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Ils s’appellent Raouf, Sarah, Nabil, Carlos, Leïla, Gilles ou autres. Ils appartiennent tous
à la 3ème et à la 4ème générations issues de
l’immigration. Ils sont français, belges, espagnols ou hollandais mais seulement sur les registres officiels puisqu’ils sont souvent tiraillés entre l’identité qu’ils revendiquent et celle qui leur est attribuée. Ils ne sont pas reconnus dans leur identité par leur pays
d’accueil et ils sont souvent renvoyés à leur identité marocaine. Une question qui est devenue une
obsession pour ces jeunes objet aujourd’hui
de discriminations, de racisme, de discours
médiatiques qui leur rappellent toujours qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils n’ont pas les mêmes chances que les autres, qu’ils doivent faire des efforts, qu’ils doivent s’intégrer. Ces jeunes seraient-ils plus authentiques s’ils amputaient une partie d’eux-mêmes, dixit Amin Maalouf dans «Les identités meurtrières» ? Comment peuvent-ils vivre « à la lisère de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles » tout en gardant leur authenticité ? Et pourquoi certaines personnes
ou certaines sociétés vivent-elles mal la confrontation à d’autres identités formulées ou proclamées ?
Telles sont les principales questions qui
constituent le sujet du dernier film documentaire
de Bachir Barrou. Entretien.
Libé : La question de l’identité demeura-t-elle l’éternelle obsession des jeunes issus de la migration ?
Bachir Barrou : A-t-elle été ou est-elle réellement l’éternelle obsession des jeunes issus de la migration ? Tout dépend de comment on définit l’identité et de comment chacun vit son identité. La question identitaire se posera différemment, me semble-t-il, en fonction de la génération à laquelle on appartient, de ses origines, de son statut, des milieux fréquentés, etc. Elle se posera différemment, par exemple, selon qu’on est un primo-arrivant qui fait ses premiers pas dans un nouvel environnement et un jeune issu de l’immigration.
Dans le documentaire, on aborde surtout l’identité nationale mais on se rend rapidement compte qu’il est difficile de réduire quelqu’un à cette appartenance-là car l’identité touche également à d’autres dimensions : le rôle que l’on a dans la famille, l’identité de genre, l’identité professionnelle, nos passions, … même si l’identité nationale n’est pas anodine puisqu’elle renvoie à la place que l’on a dans la société où l’on est né et où l’on a grandi. Ce qui est certain, c’est que l’identité est plurielle et dynamique, elle n’est donc pas figée et se compose au fil du temps et des rencontres.
Pour revenir à la question de départ, elle devient une ‘obsession’, à mon sens, lorsque surgit une tension forte entre l’identité revendiquée et l’identité attribuée.
Les personnes issues de l’immigration, pour revenir au public cible du documentaire, peuvent vivre cela assez régulièrement. Souvent, alors même qu’ils sont belgo-marocains de 3ème ou 4ème génération, les jeunes issus de l’immigration ne sont pas reconnus dans leur identité belge par leur pays, la Belgique. C’est à travers le manque de représentativité, dans les discours politiques et médiatiques, de cette identité nationale qui serait plurielle ainsi que via le racisme structurel qui en découle, que ces jeunes sont souvent renvoyés à leur identité marocaine.
A l’inverse, une fois en vacances dans la famille au Maroc, ils sont considérés comme des Belges. Il est donc compréhensible qu’un questionnement existentiel se pose chez les jeunes. Quelque part, c’est le système qui les renvoie vers le fait d’être appelé ‘jeune issu de l’immigration x ou y et de ne jamais être appelé « belge » ou « français » en tant que tel. C’est un questionnement qui s’adresse également au pays lui-même. L’appellation que l’on attribue à ces jeunes joue sur la manière dont ils vont se sentir reconnus. Ce qui nous ramène à une autre dimension de l’identité : l’image que j’ai de moi et celle que les autres ont de moi. L’une ne va pas sans l’autre…
Le témoignage de Gilles, ’belgo-belge’, dans le documentaire, montre comment le fait de s’être senti ‘étranger’ pendant 2 ans au sein d’un quartier majoritairement belgo-marocain l’a amené à une remise en question de cette identité nationale et à comprendre que ce sentiment «d’étranger» était parfois vécu de manière permanente par des jeunes issus de l’immigration. Ce qui l’a également amené à se redéfinir….
Vu le caractère dynamique de l’identité, je ne pense pas que ce sera une ‘obsession’ éternelle, en tout cas en ce qui concerne l’identité nationale. Prenons l’exemple d’autres immigrations antécédentes : italiennes, espagnoles, portugaises. Même si elles sont sur le même continent, qu’elles ont une religion ou des traditions proches du pays d’accueil, les personnes issues de ces migrations ont également vécu le même processus.
Mais avec le temps, de génération en génération, elles ont pu s’ancrer dans la vie politique et sociale du pays et gagner ainsi une reconnaissance (même s’il a fallu se «faire valoir»). Vu la différence de continent, de religion et le contexte socio-économique mondialisé…, l’interrogation durera peut-être plus longtemps pour des communautés non-européennes mais ne sera pas pour autant éternelle, du moins je l’espère. Tout dépend surtout de comment le pays assumera cette identité plurielle, de par la diversité des habitants qui l’habite, au sens propre comme au figuré.
Mais cette question d’identité au sens large restera éternelle dans un sens où on a toujours besoin de savoir d’où l’on vient. On dit souvent qu’« il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va».
