Ce qu’il a été convenu d’appeleLe Printemps arabe risque-t-il d’accélérer : le processus de résolution du différend saharien ?


Par Najib Mouhtadi
Mardi 3 Janvier 2012

Ce qu’il a été convenu d’appeleLe Printemps arabe risque-t-il d’accélérer : le processus de résolution du différend saharien ?
Ce qu’il a été convenu d’appeler le « Printemps arabe » a décidément fait bouger les lignes de démarcation du pouvoir dans nombre de pays, chassé au passage quelques présidents mal élus en Tunisie et en Égypte en l’occurrence, et bien qu’il ait jeté d’autres pays dans le chaos, il a néanmoins entrouvert une brèche pour la construction du Maghreb, et la résolution du différend du Sahara occidental, tout en continuant d’acculer le Maroc et l’Algérie à trouver un terrain de compromis pour un rapprochement rationnel et profitable, pour les peuples de la région.
Au Maroc, le vent de la contestation de la rue a eu au moins le mérite de précipiter des réformes institutionnelles majeures restées en suspens, notamment la consolidation du front de la démocratie et l’ouverture d’un grand chantier de régionalisation qui sous-tend une meilleure participation du citoyen à la gestion de la chose locale. La politique étrangère étant le prolongement naturel du fonctionnement institutionnel interne, il y a lieu de considérer que les changements profonds dans le Royaume, semblent mettre davantage toutes les chances du côté d’une solution politique négociée entre le Maroc et le Polisario.
Si la dernière rencontre entre les délégations du Maroc et du Polisario ayant eu lieu entre le 19 et le 21 juillet 2011 dans la banlieue de New York, à Greentree, a confirmé une fois de plus la réalité connue de tous, à savoir l’absence d’une issue à court terme pour le conflit du Sahara occidental, le cours de l’histoire s’achemine vers l’épilogue de l’un des rares conflits hérités de l’ère de la guerre froide, et qui persiste encore à reconnaître le changement fondamental de circonstances. Dans le sillage du Plan Marocain d’Autonomie (PMA), la Communauté internationale a de nouveau réitéré le souhait que les parties au conflit parviennent à « (...) trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental dans le cadre d’arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies », comme l’a souligné le communiqué du service d’informations des Nations Unies en date du jeudi 22 juillet 2011.
Ces pourparlers informels, tenus sous les auspices du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de son Envoyé personnel pour le Sahara occidental, Christopher Ross, ne semblent pas vouloir sortir de la routine des précédentes rencontres, engagées sous la houlette de l’ancien Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Sahara occidental, Peter Van Walsum, qui avaient abouti en toute logique, à la conclusion selon laquelle l’indépendance du territoire saharien était « irréalisable et irréaliste ». Faisant le point du déroulé des pourparlers précités, un communiqué de l’ONU a pu constater que « Chaque partie a continué à rejeter la proposition de l’autre comme base unique des négociations à venir, tout en réitérant leur volonté de travailler ensemble afin de trouver une solution politique conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies ».
Pour sa part, Christopher Ross a noté que les parties ont continué « (...) les discussions sur les nouvelles idées énoncées par le Secrétaire général de l’ONU au paragraphe 120 de son dernier rapport », et évoqué les thèmes de gouvernance, dont l’éducation, l’environnement et la santé. Ce qui représente à ses yeux un réel progrès. Autre nouveauté relevée par l’instance onusienne, « Les deux parties ont exploré des moyens de faire participer des membres respectés d’un large groupe représentatif de la population du Sahara occidental à l’accompagnement du processus de négociations ».
Les déclarations du ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération, Taïb Fassi Fihri, ont corroboré les assertions de M. Ross, et ont jeté un regard nouveau sur le déroulement des pourparlers, laissant augurer une phase positive, quant à l’évolution du dossier dans son ensemble, un souhait si cher au Maroc, qui n’a eu cesse de dénoncer le « (...) statu quo inacceptable dans lequel nous installent les autres parties ».
Toujours en marge des pourparlers informels tenus à Manhasset entre le 19 et le 21 juillet 2011, M. Fassi Fihri, a estimé qu’il importait « (...) de donner la chance à l’approche novatrice de l’ONU », en précisant que le Maroc s’investit décidément dans cette démarche parallèle, qui pourrait selon lui, « (...) apporter un éclairage nouveau et faire évoluer le dossier » grâce notamment à la participation des représentants « respectés et légitimes » de la population.
