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Derby affligeant, foot indigent

Une réalité trop amère qui devrait faire rougir de honte les responsables de ce naufrage piteusement orchestré

Mardi 26 Novembre 2024

Derby affligeant, foot indigent
Le derby casablancais, ce choc légendaire entre le Raja et le Wydad, n’est désormais que l’ombre de lui-même. Vendredi, ce match, censé incarner l’engagement, l’intensité et la passion, ne fut qu’un étalage de médiocrité, où les interruptions, les fautes brutales et l’absence totale de créativité ont eu raison du peu de jeu qu’il restait. Si le football est parfois décrit comme un art, ce qu’on nous a servi lors de cette rencontre entre les deux plus grands clubs du pays n’est, en fait, qu’une démonstration accablante de tout ce qui gangrène le championnat marocain.

Quarante minutes. Voilà le temps de jeu effectif estimé dans ce match supposé durer quatre-vingt-dix minutes. Le reste ? Des arrêts de jeu incessants et des joueurs qui s’effondrent à la moindre brise. Ce qui s’est passé sur le terrain n’a rien à voir avec le football. On a assisté à une bataille de simulations où chaque seconde arrachée au chronomètre semblait être une victoire. Ce constat expose une mentalité profondément ancrée dans notre football : plutôt que de chercher à produire du jeu, à imposer une identité tactique ou à exploiter les qualités individuelles, les équipes se complaisent dans des pratiques contre-productives. On joue pour ne pas perdre, jamais pour gagner avec panache. Ce calcul à courte vue illustre l’absence d’ambition structurelle qui souille notre championnat.

Sur le plan technique, ce derby est une insulte aux exigences du football moderne. Les rares tentatives d’organiser une attaque placée ont été étouffées par une anarchie tactique affligeante. Les regroupements de joueurs dans des zones réduites du terrain traduisaient un manque criant de maîtrise des fondamentaux: absence de transition fluide entre les lignes, incapacité à exploiter les espaces et imprécisions techniques flagrantes. Entre temps, on grignotait des secondes, on tentait d’échapper à l’effort et on espérait un miracle venant d’un coup de pied arrêté ou d’une erreur adverse. Il ne restait rien d’esthétique, rien de créatif, rien qui puisse éveiller l’enthousiasme.

Dans un tel contexte, que peut espérer un entraîneur, aussi compétent soit-il ? Les plus grands stratèges du football mondial seraient impuissants face à ce désordre apparent. Comment exiger de la qualité, quand les fondations mêmes de la formation s’avèrent si fragiles, les clubs ne disposant pas d’infrastructures adaptées et la préparation physique et mentale bâclée au profit d’une culture de l’à-peu-près ?  En fait, ce désordre n’est pas accidentel. Il est le produit d’une carence structurelle. Dans un football professionnel digne de ce nom, les joueurs sont formés dès le plus jeune âge à la lecture du jeu, à l’exploitation des espaces et au développement de l’intelligence tactique. Ici, c’est l’improvisation qui règne. L’absence flagrante de rigueur tactique et de discipline sur le terrain est le reflet d’un déficit d’encadrement et d’un laxisme généralisé. Les clubs, au lieu de se concentrer sur la formation et l’innovation, s’appliquent à concocter des assemblages quelconques pour le court terme et sont davantage préoccupés par leur survie immédiate que par la construction d’un avenir solide.
Le football marocain
doit sa réussite mondiale à ce que le
championnat national ne peut lui offrir

Avec tout le respect qui leur serait dû, voir ces joueurs signer des contrats mirobolants, touchant des salaires démesurés, alors qu’ils ne mériteraient même pas de fouler les pelouses en bénévoles, est un affront insoutenable à l’intelligence collective. Comment expliquer qu’un football aussi indigent puisse être rémunéré à prix d’or ? Comment justifier qu’un football aussi pauvre, aussi insipide, soit rétribué par des sommes qui défient toute logique ? Cette inflation financière injustifiable n’est pas uniquement une injustice, elle représente une gifle à la passion des supporters, une sorte de détournement de ressources qui pourraient être investies dans de véritables réformes du football national. Dans un monde juste, ces pseudo-professionnels, incapables d’enchaîner deux passes correctes ou de maintenir un semblant de rythme, seraient priés de rembourser ce qu’ils ont perçu et invités à revoir leur vocation. 

