Congrès régional sur la peine de mort : Appel au Maroc pour rejoindre la communauté des nations abolitionnistes


Par Mohammed Bedjaoui
Lundi 29 Octobre 2012

Congrès régional sur la peine de mort : Appel au Maroc pour rejoindre la communauté des nations abolitionnistes
Lorsque des experts et des militants du monde entier se sont réunis à Rabat pour une  conférence sur la peine de mort la semaine dernière, ils l'ont fait en sachant que la campagne internationale pour un monde exempt de cet acte contraire aux droits de l'Homme continuait à gagner de l'ampleur.
Aujourd'hui, l'écrasante majorité des États, plus de 150 pays de toutes les régions et de toutes les cultures selon les Nations unies, ont rejeté la peine capitale. Ils ont reconnu que le meurtre perpétré par l'État, et sa cruauté inhérente, son inefficacité à dissuader le crime et le risque omniprésent d'exécuter des innocents, n'a pas sa place dans des systèmes judiciaires modernes.
En tant que commissaire de la Commission internationale contre la peine de mort, un organisme indépendant opposé à la peine capitale dans tous les cas, composé de 13 commissaires éminents représentant toutes les régions du monde et soutenu par un groupe de 16 gouvernements, j'étais ravi que Rabat ait accueilli le premier Congrès régional sur la peine de mort. J'ai également eu l'honneur de prononcer un discours lors de la manifestation.
Le Congrès régional a été organisé par l'ONG Ensemble contre la peine de mort, en collaboration avec l'Organisation marocaine des droits humains, l'Institut des droits de l'Homme de l'Association internationale du barreau et la Coalition marocaine contre la peine de mort.
L'occasion était importante car, malgré la tendance favorable à l'abolition de la peine de mort, il n'y a pas lieu de se reposer sur ses lauriers. La peine capitale n'existe plus que dans une minorité de pays, mais chaque exécution est de trop et la peine de mort continue de causer un tort immense à des sociétés et des peuples dans le monde entier.
Le mois dernier encore, le Japon a exécuté deux personnes, y compris la première femme à être exécutée depuis 15 ans. La Gambie a récemment repris ses exécutions après 31 ans. Il est regrettable que 2011 soit l'année où les exécutions ont enregistré l'augmentation la plus élevée au Moyen-Orient, soit plus de 50% par rapport à 2010. 99% de ces cas concernent l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Irak et le Yémen.
A ce stade, un petit groupe d'Etats, l'Arabie Saoudite, la Chine, la Corée du Nord, les États- Unis, l'Iran, l'Irak, la Somalie et le Yémen, constituent le groupe d'Etats qui régulièrement, année après année, exécutent le plus grand nombre de condamnés.
Le rôle joué par les Etats-Unis dans ce groupe est éminemment regrettable, compte tenu de son influence dans le monde. Pourtant, il semblerait que le pays soit de moins en moins enclin à appliquer la peine de mort et une étape importante pourrait être franchie le mois prochain lorsque les électeurs de Californie auront l'occasion, le 6 novembre, d'abroger les lois de leur Etat relatives à la peine capitale.
Un rejet de la peine de mort en Californie pourrait avoir des répercussions considérables et encourager d'autres Etats du pays à remplacer la peine de mort par une peine d'emprisonnement à vie et de faire monter la pression internationale sur d'autres pays pour qu'ils aillent également dans le sens de l'abolition.
Il reste encore de nombreux défis à relever, mais il est clair que la peine de mort est en recul. En Afrique, en 2011, seuls l'Egypte, la Somalie, le Soudan et le Sud-Soudan ont procédé (…) à des exécutions; la peine de mort n'existe quasiment plus en Europe, à l'exception du Bélarus; les Etats-Unis sont le seul pays à exécuter dans les Amériques; et l'an dernier, la région Pacifique n'avait plus procédé à des exécutions, à l'exception de cinq condamnations à mort en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Tous les Etats ont un rôle à jouer et des pays tournés vers l'avenir, tels que le Maroc, devraient soutenir la tendance mondiale favorable à l'abolition de la peine capitale.
Le Maroc pourrait adopter deux mesures immédiates.
Pour commencer, il devrait rejoindre la communauté des nations pleinement abolitionnistes.
Bien que le pays soit abolitionniste dans la pratique et n'ait procédé à aucune exécution depuis deux décennies et que l'Article 20 de sa nouvelle constitution adoptée en juillet 2011 consacre le droit à la vie, les tribunaux marocains Continuent de condamner à la peine capitale. Le moment est donc venu pour le Maroc de franchir le pas historique vers l'abolition.
Deuxièmement, le Maroc devrait assumer ses responsabilités internationales et soutenir la prochaine résolution de l'Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire mondial sur les exécutions, prévu pour le mois de décembre prochain. Ce vote est une occasion importante, mais malheureusement le Maroc s'est abstenu lors des votes précédents en décembre 2008 et en décembre 2010.
La peine capitale ne fait rien d'autre que de nuire à la société. C'est le châtiment suprême et il constitue une violation du droit à la vie. Avec du courage et un leadership politique, les autorités de pays tels que le Maroc pourraient et devraient montrer la voie vers l'abolition, chez eux et à l'étranger, et encourager les quelques Etats qui exécutent encore à suivre eux  aussi le chemin de l'abolition.
*
Commissaire de la Commission
internationale contre la peine de mort,
ancien ministre des Affaires étrangères d'Algérie (2005-2007) et ancien juge à la Cour internationale de justice (1982-2001).


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