De nouvelles pratiques de proximité pour aider les partis français à se renouveler


Par Guillaume Liegey, Arthur Muller et Vincent Pons*
Mardi 25 Février 2014

De nouvelles pratiques de proximité pour aider les partis français à se renouveler
Connaissez-vous des militants de partis politiques ? Si oui, vous êtes certainement vous-même proche d’un parti politique, voire un militant actif. En revanche, vous avez quatre fois plus de chance de connaître des membres d’associations sportives, caritatives ou autres. En effet, la proportion de Français interrogés disant avoir fait du volontariat pour un parti politique a baissé d’un quart entre 1981 et 2008 (1,8 % contre 1,3 %), tandis que sur la même période, la proportion de Français impliqués dans une organisation à vocation sociale a presque doublé, passant de 3,2 % à 4,7 %. Ces chiffres illustrent un fait bien établi : l’engagement politique est de moins en moins attrayant que d’autres formes d’engagement, notamment associatif.
Eloignement des préoccupations des Français, démocratie interne défaillante, manque de diversité sociale : les dysfonctionnements des partis politiques sont bien identifiés. Dès lors, les citoyens ne se bousculent pas pour s’engager dans un parti. A quelques exceptions près : en 2006, les inscriptions au Parti socialiste ont bondi. Il fallait en effet être membre du parti pour voter à la primaire. Toutefois, très peu de ces nouveaux adhérents ont renouvelé leur carte après l’élection présidentielle de 2007.
Plusieurs causes peuvent expliquer l’attractivité supérieure de l’engagement associatif par rapport à l’engagement politique.
Tout d’abord, l’impact qu’un militant politique peut avoir par son engagement est difficile à cerner. Si l’on souhaite améliorer la situation des mal-logés ou des chômeurs, ne vaut-il pas mieux rejoindre directement une association qui œuvre sur ces thèmes ? À l’inverse, l’influence des militants sur les politiques publiques menées paraît très indirecte.
A l’occasion des élections municipales, par exemple, les militants ont l’occasion de désigner leurs candidats et d’œuvrer pour la victoire de leur parti, qui pourra affecter en retour les politiques menées ; mais sauf à être aussi élus, les militants de base n’ont aucun pouvoir de décision directe.
Par ailleurs, les luttes internes et autres stratégies de pouvoir sont prépondérantes dans les partis. Elles participent à la création d’une culture très spécifique dans laquelle il est difficile d’entrer. L’engagement politique est en effet autocentré : pour conquérir le pouvoir, il est primordial d’accorder une importance particulière aux enjeux internes, notamment la désignation des candidats et les rapports de force entre les courants.
Cette tendance est accentuée par l’accueil parfois très sommaire fait aux nouveaux adhérents, qui ne possèdent pas les clés pour comprendre les enjeux internes à l’organisation. Ces situations existent certes dans nombre d’associations, mais de manière souvent moins manifeste, notamment parce que dans le cas des partis politiques les médias mettent largement en avant ces débats internes.
Enfin, l’engagement politique est généralement perçu comme un engagement intéressé : l’objectif est d’obtenir le pouvoir, pour son parti mais aussi parfois pour soi-même, sous la forme d’un mandat électif ou d’un emploi dans l’entourage d’un homme politique. Au contraire, l’engagement associatif est très souvent considéré comme désintéressé, et donc davantage valorisé, notamment dans le champ social.
La faible attractivité des partis politiques est pourtant un phénomène récent. En France, le Parti communiste a longtemps été un élément central de la vie de ses militants, un lieu au sein duquel se construire une nouvelle famille. Le Parti socialiste aussi a été au centre du militantisme politique, notamment dans les années 1970. Aujourd’hui, les partis sociaux-démocrates du Nord de l’Europe restent attractifs et comptent de nombreux adhérents. En France, le manque d’attractivité relative des partis politiques est renforcé par l’idée que le politique ne peut plus grand-chose.
L’engagement politique est-il alors voué à disparaître ? N’y aura-t-il plus à l’avenir, comme militants politiques, que des élus et des futurs élus ?
A notre sens, l’engagement politique reste irremplaçable ; toute réforme de grande ampleur passe par le pouvoir politique. Et contrairement à l’adage dangereusement à la mode selon lequel « gauche et droite, c’est la même chose », plusieurs études ont confirmé que la couleur politique a un impact significatif sur le type de politiques publiques menées, notamment au niveau municipal. Irremplaçable ne signifie pourtant pas que l’engagement politique ne puisse changer, en allant chercher des idées dans les nouvelles formes de proximité venues du monde associatif ou… des campagnes pour les élections municipales.
 
