De l’aménagement du territoire au développement territorial : quelle transition et quelle articulation ? :


Par Abdelaziz Adidi *
Mercredi 30 Novembre 2011

De l’aménagement du territoire au développement territorial : quelle transition et quelle articulation ? :
 II- Une nouvelle philosophie du
développement et de l’aménagement du territoire

Suite à un changement de gouvernement, on a décidé d’abandonner les orientations globales de ce plan dans un contexte de crise budgétaire et financière en 1964. C’est le début de l’intervention des institutions internationales (F.M.I. et BIRD) dans les orientations économiques du pays. Le 25 juin 1964, le Maroc signa une convention avec le FMI lui accordant une facilité de 1,3 million de dollars. Le plan triennal 1965-1967 présenté comme un plan de stabilisation fut fortement inspiré de l’idéologie de la BIRD, les options économiques libérales sont affirmées, l’industrie n’est plus une priorité, elle vient après l’agriculture, le tourisme et la formation des cadres. Le taux de croissance économique projeté est très modeste: 3,7% par an.
Le second plan quinquennal 1968-72 reprend les mêmes options que le plan triennal 1965-67 en fixant un taux de croissance de 4,3% par an, la part des investissements publics et semi-publics reste prépondérante : 80%. L’accent sera mis sur l’agriculture tournée vers l’exportation et l’industrie légère.
Le plan 68–72 a été le premier à poser la question de «l’aménagement du territoire» comme politique publique, en l’assimilant – à tort ou à raison - à «une politique de développement régional» et en le définissant selon quatre grands axes :
1. Promouvoir le développement économique par une localisation judicieuse des projets;
2. Contribuer au développement social par une réduction des disparités et une localisation plus rationnelle des infrastructures et des équipements sociaux;
3. Rechercher les actions permettant de protéger et d’accroître les richesses naturelles et protéger la qualité de l’environnement. La lutte contre la dégradation du patrimoine régional, la prolifération urbaine, la protection des ressources naturelles contre l’exploitation abusive et irrationnelle constituent un objectif permanent pour une politique d’aménagement rationnel du territoire ;
4. Associer la population à l’effort de développement, et ce par la participation effective par le biais des institutions élues de la population et des forces vives de la région à la conception, au contrôle et à l’exécution du plan.
Cette définition va être reprise avec quelques légères modifications par tous les plans de développement économique et social successifs à partir de 1973. L’année 1968 verra également la création du Comité interministériel de l’aménagement du Territoire (CIAT).
Mais, c’est en 1971 que le Maroc a commencé à mettre en place un projet de régionalisation  progressive, avec la création de sept régions économiques, érigées en collectivités locales par la Constitution révisée de 1992 et confirmées par celle de 1996 dans son article 100.
Néanmoins, malgré les bonnes intentions des différents gouvernements qui se sont succédé, à travers la création d’un Fonds spécial de développement régional, la promulgation du premier Code des investissement industriels accordant certains avantages fiscaux aux créations d’entreprises et délocalisations selon le lieu d’implantation, et ce dans le but d’encourager la décentralisation industrielle au profit des zones intérieures, la mise en place d’un Programme national d’aménagement des zones industrielles (PNAZI) en 1981, l’aménagement du territoire n’est pas sorti de la sphère du discours politique. Les quelques actions concrétisées durant les années 80 et 90 étaient souvent d’une portée ponctuelle et locale.
Il faut dire que ces deux décennies étaient pour l’économie et l’Etat marocain des années financièrement et socialement extrêmement difficiles : la guerre au Sahara, les années de sécheresse, l’endettement du Maroc, la chute des cours du phosphate et des recettes du tourisme, l’augmentation de la facture pétrolière, …sont autant de facteurs qui ont mis en veilleuse les grands projets structurants du territoire. La mise en œuvre du Programme d’ajustement structurel (PAS) à partir de 1983 a fortement réduit l’effort de l’Etat en matière de développement économique et social.
Il est à noter également que durant les quatre premières décennies de l’Indépendance, les décideurs gouvernementaux étaient « obsédés » de l’idée d’introvertir le développement au profit des régions de l’intérieur en cherchant à affaiblir l’axe urbain atlantique par le dépassement de l’héritage historique, tout en composant avec la contrainte de la géographie physique.

