Dans l’Inde rurale reculée, la chasse aux sorcières tue toujours


Mardi 22 Septembre 2015

Réfugié dans un centre pour enfants de l’est de l’Inde, Ganita Muda est hanté par les cris de sa famille, tuée par les organisateurs d’une chasse aux sorcières.
Ganita a réussi à échapper aux assaillants pour se cacher dans une forêt proche de son village de l’Etat de l’Orissa, restant seul dans la nuit pendant des heures.
“Je ne devrais pas être là. Je me demande encore comment j’ai survécu”, dit le jeune homme de 17 ans à l’AFP en se remémorant cette attaque survenue en juillet dans laquelle ses parents et quatre de ses frères et soeurs, dont l’un de trois ans, ont été tués.
Armés de couteaux, les habitants du village ont attaqué sa famille, s’en prenant à sa mère aux cris de “A mort la sorcière”.
“Ils l’ont accusée d’avoir jeté un sort sur de jeunes enfants tombés malades”, relate le jeune homme, qui a survécu avec un frère de neuf ans.
Pris en charge par une ONG, Ganita se repose dans une maison d’un district voisin où il se remet d’un coup de couteau à l’estomac reçu pendant l’assaut.
Dans l’Inde rurale profondément superstitieuse, de telles agressions surviennent régulièrement et les autorités sont fréquemment mises en cause pour leur inaction.
Quelque 160 meurtres de ce type ont été comptabilisés en 2014 dans 13 Etats indiens, dont 32 en Orissa. Ce nombre est constant sur les dernières années. Au total, 2.300 personnes, essentiellement des femmes, ont été tuées depuis 2000 dans de telles circonstances.
En août, la mort de cinq femmes traînées hors de chez elles et battues à mort dans l’Etat voisin du Jharkhand a fait les titres de la presse internationale.
La police a arrêté 27 personnes pour ces meurtres, déclenchés par un prétendu médecin ayant accusé des “sorcières” d’avoir jeté un sort sur plusieurs villageois décédés.
Ce phénomène “prospère dans ces zones reculées où l’on croit encore que toute maladie, perte de récolte, mort d’un animal ou échec personnel sont liés d’une façon ou d’une autre à la sorcellerie ou au kalajaadu (magie noire)”, dit Bijay Kumar Sharma, un haut responsable de la police de l’Orissa, à l’AFP.
Sharma est chargé de l’application d’une loi votée l’an dernier dans l’Etat pour réduire la criminalité en lien avec les accusations de sorcellerie. D’autres Etats ont introduit des lois similaires qui prévoient peines de prison et amendes pour les auteurs d’accusations de sorcellerie et les agresseurs.
Mais les experts jugent ces lois insuffisantes et soulignent la nécessité d’une meilleure éducation pour vaincre ces superstitions.
“L’ignorance en matière de santé, de justice, d’agriculture et d’élevage est à la racine de tels actes”, dit à l’AFP un militant des droits de l’Homme, Sashiprava Bindhani, basé à Bhubaneshwar, la capitale de l’Orissa.
Ces pratiques sévissent surtout dans des zones pauvres dépourvues de services publics, en particulier de cliniques, où certains villageois s’en remettent à des charlatans qui font le lien entre maladie et magie noire.
“Il faut remédier au manque d’informations et d’accès aux services de base pour mettre fin à ce problème”, dit Bindhani.
La chasse aux sorcières sert aussi de prétexte pour régler des querelles familiales et des disputes foncières. Les victimes sont souvent des femmes dans des villages au fonctionnement patriarcal.
“Elles sont si nombreuses à être prises pour cible, ostracisées, victimes de punitions après avoir été accusées d’être des sorcières. C’est comme une peine de mort sauf que l’on n’en parle jamais”, dit Shashank Shekhar Sinha, un chercheur en train d’écrire un second livre sur ce thème.
Pour Ganita, les quatre heures passées dans la forêt à entendre les appels à l’aide de sa famille sont “les plus longues et les plus effrayantes” de sa vie.

 Le lendemain, un habitant d’un village proche l’a retrouvé et l’a emmené à un poste de police. Dix personnes ont été arrêtées.
Pour autant, l’avenir de Ganita, privé de scolarité et de famille, s’annonce sombre. “Il ne pourra jamais retourner dans son village et retrouver sa vie d’avant”, dit Biplab Mishra, responsable de l’ONG Prakalpa qui s’occupe de lui.
Le jeune homme attend ses 18 ans : “Je commencerai à travailler et déménagerai loin de là avec mon frère”, dit-il.


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