Et cela devient donc une obsession à partir du moment où il y a des discriminations, du racisme, des discours médiatiques qui te rappellent toujours que tu n’es pas d’ici, que tu n’as pas les mêmes chances que l’autre, que tu dois faire des efforts, que tu dois t’intégrer… tout cela amène à des interrogations existentielles sur sa place dans le pays.
Cette question n’est pas propre à la Belgique et peut également se poser pour des immigrés subsahariens au Maroc, comme en témoigne mon précédent documentaire «D’ici et d’ailleurs » qui aborde les ponts qu’il peut y avoir entre les parcours migratoires d’immigrés subsahariens au Maroc et ceux d’immigrés marocains en Belgique.
Les jeunes issus de la migration se sentent-ils plus belges ou citoyens du monde venus d’ailleurs et réclamant une reconnaissance de leur identité ?
Il est difficile de répondre à leur place, il vaudrait mieux leur poser la question. Mais à mon sens et à travers les contacts tissés dans le cadre de mon travail en tant qu’éducateur au sein d’une maison de quartier, ils se sentent plutôt belges, pour la majorité. Je pense qu’il y a vraiment une fierté. Ils se sentent plus belges et le fait qu’ils réclament une reconnaissance c’est aussi une fierté qu’ils portent à l’égard du pays qui les a vus naitre. D’ailleurs, ils sont souvent fiers des deux pays, d’avoir deux origines.
Mais est-ce que c’est quelque chose que le/les pays valorisent ? Dans le cadre d’une mondialisation où l’économie dominante est néolibérale et où la compétitivité, la concurrence sont de mise et où les frontières deviennent donc un enjeu géopolitique, il me semble que non. Pourtant, être porteur de plusieurs cultures et origines est une richesse incroyable en termes de connaissances, de savoir-être et de capacités à s’adapter dans un monde de plus en plus connecté. Comme l’illustre très bien « Leïla » dans le documentaire, on peut du coup souvent «avoir le cul entre deux chaises », comme le dit l’expression.
Elle a choisi le ‘transat’, histoire d’avoir une assise autant ici que là-bas. Mais ce n’est pas vécu de la même manière chez tous les jeunes. En réaction, il peut dès lors y avoir, dans certains cas, une sorte de repli identitaire. Certains jeunes ont ainsi déjà témoigné qu’ils se sentaient plus tunisien ou marocain que belge par exemple. C’est à ce moment-là que l’on peut se poser des questions, et ce questionnement ne serait pas à placer chez le jeune, qui serait à nouveau pris en otage par des mécanismes qui le dépassent, mais plutôt au sein de l’Etat lui-même, dans sa façon d’avoir mené des politiques d’intégration.
Ce qui est sûr, que les jeunes soient issus de l’immigration ou pas, c’est qu’ils sont pour des identités plurielles. Pour une identité plurielle car ils veulent être reconnus avec leur différence, pas seulement culturelle mais également de genre ou à travers les engagements qu’ils ont.
Ce qu’ils réclament n’est donc pas vraiment une identité en tant que telle, c’est plutôt d’être acceptés tels qu’ils sont.
Comment vit-on au quotidien cette identité ?
Ça dépend où. Si c’est à Bruxelles, dans la ville où je vis, tu peux le vivre bien car tu vis dans une ville cosmopolite, multiculturelle. Il y a 184 nationalités différentes au sein de la capitale. Chacun peut donc y trouver son compte. Ce qui n’est pas le cas partout en Belgique. On sera plus facilement confronté à son identité d’origine dans une ville ou un village où on ne passe pas inaperçu. Comme dans la plupart des pays, il y a du racisme.
Et cela peut se ressentir au quotidien mais c’est surtout au niveau structurel que cela est dommageable. Le manque de représentativité de la diversité au sein des institutions, des postes de pouvoir, dans les médias, … amène à des pratiques discriminatoires qui peuvent se ressentir d’autant plus lorsqu’on est d’origine étrangère et qu’on recherche un travail, un logement ou encore lors de démarches administratives. L’égalité de traitement entre les citoyens n’est pas la même, et, quelque part, cela peut amener à se sentir «citoyen de seconde zone ». La loi adoptée il y a quelques années sur la double peine, qui permet non seulement de ‘punir’ quelqu’un pour les délits commis mais également de refouler la personne dans son pays d’origine, pays qu’il ne connaît pas forcément, en est un parfait exemple.
Est-ce que vous ne pensez pas que cette problématique de l’identité est vivement posée aux migrants maghrébins et africains que chez des jeunes d’origine espagnole ou portugaise à titre d’exemple?
La montée du populisme en Europe et celle des discours sur l’identité nationale, comme dans le cas de la France et d’autres pays, démontrent qu’il y a des populations plus visées que d’autres. Certains discours populistes ne font pas de différence entre les enfants qui sont nés et ont grandi dans les pays européens et ceux qui fuient les guerres, les conflits armés et les misères pour une vie digne. Aujourd’hui, un Européen peut s’appeler Mamadou ou encore Mohamed. Et pourtant, cela paraît encore difficilement acceptable par certains populistes ou conservateurs.
Il serait intéressant de montrer des images de personnes nées en Belgique qui ont des origines africaines et des images de ‘belgo-belges’ à des Belges en leur demandant de désigner qui est immigré, selon eux. Je suis persuadé qu’il y aurait un amalgame entre les immigrés et les belges d’origine étrangère. Il suffit de se plonger dans une encyclopédie Larousse du début du 20ème siècle pour se rendre compte que même à ce moment-là une distinction physique était faite entre les Néerlandophones et les Francophones du pays. Pourtant, «l’habit ne fait pas le moine ».