Une attitude positive, non encore officiellement partagée par la partie algérienne, qui continue de dissocier dans une acception surannée et schizophrénique, entre la question du Sahara et l’existence des réfugiés sahraouis sur son sol, et les relations cahoteuses et problématiques avec le Maroc. Dans le message qu’il a adressé au président de la pseudo République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), à l’occasion du 35ème anniversaire de sa création, le 27 février 1976, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a affirmé que « L’Algérie, en sa qualité de pays voisin aux deux parties au conflit, continuera comme elle l’a toujours fait, à encourager le dialogue entre le Royaume du Maroc et le front Polisario (...) en vue de parvenir à une solution fondée sur la légalité internationale, qui garantisse au peuple sahraoui l’exercice de son droit à l’autodétermination », déclaration relayée par le journal algérien, L’Expression, en date du 23 juillet 2011. Le président algérien feignit une fois de plus, d’ignorer que l’Algérie n’est pas un simple « (...) voisin des deux parties au conflit », mais bel et bien une partie à ce même conflit, puisque l’Etat algérien héberge, arme et soutient le front Polisario et met tous les dispositifs matériels et diplomatiques au service la prétendue RASD.
Le PMA, comme solution définitive à la résolution du conflit portant sur le territoire du Sahara occidental, a en effet, non seulement redonné un élan au processus des négociations sur le statut final, mais privé les détracteurs de l’intégrité territoriale du Maroc de tout argument superfétatoire. La solution proposée par le Maroc conforte parfaitement les recommandations constamment réitérées par les Nations Unies et plus particulièrement la Résolution 1979 du Conseil de sécurité, votée le 27 avril 2011, et prorogeant jusqu’au 30 avril 2012 le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental.
La conjoncture régionale et internationale démontre la position du Maroc au moins pour deux raisons. La première est en relation avec le déchirement de plus d’un pays arabe des suites de la montée de la contestation des rues pour plus de démocratie, et la seconde vient précisément du vent des réformes tous azimuts en cours au Maroc même, particulièrement après la révision de la Constitution, alors que le voisinage somnole dans un sommeil inquiétant. L’Algérie est plus que jamais isolée de ses voisins immédiats, la Tunisie qui se débat pour un système démocratique moderne, et la Libye en proie aux démons de la guerre fratricide et de la partition du territoire. L’expérience politique marocaine s’avère désormais un exemple de réussite dans le monde arabe. Le Maroc a décidément réformé sa Charte constitutionnelle, a entamé un projet ambitieux de régionalisation et mis en place les mécanismes institutionnels indispensables à une meilleure gouvernance.
Il s’agit du Conseil de la concurrence pour le monde économique, de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle pour la presse et les médias, de l’Instance Nationale de Probité et de Lutte contre la Corruption, pour la moralisation de la vie publique, outre deux autres institutions tout aussi importantes pour renforcer les droits de l’Homme et du citoyen, à savoir, le Conseil National des Droits de l’Homme et le Médiateur. Toutes ces institutions ont dorénavant un statut supérieur puisqu’elles sont prévues par la Constitution. Ces structures sont appelées à donner un sens réel au fonctionnement de la vie constitutionnelle et à la prévalence de la démocratie et de l’esprit des lois. Pour ce qui est de la régionalisation, le modèle régional proposé par la Constitution est un modèle où la région - en tant que collectivité territoriale - jouit de toutes les garanties constitutionnelles. Ce qui est une avancée dans le processus de construction régionale. Et malgré le fait que l’autonomie politique ne soit pas clairement affichée, la Constitution évoque un partage de compétences et non de pouvoir entre les régions et l’Etat, suivant le principe de subsidiarité, où les régions auront « (...) des compétences propres, des compétences partagées avec l’Etat et celles qui leur sont transférables par ce dernier », conformément aux dispositions de l’article 140 de la Constitution.
Pour autant, la régionalisation dont il est question, a un impact positif sur le règlement de la question saharienne, en ce sens que ces réformes politiques confortent le PMA pour ce qui est du Sahara occidental, et qui est en fait une régionalisation politique accomplie, avec transfert des pouvoirs, exécutif et législatif, hormis les domaines régaliens, à savoir la défense, les relations extérieures et les attributions constitutionnelles et religieuses du Roi.
Evoquant une « approche parallèle », prévue par la résolution 1979 du Conseil de sécurité précitée, et invitant instamment les deux parties à s’y inscrire, M. Fassi Fihri, lors d’un point de presse, à l’issue du 8ème round de pourparlers informels, tenu le 22 juillet 2011, à l’invitation de l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental, Christopher Ross, a mis en avant « (...) la nécessité de faire participer (aux prochaines réunions) les représentants légitimes et crédibles des provinces et en dehors, afin qu’ils puissent apporter leur contribution et réfléchir à un règlement définitif ». L’élargissement de la composition des délégations est certainement porteur d’espoir, d’autant plus que la proposition vise à intégrer de nouveaux acteurs directement concernés, et susceptibles de donner plus de sens au processus de négociations.
