant que ce droit  est étroitement lié à d’autres droits humains fondamentaux dont l’accès à l’eau potable et aux assainissements adéquats.     
Pourtant, Mohamed Ben Yacoub, président de l'Association mains solidaires, estime que le tableau n’est pas aussi sombre qu’il semble et que l’expérience de son ONG au niveau de la ville de Tétouan pourrait  servir d’exemple en matière de coopération entre le ministère de la Santé et les acteurs associatifs en vue de permettre un accès facile et de qualité aux migrants. « Nous avons signé une convention avec le département de la Santé et cela nous facilite la tâche de dispenser des soins, d’orienter et d’accompagner des migrants malades », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « Les portes de l’hôpital de la ville  nous sont grandes ouvertes et le personnel médical  n’a jamais refusé de cas présentés par nous ».  
Hassan Bentaleb, journaliste spécialiste des questions migratoires et d’asile, a indiqué dans ce cadre que l’analyse des difficultés d’accès aux soins pour les migrants doit intégrer le fait que le secteur de la santé va mal au Maroc et qu’il souffre de plusieurs maux qui rendent impossible tout accès facile aux soins tant pour les Marocains que pour la population migrante. Une situation qui est appelée à se dégrader davantage avec un secteur public en décrépitude et un autre privé en pleine expansion. Ceci d’autant plus que la SNIA a été opérationnalisée sans qu’il y ait mise en place des moyens et leviers institutionnels de son exécution au niveau local.   « La politique nationale d’immigration et d’asile ainsi que la SNIA sont des politiques publiques qui se cherchent encore. En fait, elles peinent à trouver leur identité et leur place par rapport aux autres politiques sectorielles», a-t-il conclu.   


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