D’où vient cette tendance ? Il est certain que la propagande coloniale de l’époque et toute l’imagerie qui en découle dans l’inconscient collectif y est pour quelque chose. Les évènements récents tels que les attentats du 11 septembre et tout le matraquage médiatique qui s’en est suivi ont également marqué un tournant dans la manière dont sont perçues les communautés de confession musulmane.
Il me semble que plus les différences sont grandes, plus il est difficile de s’intéresser à ce qui nous ressemble et donc rassemble. Or, c’est précisément là que se trouve le défi de notre époque, « unir sans confondre et distinguer sans séparer ».
Le contexte des attentats survenus à Paris et Bruxelles et la soi-disant crise migratoire de 2015 n’ont-ils pas exacerbé le débat sur cette identité ?
Tout à fait, mais pas dans le meilleur sens. Ce contexte a surtout permis d’alimenter le besoin d’une approche sécuritaire concernant les frontières et les migrants et, par ricochet, «les citoyens de seconde zone». D’ailleurs, la loi sur la double peine dont je parlais plus haut a été «revalorisée», comme le disait le secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Théo Francken, en 2017, alors même qu’elle avait été supprimée en 2005.
Le point de vue nationaliste a, une fois de plus, semé la peur de l’Autre au lieu de se saisir de ces tristes évènements pour amorcer un débat citoyen sur les causes de ces attentats. Au lieu d’ouvrir une réflexion collective qui s’attache à comprendre pourquoi des jeunes se sont sentis appelés par le départ en Syrie, c’est une fois de plus le pas de la stigmatisation des jeunes d’origine africaine qui a été enclenché, et ce notamment à travers des programmes de déradicalisation.
Ce problème d’identité traduit-il l’échec des politiques d’intégration ou plutôt un refus des migrants à assumer une identité multiple ?
Il est important de savoir que la prise de conscience concernant la mise en place des politiques d’intégration est assez récente. Ce n’est que dans les années 90, suite à la montée de l’extrême droite en Flandres et suite aux émeutes/révoltes des jeunes issus de l’immigration, que des politiques d’intégration ont été vues comme une nécessité et qu’elles se sont institutionnalisées. Ceci autour de trois axes : la lutte contre le racisme, l’assouplissement continu des modes d’acquisition de la nationalité belge et, enfin, des politiques sociales locales visant la pacification urbaine et la lutte contre les désavantages sociaux des immigrés.
Cette prise de conscience s’est faite de manière lente due, entre autres, à la complexité institutionnelle en Belgique. La compétence en charge des politiques d’intégration est d’ailleurs menée de manière différente selon qu’on soit en région flamande, wallonne ou bruxelloise.
A titre d’exemple, ce n’est que depuis 2013 que des bureaux d’accueil pour des personnes primo-arrivantes ont été ouverts, leur permettant d’accéder à un parcours d’accueil qui donne la possibilité de mettre à niveau la langue, de connaître leurs droits et devoirs et de suivre un module sur la citoyenneté. Tout cela pour qu’elles acquièrent des repères dans ce nouvel environnement. Et nous parlons ici de politiques destinées aux nouveaux arrivants.
Il est très intéressant de voir aujourd’hui la prise de parole dans l’espace public des collectifs, des mouvements et des associations antiracistes, qui sont constitués majoritairement de Belges issus de l’immigration. Ces derniers dénoncent notamment le manque de reconnaissance voire le déni du passé colonial de la Belgique.
En effet, on passe bien trop souvent sous silence l’apport des tirailleurs étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale. Fiers de leurs identités, ils posent des débats collectifs qui touchent à de nombreuses thématiques. C’est ce qui a permis également des interrogations sur les différentes formes de féminismes, et sur les revendications spécifiques qui s’y rattachent selon qu’on soit une femme blanche ou une femme racisée, porteuse de différentes discriminations à la fois…
Ce sont ici quelques illustrations non-exhaustives mais il semble que la question migratoire devient en quelque sorte un miroir d’un rapport de force qui a longtemps existé et qu’il est temps de reconnaître et de ‘réparer’. Je ne parlerai donc pas d’un échec puisqu’il s’agit d’un processus mais plutôt d’un manque d’investissement ou de clairvoyance par rapport à l’enjeu ou au levier que peut devenir une réelle politique d’intégration pour le pays lui-même. Car l’intégration n’est pas une fin en soi. Elle implique bien évidemment l’ensemble des citoyens dans un processus de reconnaissance mutuelle, et non seulement les primo-arrivants ou encore les Belges d’origine étrangère.
A défaut, on peut facilement tomber dans un certain assimilationnisme. Et comme le dit si bien Vincent de Coorebyter (CRISP), dans un article intitulé « Comment s’intégrer dans un pays qui se désintègre ? » (paru dans Agenda Interculturel, Avril 2011, n°292), en faisant référence aux deux grandes communautés linguistiques qui déchirent petit à petit le pays et qui mettent dans le flou une identité nationale perceptible : «Lorsque les discours sur l’intégration ou le vivre-ensemble prennent la forme de plaidoyers en faveur d’une assimilation des valeurs nationales (or c’est bien ainsi que le débat sur l’islam est ressenti par une partie des intéressés), ou lorsque l’on évoque, face à des revendications religieuses, le risque de dérive communautariste, il est tentant de rétorquer que la Belgique n’a pas de leçons à donner, elle qui ne parvient pas à accorder ses principales composantes ».