Le Maroc, fort d’une double légitimité, historique et juridique, revendique sa souveraineté sur le Sahara occidental récupéré aux termes de l’accord tripartite de Madrid signé le 14 novembre 1975 avec l’ancienne puissance occupante, comme ce fut le cas pour Tarfaya et Sidi Ifni. L’Algérie en revanche, dans la ligne antagonique qui prolonge la logique de la guerre des sables et le différend frontalier avec le Maroc hérité de la colonisation, n’a eu cesse d’exciper du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et continue de soutenir urbi et orbi, l’indépendance de l’ex-colonie espagnole.
Le Front Polisario, né dans la tourmente des deux coups d’Etat ayant visé le Roi Hassan II en 1971 et 1972, a d’abord été accueilli par la Libye de Kadhafi, avant d’être récupéré par Houari Boumédiène, et installé dans ce qui deviendra dès lors, le sud algérien, un positionnement géographique problématique, puisque la région du Touat était encore revendiquée par le Maroc une décennie auparavant, durant la guerre des sables en 1963. Depuis, des populations ont été déplacées, de gré ou de force, par l’armée algérienne et le Polisario, en vue de mettre la Communauté internationale devant un fait accompli : « les réfugiés du peuple sahraoui », et ainsi ancrer l’idée de l’autodétermination, cheval de Troie de la diplomatie algérienne. Le Polisario désormais hébergé et soutenu par l’Algérie et ses alliés, notamment les Etats issus de la dislocation du bloc de l’Est et Cuba, a créé la « RASD » en 1976, et investi l’Organisation de l’Unité Africaine, transformée depuis en Union Africaine (UA), et des institutions similaires, devenant ainsi un otage du système politico-militaire algérien. Lequel n’a point hésité à armer et à encadrer le Polisario pour livrer au Maroc une guerre de mouvement fratricide, qui dura 16 ans, de 1975 à 1991, avant un cessez-le-feu qui promeut l’idée d’un projet de référendum d’autodétermination.
Dans l’impossibilité de recenser les populations et suite aux difficultés de détermination du corps électoral dans les camps des réfugiés de Tindouf, le Maroc a pris l’initiative unilatérale de proposer un plan d’Autonomie avancée, qui cède tout aux populations du Sahara à l’exception du volet sécuritaire notamment la police et l’armée, et symbolique pour ce qui est du drapeau ou de la souveraineté marocaine. Une initiative bien perçue par les grandes puissances et la Communauté internationale et soutenue par le Conseil de sécurité. L’Algérie et le Polisario rejettent en bloc cette initiative, n’y voyant qu’une « manœuvre dilatoire », tendant à pérenniser le conflit.
Une situation de blocage d’autant plus préjudiciable aux intérêts économiques de l’ensemble maghrébin, que le Maroc et l’Algérie maintiennent fermées leurs frontières terrestres depuis 1994, chaque partie campant sur sa position dans l’attente d’un élément providentiel majeur, qui viendrait modifier les données sur le terrain.
Aujourd’hui, la nouvelle Constitution marocaine redéfinit les pouvoirs du Roi, pose les règles de la séparation des pouvoirs et renforce l’Etat de droit. Mais son apport le plus palpable est en relation avec le projet colossal devant instaurer une régionalisation avancée à travers le Royaume. Si tous ces changements au niveau interne intéressent les pays voisins, ils devraient intéresser encore plus, les populations sahraouies à Tindouf. Du fait de la persistance du vent de liberté dans différents pays arabes, et des menaces qui pèsent désormais sur l’establishment de tous les régimes en place, sans exception, les relations maroco-algériennes semblent devoir traverser une embellie.
Marocains et Algériens ne cachent plus leur souhait de débloquer effectivement les relations économiques et commerciales, même si du côté algérien on prend soin toutefois, de souligner la nécessité de séparer, quant au principe, le volet économique du volet politique dans ses relations avec son voisin de l’Est. Depuis quelques mois seulement, les deux pays se sont échangé des visites ministérielles dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture et l’énergie, et un accord a été signé, sans trop de tapage, entre l’Office National de l’Electricité (ONE) marocain, et la Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures (Sonatrach), algérienne, le 31 juillet 2011 à Alger, portant sur la livraison de gaz pour alimenter deux centrales thermiques de production électrique à Aïn Beni Mathar et Tahaddart dans la région de l’Oriental, une première dans les relations bilatérales depuis 1962.

* Professeur à la Faculté
de droit de Mohammedia
Article publié en collaboration avec le Centre d’études
internationales
Voir aussi le portail:
 www.saharadumaroc.net


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