Une génération 
politique issue de 
campagnes électorales 
différentes ?
Comme l’exemple de plusieurs campagnes municipales le montre, il est permis d’espérer.
En effet, le champ de l’engagement politique connaît aujourd’hui des évolutions prometteuses ; celles-ci naissent notamment au sein des campagnes électorales et se diffusent ensuite dans d’autres domaines. Par exemple, nombre de ceux qui avaient activement travaillé avec Barack Obama en 2008, notamment pour mobiliser les électeurs abstentionnistes et élaborer sa stratégie de campagne, travaillent aujourd’hui au service d’associations, de collectivités ou encore du gouvernement. Ils diffusent ainsi des pratiques nouvelles nées dans le contexte électoral.
Plus près de nous, à Paris ou Bordeaux, ou dans des villes plus petites comme Sarrebourg, les élections municipales sont l’occasion de faire de la politique autrement.
Points communs entre ces trois villes: la volonté d’aller à la rencontre des électeurs les plus éloignés de la politique pour les encourager à faire entendre leur voix dans les urnes, et un effort pour mobiliser dans la campagne des citoyens engagés mais non membres de partis politiques. Pour cela, ces équipes misent sur des campagnes ouvertes où la proximité est au cœur de la stratégie.
A Bordeaux, Vincent Feltesse a prévu de frapper avec ses volontaires à la moitié des portes de la ville. Le candidat a annoncé qu’il se rendrait lui-même dans 5.000 foyers, une stratégie de proximité qu’il complète avec des «apéros citoyens» et des événements originaux sur le terrain comme la «Nuit blanche du projet». Pendant toute une nuit, Vincent Feltesse est allé à la rencontre des travailleurs de nuit, souvent ignorés car invisibles pour la majorité d’entre nous. Ce n’est également pas un hasard si de nombreux membres de la liste du candidat socialiste sont des militants associatifs. Peut-être que naîtront de ces expériences des projets de partenariats entre militants politiques et associatifs, par exemple pour mieux prendre en compte les besoins des habitants des quartiers populaires dans les programmes des partis.
A l’instar de la démarche éditoriale récemment initiée par Pierre Rosanvallon, il y a là l’enjeu d’ouvrir les parlements locaux aux « invisibles », c’est-à-dire aux catégories qui de plus en plus désertent la politique.
 
Une génération 
politique issue 
des nouvelles formes 
de sociabilité ?
Mais de nombreuses innovations dans le champ de l’engagement sont élaborées en dehors des partis politiques. C’est le cas de l’initiative portée par « Voisin malin », une association qui s’adresse aux habitants des quartiers difficiles, notamment en leur apportant de l’information à domicile sur des politiques publiques et des services dont ils pourraient bénéficier. Le porte-à-porte est le principal moyen de diffusion de l’information, auquel participent des salariés de l’association qui vivent dans les quartiers dans lesquels ils travaillent. Nous sommes convaincus que les partis ont beaucoup à apprendre de ce qui se fait dans des organisations comme Voisin malin. Cela leur permettrait d’attirer davantage de citoyens en demande d’engagement et de rendre sa splendeur au militantisme politique.
L’association Voisin malin a été fondée par Anne Charpy en 2010. Elle organise des campagnes d’information en porte-à-porte en s’appuyant sur un réseau d’habitants du quartier choisis pour leur charisme relationnel. La clé de la réussite du porte-à-porte ? 
«On fait plus confiance à quelqu’un qui nous ressemble, et fait la même chose que nous», explique Anne Charpy. Lorsque c’est un voisin de son quartier qui frappe à la porte, celle-ci s’ouvre plus fréquemment, huit fois sur dix. Par ailleurs, « le message est ensuite mieux écouté et compris : c’est important d’utiliser des termes simples et un langage de tous les jours ».
Anne Charpy s’est inspirée de deux expériences personnelles. Au Chili dans les années 1990, elle a observé un programme de microcrédit au sein duquel les participants, surtout des femmes, invitaient spontanément leurs voisines chez elles pour en parler.
Ces dynamiques collectives ont permis de mobiliser largement autour du projet. Plus récemment, en Ile-de-France, elle a dirigé un projet visant à connecter les habitants aux services publics, grâce à l’aide de traducteurs.
Et les partis dans tout ça ? « Les partis peuvent nous aider en faisant remonter les bonnes idées, les ressources qui viennent des habitants de ces quartiers ; en donnant une place plus tangible et pas uniquement symbolique à la réalité sociale des quartiers populaires, notamment des personnes venant de l’immigration. Mais nos partenaires les plus directs sont d’abord les villes et leurs élus, de toutes couleurs politiques, notre approche étant ainsi trans-partisane », explique Anne Charpy.
Avant de lancer les voisins sur le terrain, les formations sont primordiales : il faut que «chacun se sente un vrai rôle, une vraie légitimité, un vrai apport pour s’engager davantage. Si on veut être dans le renouvellement des idées, de l’engagement, de l’intelligence collective, il ne faut pas permettre que les rôles de leadership se figent».
Voisin malin participe de la montée des initiatives d’« empowerment » et de « community organizing ». Le terme même de « community organizing » était mentionné seulement deux fois dans les journaux français en 2011 ; il l’était treize fois en 2012 et vingt et une fois en 2013.
Peut-être est-ce là une méthode dont les partis pourraient s’inspirer pour renouveler les pratiques de leurs militants ?
 
*Directeurs de la campagne de 
porte-à-porte de François Hollande en
2012 ; fondateurs du cabinet de conseil en stratégie électorale Liegey Muller Pons et de Cinquante Plus Un, logiciel de campagne utilisé par plus de soixante candidats aux municipales.
Fondation Jean-Jaurès


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