Dans votre film « Enfants d’ici, Parents d’ailleurs », vous poursuivez la réflexion autour des vécus migratoires. Qu’avez-vous appris sur ce vécu ?
Alors que les vécus migratoires sont souvent présentés comme une problématique en tant de crise économique, je me suis rendu compte que cette façon d’appréhender le phénomène ne permettait pas d’entrevoir la partie cachée de l’iceberg. En effet, comme en témoignent certains intervenants dans le documentaire, la migration amène indéniablement à un questionnement et un changement identitaires. Il s’agit d’un processus constitué de plusieurs étapes qui vont conduire à une désorientation de ces propres repères, à un rejet, pour finalement arriver à une réappropriation subjective.
Et ce processus impacte autant les premiers concernés et leurs proches, voire leurs descendants, que le pays d’accueil voire d’origine. Bien que ce phénomène soit vieux comme le monde, il est traité de façon différente selon les époques et les contextes dans lequel il apparaît. La criminalisation des migrants, suite aux dernières vagues migratoires liées aux guerres en Syrie et en Iraq, s’est traduite par une levée de boucliers, prétextant l’envahissement ou encore l’impossibilité de pouvoir « accueillir toute la misère du monde », réduisant ainsi des personnes en détresse à un problème, à une tare… Cette réaction à vif ne permet pas de s’intéresser aux migrants et à leur situation et ainsi de mieux comprendre ce qui leur arrive.
Cela n’habilite pas à saisir l’impact qu’ont les relations internationales au niveau politique, économique dans leur quotidien. Dans un projet musical du groupe Fafoul, soutenu par Nomad’s Prod, les artistes vont justement dénoncer, via un appel citoyen nommé «Nunca más», le manque d’humanisme en déconstruisant certains stéréotypes et en s’intéressant à ce que la migration apporte comme difficulté en tant que telle dans notre contexte.
Le vidéo-clip est ainsi porté d’une seule voix par une multitude de citoyen(ne)s, dont des personnalités des mondes politique, associatif et artistique pour dire, ensemble, « Plus jamais » à une approche inhumaine de la migration (https://www.youtube.com /watch?v=4oym0rDApuU). Le documentaire se veut également un outil pour plonger dans ces réalités-là afin de déconstruire une série de stéréotypes. La migration reste un phénomène tout à la fois naturel et complexe : il appelle à ce qu’on soulève ses tabous.
Est-ce que c’est facile de traiter le sujet en tant que réalisateur issu de la migration qui est à la fois sujet et observateur ?
Il est certain qu’il y a un biais vu que je suis moi-même passé par là. Le documentaire ne se veut pas non plus une réponse toute faite à l’objet traité. Il s’agit plutôt d’amener à un questionnement, d’ouvrir le débat, qu’il soit, en quelque sorte, un outil pour créer des ateliers de débats dans des écoles ou dans des espaces citoyens. A mon sens, c’est là que se trouve toute la richesse d’une telle démarche par rapport au thème abordé.
Même dans une recherche en sciences sociales on ne peut prétendre à une objectivité complète tant il y a des biais : le rapport entre le chercheur et la thématique abordée, la méthodologie utilisée,… Mais avoir conscience de nos propres prismes et prendre distance pour finalement arriver à une narration qui ne nous appartient pas totalement (puisqu’elle prend corps via d’autres visions et d’autres vécus) me semble une démarche enrichissante.
Le projet a d’ailleurs pris plusieurs années avant d’arriver à ce résultat. Il s’est mué en cours de route, il a voyagé, rencontré plusieurs personnes qui y ont mis de leur réflexion. Je dois avouer que, tout à la fois, je ne suis finalement qu’un maillon dans cette aventure… mais il me serait difficile d’entreprendre un tel projet si cette thématique qui ne m’habitait pas…
C’est d’ailleurs également l’objet de l’Asbl Nomad’s Prod dont je fais partie : créer des ponts à travers les outils audio-visuels entre des thématiques qui touchent à l’interculturalité.
Un débat objectif et serein est-il possible sur cette question d’identité ?
S’il s’agit de mieux comprendre de quoi est composé l’identité et les mécanismes à l’oeuvre, ce qui permettrait à chacun de mieux se situer, je pense que oui. S’il s’agit de se mettre d’accord sur une identité commune et hermétique, je ne vois pas en quoi cela serait nécessaire. Cette question d’identité est d’ailleurs souvent instrumentalisée par le politique pour attirer un électorat ou pour distinguer qui fait partie d’un pays ou pas, ce qui amène plutôt à une division. Je ne pense pas que l’Etat doive se saisir de cette question car elle est foncièrement subjective.