Depuis 1998 : vers la mise en place d’un nouveau mode de gouvernance des territoires?
Les fondements théoriques : L’année 1997 constitue une date charnière dans l’Histoire du Maroc contemporain avec la constitution d’un gouvernement dit « d’alternance » et qui verra se créer un grand ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement, de l’Urbanisme et l’Habitat. L’ordre des thèmes est révélateur de la priorité accordée à chacun d’eux. En tout cas, l’aménagement du territoire renaîtra de ses cendres à travers l’organisation d’un débat national sur l’aménagement du Territoire entre 1999 et 2001, le tout sera couronné par la tenue de la première session du Conseil supérieur de l’aménagement du territoire en 2004. Entre-temps, le Maroc disposera de deux documents de référence : il s’agit de la Charte nationale d’aménagement du Territoire et du Schéma National d’Aménagement du Territoire.
Parallèlement, des inspections régionales d’aménagement du territoire sont mises en place à l’échelle des 16 régions, trois agences de développement sont créées pour couvrir les Provinces du Nord, l’Oriental et les Provinces du Sud. Des Centres Régionaux d’Investissement fonctionnant comme des guichets uniques sont institués dans les 16 régions.
Une attention particulière est accordée au «Maroc inutile» : le Rif, les provinces sahariennes et l’Oriental, en somme des régions laissées pour compte depuis très longtemps.
Ceci dit, une nouvelle philosophie du développement et de l’aménagement du territoire voit le jour. La lutte contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion est hissée au rang de cause nationale. Avec la création de la Fondation Mohammed VI pour la Solidarité et la mise en place de l’Initiative nationale de développement humain (INDH). Le discours sur la région et la régionalisation est présenté comme une nouvelle forme de conciliation entre unité nationale et aspirations régionalistes qui commencent à s’exprimer à travers certains partis politiques et associations à caractère culturel et régional.
L’aménagement du territoire n’est plus présenté comme une politique visant à gommer, ou du moins à réduire les inégalités régionales, mais comme une approche globale publique, transversale et de long terme.
L’action publique comprend toutes les interventions de l’Etat et des collectivités, avec les problèmes de coordination que pose un système à intervenants multiples, d’autant que les acteurs privés sont directement visés et concernés.
L’approche transversale implique de procéder à la synthèse territoriale des différents  domaines sectoriels, aux différentes échelles, et en premier lieu à l’échelle nationale.
La notion de long terme conduit à se situer dans une perspective historique. Il n’est pas question de réinventer le territoire mais de s’inscrire dans les tendances lourdes et d’influer celles qui ne sont plus cohérentes avec les besoins du développement actuel.
C’est ainsi qu’on passe d’une conception physique de l’aménagement du territoire, vers une conception mariant le développement durable, la bonne gouvernance des territoires et la recherche d’une certaine équité sociale. L’aménagement du territoire, c’est la convergence dans le temps de trois échéances majeures :
• L’échéance sociodémographique : c’est la satisfaction des générations actuelles en  termes d’emploi, de logements, d’équipement et infrastructures, etc en réduisant les écarts de revenus et de niveau de vie, tout en s’inscrivant dans les tendances lourdes de l’évolution démographique.
• L’échéance économique : le Maroc voit son économie s’ouvrir sur le monde (les accords d’association ou de libre-échange). Le mot-clef du développement et du raisonnement économique est désormais la compétitivité des territoires.
• L’échéance écologique : les changements climatiques, le stress hydrique, la déforestation, l’érosion des sols, les risques majeurs liés aux territoires,… tout cela débouche sur une situation de forte tension socio-territoriale; la concurrence pour l’accès aux ressources et au travail ne peut que s’accentuer, entre les groupes sociaux et entre les entités spatiales.
La fonction de l’aménagement du territoire est d’ordre territorial : elle permet de veiller à la mise en perspective des problèmes, d’œuvrer à la mise en concertation des acteurs et d’inciter à la mise en cohérence des décisions, aux différentes échelles de la territorialité. En somme, l’aménagement du territoire est présenté comme un nouveau mode de gouvernance définissant de nouveaux rapports entre l’Etat et les territoires.
Ceci étant dit, la nouvelle philosophie de l’aménagement du territoire est venue avec de nouveaux concepts et nouvelles approches qui peuvent être synthétisés comme suit :
1°- La reconnaissance de la prééminence de la ville comme moteur de développement économique : L’urbanisation, ou d’une manière plus précise, la croissance urbaine était perçue comme un fléau à endiguer. La ville est considérée maintenant comme un espace de création de richesses et un moteur de changement social. De même, la gestion des villes ne se réduit plus aux seules questions de ramassage des ordures, d’eau, d’assainissement et de logement. C’est aussi un cadre de partenariat et de synergie entre les différents acteurs en présence.