Et que dire de l’arbitrage qui devait être le garant du bon déroulement de la rencontre ? Il est devenu complice nocif de cette débâcle. Les fautes violentes et répétées, parfois dangereuses,  n’ont été que timidement sanctionnées. Les cartons, pourtant essentiels pour contenir l’agressivité, sont restés dans la poche de l’arbitre.

Une tolérance quasi-coupable qui a encouragé les comportements anti-sportifs et inhibé les rares joueurs qui tentaient de pratiquer un football propre. Mais la responsabilité de cet échec dépasse la simple performance de l’arbitre. C’est tout le système de formation et d’évaluation des hommes en noir qui doit être remis en question. Le laxisme face aux fautes graves, l’absence de réactivité face aux pertes de temps et le manque de fermeté dans l’application des règles sont autant de symptômes d’un arbitrage qui n’a pas encore franchi le cap du professionnalisme.

Et comme si ce naufrage ne suffisait pas, l’absence du public et le silence des tribunes ont porté le coup de grâce à ce qui restait d’attractivité de ce match. Sans cette ferveur populaire, ce bouillonnement d’émotions qui donne vie à chaque geste sur le terrain, le derby s’est vidé de sa substance. Ce qui était autrefois une fête de football s’est transformé en un spectacle aseptisé, triste miroir d’un championnat qui peine à justifier son statut de professionnel. Mais l’absence du public n’est pas un hasard. Elle est le résultat d’une gestion calamiteuse des relations entre les instances du football et les supporters. Au lieu de construire des ponts, on a érigé des murs. Et avec eux, c’est l’âme du derby qui s’est éteinte.

Il est temps d’arrêter de se voiler la face. Le championnat  marocain est en crise et le derby en est la preuve accablante. Cette confrontation mérite d’être une fête, un rendez-vous incontournable où se mêlent talent, passion et intensité. Aujourd’hui, elle n’est qu’un reflet amer d’échecs collectifs. A vrai dire, depuis que le championnat marocain s’est autoproclamé "professionnel", les progrès espérés tardent à se matérialiser. La structure même de nos clubs reste archaïque. La conséquence? Un football stagnant, incapable de rivaliser avec les standards internationaux. Si le derby de Casablanca continue d’être le théâtre de mascarades, il ne restera bientôt plus qu’un souvenir amer d’un football qui aurait pu être grand, mais qui a choisi la médiocrité.  Peut-on encore redresser la barre ? Oui, mais pas sans une remise en question profonde.

Il faut dire que c’est une véritable bénédiction que l’équipe nationale ne dépende pas de ce qu’offre le championnat local pour atteindre les sommets du football mondial. Si elle devait compter sur ce pauvre vivier de joueurs sans ambition ni talent, le Maroc n’aurait jamais espéré briller sur la scène internationale. Qui pourrait imaginer une sélection compétitive composée de joueurs issus de ce marasme, où règnent médiocrité, improvisation et amateurisme ? La vérité, aussi crue soit-elle, est que notre gloire internationale repose sur les épaules d’hommes formés sous d’autres cieux, dans des structures où la rigueur, l’exigence et la discipline sont la norme. Sans eux, l’équipe nationale n’existerait pas. Nos clubs, gangrenés par des luttes d’influence et une gestion chaotique, peinent à produire des joueurs qui tiendraient ne serait-ce qu’un quart d’heure face aux exigences d’un match international.

C’est un constat amer : le football marocain doit sa réussite mondiale à ce que le championnat national ne peut lui offrir. Sans ces joueurs venus d’ailleurs et sans l’Académie Mohammed VI, unique lueur d'espoir, le Maroc n’aurait jamais eu sa place parmi les grandes nations du football. Une réalité brutale qui devrait faire rougir de honte les responsables de ce naufrage organisé.

Adam Ali

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