L’Etat doit plutôt être le reflet d’une pluralité d’identités et mettre des actions en place pour répondre à la diversité des besoins de sa population. Seulement, c’est souvent de la majorité dont elle est le reflet, mettant de côté toutes les minorités…
à la 3ème et à la 4ème générations issues de
l’immigration. Ils sont français, belges, espagnols ou hollandais mais seulement sur les registres officiels puisqu’ils sont souvent tiraillés entre l’identité qu’ils revendiquent et celle qui leur est attribuée. Ils ne sont pas reconnus dans leur identité par leur pays
d’accueil et ils sont souvent renvoyés à leur identité marocaine. Une question qui est devenue une
obsession pour ces jeunes objet aujourd’hui
de discriminations, de racisme, de discours
médiatiques qui leur rappellent toujours qu’ils ne sont pas d’ici, qu’ils n’ont pas les mêmes chances que les autres, qu’ils doivent faire des efforts, qu’ils doivent s’intégrer. Ces jeunes seraient-ils plus authentiques s’ils amputaient une partie d’eux-mêmes, dixit Amin Maalouf dans «Les identités meurtrières» ? Comment peuvent-ils vivre « à la lisère de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles » tout en gardant leur authenticité ? Et pourquoi certaines personnes
ou certaines sociétés vivent-elles mal la confrontation à d’autres identités formulées ou proclamées ?
Telles sont les principales questions qui
constituent le sujet du dernier film documentaire
de Bachir Barrou. Entretien.
Libé : La question de l’identité demeura-t-elle l’éternelle obsession des jeunes issus de la migration ?
Bachir Barrou : A-t-elle été ou est-elle réellement l’éternelle obsession des jeunes issus de la migration ? Tout dépend de comment on définit l’identité et de comment chacun vit son identité. La question identitaire se posera différemment, me semble-t-il, en fonction de la génération à laquelle on appartient, de ses origines, de son statut, des milieux fréquentés, etc. Elle se posera différemment, par exemple, selon qu’on est un primo-arrivant qui fait ses premiers pas dans un nouvel environnement et un jeune issu de l’immigration.
Dans le documentaire, on aborde surtout l’identité nationale mais on se rend rapidement compte qu’il est difficile de réduire quelqu’un à cette appartenance-là car l’identité touche également à d’autres dimensions : le rôle que l’on a dans la famille, l’identité de genre, l’identité professionnelle, nos passions, … même si l’identité nationale n’est pas anodine puisqu’elle renvoie à la place que l’on a dans la société où l’on est né et où l’on a grandi. Ce qui est certain, c’est que l’identité est plurielle et dynamique, elle n’est donc pas figée et se compose au fil du temps et des rencontres.
Pour revenir à la question de départ, elle devient une ‘obsession’, à mon sens, lorsque surgit une tension forte entre l’identité revendiquée et l’identité attribuée.
Les personnes issues de l’immigration, pour revenir au public cible du documentaire, peuvent vivre cela assez régulièrement. Souvent, alors même qu’ils sont belgo-marocains de 3ème ou 4ème génération, les jeunes issus de l’immigration ne sont pas reconnus dans leur identité belge par leur pays, la Belgique. C’est à travers le manque de représentativité, dans les discours politiques et médiatiques, de cette identité nationale qui serait plurielle ainsi que via le racisme structurel qui en découle, que ces jeunes sont souvent renvoyés à leur identité marocaine.
A l’inverse, une fois en vacances dans la famille au Maroc, ils sont considérés comme des Belges. Il est donc compréhensible qu’un questionnement existentiel se pose chez les jeunes. Quelque part, c’est le système qui les renvoie vers le fait d’être appelé ‘jeune issu de l’immigration x ou y et de ne jamais être appelé « belge » ou « français » en tant que tel. C’est un questionnement qui s’adresse également au pays lui-même. L’appellation que l’on attribue à ces jeunes joue sur la manière dont ils vont se sentir reconnus. Ce qui nous ramène à une autre dimension de l’identité : l’image que j’ai de moi et celle que les autres ont de moi. L’une ne va pas sans l’autre…
Le témoignage de Gilles, ’belgo-belge’, dans le documentaire, montre comment le fait de s’être senti ‘étranger’ pendant 2 ans au sein d’un quartier majoritairement belgo-marocain l’a amené à une remise en question de cette identité nationale et à comprendre que ce sentiment «d’étranger» était parfois vécu de manière permanente par des jeunes issus de l’immigration. Ce qui l’a également amené à se redéfinir….
Vu le caractère dynamique de l’identité, je ne pense pas que ce sera une ‘obsession’ éternelle, en tout cas en ce qui concerne l’identité nationale. Prenons l’exemple d’autres immigrations antécédentes : italiennes, espagnoles, portugaises. Même si elles sont sur le même continent, qu’elles ont une religion ou des traditions proches du pays d’accueil, les personnes issues de ces migrations ont également vécu le même processus.
Mais avec le temps, de génération en génération, elles ont pu s’ancrer dans la vie politique et sociale du pays et gagner ainsi une reconnaissance (même s’il a fallu se «faire valoir»). Vu la différence de continent, de religion et le contexte socio-économique mondialisé…, l’interrogation durera peut-être plus longtemps pour des communautés non-européennes mais ne sera pas pour autant éternelle, du moins je l’espère. Tout dépend surtout de comment le pays assumera cette identité plurielle, de par la diversité des habitants qui l’habite, au sens propre comme au figuré.
Mais cette question d’identité au sens large restera éternelle dans un sens où on a toujours besoin de savoir d’où l’on vient. On dit souvent qu’« il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va».
Et cela devient donc une obsession à partir du moment où il y a des discriminations, du racisme, des discours médiatiques qui te rappellent toujours que tu n’es pas d’ici, que tu n’as pas les mêmes chances que l’autre, que tu dois faire des efforts, que tu dois t’intégrer… tout cela amène à des interrogations existentielles sur sa place dans le pays.