L’urbanisation tout en étant inéluctable voire souhaitable (politique des villes nouvelles) nécessite des modes de gestion rénovés. Les collectivités locales sont de plus en plus appelées à élargir leurs compétences pour devenir des animateurs économiques, des gestionnaires qui travaillent en partenariat direct avec le secteur privé, c’est le cas de la gestion déléguée des services publics. Elles sont amenées à se prononcer plus fréquemment sur des projets économiques ou sociaux de plus en plus complexes.
La ville est un cadre de création de richesses économiques, culturelles, scientifiques et artistiques. C’est un centre de diffusion des valeurs de partage, de solidarité, de démocratie, de justice, …etc. La ville est dorénavant perçue comme le véritable levier du développement et de la modernisation du pays. Casablanca n’est plus appréhendé comme l’ogre à briser, ou du moins, à affaiblir, mais la métropole économique du pays, la seule capable de concurrencer les grandes villes méditerranéennes de sa taille en attirant des investisseurs potentiels. Les capitaux et les investissements sont de plus en plus exigeants et sélectifs. Casablanca est perçu, aujourd’hui plus que jamais, comme la véritable porte d’entrée du Maroc à la mondialisation.
Le discours porte aujourd’hui sur la nécessité de renforcer sa capacité, son attractivité et sa compétitivité, sans pour autant négliger la nécessité d’équipement et de mise à niveau du reste du territoire national, notamment les régions périphériques et le monde rural.
2°- Une nouvelle vision intégrée du développement basée sur la lutte contre la pauvreté et  l’exclusion : Le leitmotiv de l’arrêt de l’exode rural et de l’éradication de sa traduction spatiale (le bidonville) au niveau des villes constituait la pierre angulaire de la politique urbaine de l’Etat jusqu’à la fin des années quatre-vingts. Actuellement, tant l’urbanisation que l’exode rural sont considérés comme des données inéluctables. Ce changement d’optique a conduit les pouvoirs publics à changer le mode de traitement de la pauvreté urbaine et de l’exclusion sociale. Jusqu’à ces dernières années, la pauvreté et l’exclusion sociale étaient localisées spatialement dans les bidonvilles. L’action des pouvoirs publics était focalisée sur le logement et son équipement au niveau urbain. Cette politique a été étendue au monde rural grâce au programme BAJ (Barnamaj Al Awlaouiate Al Ijtimia) lancé en 1996.
Ce programme des priorités sociales (P.P.S) était étalé sur cinq provinces choisies sur la base d’indicateurs divers (le niveau de vie, l’encadrement médical, le niveau de scolarisation…..).
L’évaluation du BAJ ainsi que d’autres programmes a montré qu’il ne suffisait pas uniquement de construire des routes, des dispensaires ou de raccorder les habitations à l’eau potable et à l’électricité pour éradiquer la pauvreté. Le constat c’est que la meilleure manière de sortir la population urbaine ou rurale de la pauvreté est de lui permettre d’avoir des activités génératrices de revenus. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de réviser de fond en comble la politique sociale publique. D’où l’idée de l’Initiative nationale de développement humain (INDH), qui tout en tirant la leçon des expériences passées, propose une nouvelle démarche. «Les leçons tirées des expériences passées démontrent la pertinence de la démarche ciblée, du développement local intégré, de la programmation participative, de l’appropriation communautaire, de l’intégration des actions sectorielles » (INDH plate-forme pour un plan d’action, Juin 2005. p.7). L’INDH se veut désormais comme un cadre prospectif pour la réorganisation des solidarités de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Elle doit « s’affirmer en tant que cadre prospectif de réorganisation des solidarités sociales et territoriales et de garanties d’efficacité des politiques et des programmes publics » (Rapport sur le développement humain au Maroc». L’avenir se construit et le meilleur est possible « p.39). Sur le plan opérationnel, l’INDH devrait constituer un instrument d’innovation en matière d’ingénierie sociale et de prise en charge partenariale des besoins des populations.
L’exécution des programmes de l’INDH qui s’étalent sur cinq ans (2006-2010) a démarré par l’institution de comités locaux pour le développement humain (CLDH). Ces comités composés d’élus, de représentants de la société civile, des services extérieurs ainsi que de l’autorité locale sont appelés à élaborer de manière concertée des projets et des actions de développement bien définis dans le cadre d’un plan de développement local intégré (Initiative locale pour le développement humain (ILDH)). Ces comités seront également chargés de l’exécution et du suivi du plan, après sa validation par la commission préfectorale.
La maîtrise d’œuvre des projets sera confiée de manière contractuelle aux responsables des services déconcentrés, aux établissements publics concernés, aux collectivités locales et aux Associations.
Ces différentes structures seront appelées à renforcer la capacité de leurs ressources humaines en matière d’élaboration des plans de développement locaux, de montage, suivi et évaluation des projets, la médiation sociale, etc.

*Professeur et directeur de l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme
Texte intégral de l’intervention de l’auteur devant la conférence
intercontinentale en intelligence
 territoriale organisée à l’Université du Québec en Outawais
Demain :
III- Une gouvernance territoriale fondée sur la décentralisation, la concertation et la participation.


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