Cette question n’est pas propre à la Belgique et peut également se poser pour des immigrés subsahariens au Maroc, comme en témoigne mon précédent documentaire «D’ici et d’ailleurs » qui aborde les ponts qu’il peut y avoir entre les parcours migratoires d’immigrés subsahariens au Maroc et ceux d’immigrés marocains en Belgique.
Les jeunes issus de la migration se sentent-ils plus belges ou citoyens du monde venus d’ailleurs et réclamant une reconnaissance de leur identité ?
Il est difficile de répondre à leur place, il vaudrait mieux leur poser la question. Mais à mon sens et à travers les contacts tissés dans le cadre de mon travail en tant qu’éducateur au sein d’une maison de quartier, ils se sentent plutôt belges, pour la majorité. Je pense qu’il y a vraiment une fierté. Ils se sentent plus belges et le fait qu’ils réclament une reconnaissance c’est aussi une fierté qu’ils portent à l’égard du pays qui les a vus naitre. D’ailleurs, ils sont souvent fiers des deux pays, d’avoir deux origines.
Mais est-ce que c’est quelque chose que le/les pays valorisent ? Dans le cadre d’une mondialisation où l’économie dominante est néolibérale et où la compétitivité, la concurrence sont de mise et où les frontières deviennent donc un enjeu géopolitique, il me semble que non. Pourtant, être porteur de plusieurs cultures et origines est une richesse incroyable en termes de connaissances, de savoir-être et de capacités à s’adapter dans un monde de plus en plus connecté. Comme l’illustre très bien « Leïla » dans le documentaire, on peut du coup souvent «avoir le cul entre deux chaises », comme le dit l’expression.
Elle a choisi le ‘transat’, histoire d’avoir une assise autant ici que là-bas. Mais ce n’est pas vécu de la même manière chez tous les jeunes. En réaction, il peut dès lors y avoir, dans certains cas, une sorte de repli identitaire. Certains jeunes ont ainsi déjà témoigné qu’ils se sentaient plus tunisien ou marocain que belge par exemple. C’est à ce moment-là que l’on peut se poser des questions, et ce questionnement ne serait pas à placer chez le jeune, qui serait à nouveau pris en otage par des mécanismes qui le dépassent, mais plutôt au sein de l’Etat lui-même, dans sa façon d’avoir mené des politiques d’intégration.
Ce qui est sûr, que les jeunes soient issus de l’immigration ou pas, c’est qu’ils sont pour des identités plurielles. Pour une identité plurielle car ils veulent être reconnus avec leur différence, pas seulement culturelle mais également de genre ou à travers les engagements qu’ils ont.
Ce qu’ils réclament n’est donc pas vraiment une identité en tant que telle, c’est plutôt d’être acceptés tels qu’ils sont.
Comment vit-on au quotidien cette identité ?
Ça dépend où. Si c’est à Bruxelles, dans la ville où je vis, tu peux le vivre bien car tu vis dans une ville cosmopolite, multiculturelle. Il y a 184 nationalités différentes au sein de la capitale. Chacun peut donc y trouver son compte. Ce qui n’est pas le cas partout en Belgique. On sera plus facilement confronté à son identité d’origine dans une ville ou un village où on ne passe pas inaperçu. Comme dans la plupart des pays, il y a du racisme.
Et cela peut se ressentir au quotidien mais c’est surtout au niveau structurel que cela est dommageable. Le manque de représentativité de la diversité au sein des institutions, des postes de pouvoir, dans les médias, … amène à des pratiques discriminatoires qui peuvent se ressentir d’autant plus lorsqu’on est d’origine étrangère et qu’on recherche un travail, un logement ou encore lors de démarches administratives. L’égalité de traitement entre les citoyens n’est pas la même, et, quelque part, cela peut amener à se sentir «citoyen de seconde zone ». La loi adoptée il y a quelques années sur la double peine, qui permet non seulement de ‘punir’ quelqu’un pour les délits commis mais également de refouler la personne dans son pays d’origine, pays qu’il ne connaît pas forcément, en est un parfait exemple.
Est-ce que vous ne pensez pas que cette problématique de l’identité est vivement posée aux migrants maghrébins et africains que chez des jeunes d’origine espagnole ou portugaise à titre d’exemple?
La montée du populisme en Europe et celle des discours sur l’identité nationale, comme dans le cas de la France et d’autres pays, démontrent qu’il y a des populations plus visées que d’autres. Certains discours populistes ne font pas de différence entre les enfants qui sont nés et ont grandi dans les pays européens et ceux qui fuient les guerres, les conflits armés et les misères pour une vie digne. Aujourd’hui, un Européen peut s’appeler Mamadou ou encore Mohamed. Et pourtant, cela paraît encore difficilement acceptable par certains populistes ou conservateurs.
Il serait intéressant de montrer des images de personnes nées en Belgique qui ont des origines africaines et des images de ‘belgo-belges’ à des Belges en leur demandant de désigner qui est immigré, selon eux. Je suis persuadé qu’il y aurait un amalgame entre les immigrés et les belges d’origine étrangère. Il suffit de se plonger dans une encyclopédie Larousse du début du 20ème siècle pour se rendre compte que même à ce moment-là une distinction physique était faite entre les Néerlandophones et les Francophones du pays. Pourtant, «l’habit ne fait pas le moine ».
D’où vient cette tendance ? Il est certain que la propagande coloniale de l’époque et toute l’imagerie qui en découle dans l’inconscient collectif y est pour quelque chose. Les évènements récents tels que les attentats du 11 septembre et tout le matraquage médiatique qui s’en est suivi ont également marqué un tournant dans la manière dont sont perçues les communautés de confession musulmane.
Il me semble que plus les différences sont grandes, plus il est difficile de s’intéresser à ce qui nous ressemble et donc rassemble. Or, c’est précisément là que se trouve le défi de notre époque, « unir sans confondre et distinguer sans séparer ».
Le contexte des attentats survenus à Paris et Bruxelles et la soi-disant crise migratoire de 2015 n’ont-ils pas exacerbé le débat sur cette identité ?
Tout à fait, mais pas dans le meilleur sens. Ce contexte a surtout permis d’alimenter le besoin d’une approche sécuritaire concernant les frontières et les migrants et, par ricochet, «les citoyens de seconde zone». D’ailleurs, la loi sur la double peine dont je parlais plus haut a été «revalorisée», comme le disait le secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration, Théo Francken, en 2017, alors même qu’elle avait été supprimée en 2005.
Le point de vue nationaliste a, une fois de plus, semé la peur de l’Autre au lieu de se saisir de ces tristes évènements pour amorcer un débat citoyen sur les causes de ces attentats. Au lieu d’ouvrir une réflexion collective qui s’attache à comprendre pourquoi des jeunes se sont sentis appelés par le départ en Syrie, c’est une fois de plus le pas de la stigmatisation des jeunes d’origine africaine qui a été enclenché, et ce notamment à travers des programmes de déradicalisation.
Ce problème d’identité traduit-il l’échec des politiques d’intégration ou plutôt un refus des migrants à assumer une identité multiple ?
Il est important de savoir que la prise de conscience concernant la mise en place des politiques d’intégration est assez récente. Ce n’est que dans les années 90, suite à la montée de l’extrême droite en Flandres et suite aux émeutes/révoltes des jeunes issus de l’immigration, que des politiques d’intégration ont été vues comme une nécessité et qu’elles se sont institutionnalisées. Ceci autour de trois axes : la lutte contre le racisme, l’assouplissement continu des modes d’acquisition de la nationalité belge et, enfin, des politiques sociales locales visant la pacification urbaine et la lutte contre les désavantages sociaux des immigrés.
Cette prise de conscience s’est faite de manière lente due, entre autres, à la complexité institutionnelle en Belgique. La compétence en charge des politiques d’intégration est d’ailleurs menée de manière différente selon qu’on soit en région flamande, wallonne ou bruxelloise.
A titre d’exemple, ce n’est que depuis 2013 que des bureaux d’accueil pour des personnes primo-arrivantes ont été ouverts, leur permettant d’accéder à un parcours d’accueil qui donne la possibilité de mettre à niveau la langue, de connaître leurs droits et devoirs et de suivre un module sur la citoyenneté. Tout cela pour qu’elles acquièrent des repères dans ce nouvel environnement. Et nous parlons ici de politiques destinées aux nouveaux arrivants.
Il est très intéressant de voir aujourd’hui la prise de parole dans l’espace public des collectifs, des mouvements et des associations antiracistes, qui sont constitués majoritairement de Belges issus de l’immigration. Ces derniers dénoncent notamment le manque de reconnaissance voire le déni du passé colonial de la Belgique.
En effet, on passe bien trop souvent sous silence l’apport des tirailleurs étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale. Fiers de leurs identités, ils posent des débats collectifs qui touchent à de nombreuses thématiques. C’est ce qui a permis également des interrogations sur les différentes formes de féminismes, et sur les revendications spécifiques qui s’y rattachent selon qu’on soit une femme blanche ou une femme racisée, porteuse de différentes discriminations à la fois…
Ce sont ici quelques illustrations non-exhaustives mais il semble que la question migratoire devient en quelque sorte un miroir d’un rapport de force qui a longtemps existé et qu’il est temps de reconnaître et de ‘réparer’. Je ne parlerai donc pas d’un échec puisqu’il s’agit d’un processus mais plutôt d’un manque d’investissement ou de clairvoyance par rapport à l’enjeu ou au levier que peut devenir une réelle politique d’intégration pour le pays lui-même. Car l’intégration n’est pas une fin en soi. Elle implique bien évidemment l’ensemble des citoyens dans un processus de reconnaissance mutuelle, et non seulement les primo-arrivants ou encore les Belges d’origine étrangère.
A défaut, on peut facilement tomber dans un certain assimilationnisme. Et comme le dit si bien Vincent de Coorebyter (CRISP), dans un article intitulé « Comment s’intégrer dans un pays qui se désintègre ? » (paru dans Agenda Interculturel, Avril 2011, n°292), en faisant référence aux deux grandes communautés linguistiques qui déchirent petit à petit le pays et qui mettent dans le flou une identité nationale perceptible : «Lorsque les discours sur l’intégration ou le vivre-ensemble prennent la forme de plaidoyers en faveur d’une assimilation des valeurs nationales (or c’est bien ainsi que le débat sur l’islam est ressenti par une partie des intéressés), ou lorsque l’on évoque, face à des revendications religieuses, le risque de dérive communautariste, il est tentant de rétorquer que la Belgique n’a pas de leçons à donner, elle qui ne parvient pas à accorder ses principales composantes ».
Dans votre film « Enfants d’ici, Parents d’ailleurs », vous poursuivez la réflexion autour des vécus migratoires. Qu’avez-vous appris sur ce vécu ?
Alors que les vécus migratoires sont souvent présentés comme une problématique en tant de crise économique, je me suis rendu compte que cette façon d’appréhender le phénomène ne permettait pas d’entrevoir la partie cachée de l’iceberg. En effet, comme en témoignent certains intervenants dans le documentaire, la migration amène indéniablement à un questionnement et un changement identitaires. Il s’agit d’un processus constitué de plusieurs étapes qui vont conduire à une désorientation de ces propres repères, à un rejet, pour finalement arriver à une réappropriation subjective.
Et ce processus impacte autant les premiers concernés et leurs proches, voire leurs descendants, que le pays d’accueil voire d’origine. Bien que ce phénomène soit vieux comme le monde, il est traité de façon différente selon les époques et les contextes dans lequel il apparaît. La criminalisation des migrants, suite aux dernières vagues migratoires liées aux guerres en Syrie et en Iraq, s’est traduite par une levée de boucliers, prétextant l’envahissement ou encore l’impossibilité de pouvoir « accueillir toute la misère du monde », réduisant ainsi des personnes en détresse à un problème, à une tare… Cette réaction à vif ne permet pas de s’intéresser aux migrants et à leur situation et ainsi de mieux comprendre ce qui leur arrive.
Cela n’habilite pas à saisir l’impact qu’ont les relations internationales au niveau politique, économique dans leur quotidien. Dans un projet musical du groupe Fafoul, soutenu par Nomad’s Prod, les artistes vont justement dénoncer, via un appel citoyen nommé «Nunca más», le manque d’humanisme en déconstruisant certains stéréotypes et en s’intéressant à ce que la migration apporte comme difficulté en tant que telle dans notre contexte.
Le vidéo-clip est ainsi porté d’une seule voix par une multitude de citoyen(ne)s, dont des personnalités des mondes politique, associatif et artistique pour dire, ensemble, « Plus jamais » à une approche inhumaine de la migration (https://www.youtube.com /watch?v=4oym0rDApuU). Le documentaire se veut également un outil pour plonger dans ces réalités-là afin de déconstruire une série de stéréotypes. La migration reste un phénomène tout à la fois naturel et complexe : il appelle à ce qu’on soulève ses tabous.
Est-ce que c’est facile de traiter le sujet en tant que réalisateur issu de la migration qui est à la fois sujet et observateur ?
Il est certain qu’il y a un biais vu que je suis moi-même passé par là. Le documentaire ne se veut pas non plus une réponse toute faite à l’objet traité. Il s’agit plutôt d’amener à un questionnement, d’ouvrir le débat, qu’il soit, en quelque sorte, un outil pour créer des ateliers de débats dans des écoles ou dans des espaces citoyens. A mon sens, c’est là que se trouve toute la richesse d’une telle démarche par rapport au thème abordé.
Même dans une recherche en sciences sociales on ne peut prétendre à une objectivité complète tant il y a des biais : le rapport entre le chercheur et la thématique abordée, la méthodologie utilisée,… Mais avoir conscience de nos propres prismes et prendre distance pour finalement arriver à une narration qui ne nous appartient pas totalement (puisqu’elle prend corps via d’autres visions et d’autres vécus) me semble une démarche enrichissante.
Le projet a d’ailleurs pris plusieurs années avant d’arriver à ce résultat. Il s’est mué en cours de route, il a voyagé, rencontré plusieurs personnes qui y ont mis de leur réflexion. Je dois avouer que, tout à la fois, je ne suis finalement qu’un maillon dans cette aventure… mais il me serait difficile d’entreprendre un tel projet si cette thématique qui ne m’habitait pas…
C’est d’ailleurs également l’objet de l’Asbl Nomad’s Prod dont je fais partie : créer des ponts à travers les outils audio-visuels entre des thématiques qui touchent à l’interculturalité.
Un débat objectif et serein est-il possible sur cette question d’identité ?
S’il s’agit de mieux comprendre de quoi est composé l’identité et les mécanismes à l’oeuvre, ce qui permettrait à chacun de mieux se situer, je pense que oui. S’il s’agit de se mettre d’accord sur une identité commune et hermétique, je ne vois pas en quoi cela serait nécessaire. Cette question d’identité est d’ailleurs souvent instrumentalisée par le politique pour attirer un électorat ou pour distinguer qui fait partie d’un pays ou pas, ce qui amène plutôt à une division. Je ne pense pas que l’Etat doive se saisir de cette question car elle est foncièrement subjective.
L’Etat doit plutôt être le reflet d’une pluralité d’identités et mettre des actions en place pour répondre à la diversité des besoins de sa population. Seulement, c’est souvent de la majorité dont elle est le reflet, mettant de côté toutes les minorités…
Bio express
1983 : Naissance à Tiznit
2008 : Départ vers Bruxelles pour poursuivre des études de cinéma.
2012 : Réalisation du film « Hors de l'ombre ».
2014 - Réalisation du film « Je suis d'ici et d'ailleurs ».
2015 : Diplôme en médiation interculturelle, spécialisation : communication et média.
2016 : Fondation du projet Nomad’s Prod
2008 : Départ vers Bruxelles pour poursuivre des études de cinéma.
2012 : Réalisation du film « Hors de l'ombre ».
2014 - Réalisation du film « Je suis d'ici et d'ailleurs ».
2015 : Diplôme en médiation interculturelle, spécialisation : communication et média.
2016 : Fondation du projet Nomad’s Prod