Carlos Ghosn, l'empereur déchu de l'automobile

Difficile d'imaginer que Ghosn puisse un jour revenir aux affaires, même s'il nie l'ensemble des charges contre lui


Mercredi 12 Décembre 2018

La mise en examen de Carlos Ghosn, lundi au Japon, pour dissimulation de revenus sur cinq ans, accélère la chute d'une icône des affaires, un homme admiré pour avoir bâti le premier constructeur automobile mondial mais raillé pour son goût de l'argent.
La déchéance est brutale. Placé en détention depuis le 19 novembre, seul dans sa petite cellule d'une prison de Tokyo, l'homme d'affaires de 64 ans, habitué à un train de vie luxueux, doit affronter sans l'assistance de ses avocats les auditions des enquêteurs japonais.
Officiellement, le PDG de Renault, constructeur qu'il a hissé au sommet de la hiérarchie mondiale en l'associant à Nissan et Mitsubishi Motors, préside toujours cette alliance, bien que déchu de ses fonctions de président des conseils d'administration des deux constructeurs japonais suite à son interpellation.
Pourtant, difficile d'imaginer qu'il puisse un jour revenir aux affaires, même s'il nie l'ensemble des charges contre lui. Image abîmée, honneur sali, confiance rompue...
Au siège du groupe français, à Boulogne-Billancourt, c'est la stupeur. "M. Ghosn, c'est celui qui depuis 20 ans a créé l'alliance, cela impose le respect", confie un proche collaborateur. On le décrit ces derniers jours comme "très vaillant", "combatif" et décidé à se défendre, malgré une très longue détention au regard des standards français.
Le dirigeant franco-libano-brésilien, un polyglotte qui a parcouru le monde depuis son enfance, était au zénith de sa gloire quand il a été interpellé.
Patron du constructeur au losange depuis 2005, successeur de Louis Schweitzer qui l'avait recruté et adoubé, Carlos Ghosn venait d'être reconduit cette année pour un nouveau mandat de PDG.
Il était encensé pour avoir transformé en leader mondial un constructeur trop petit et trop centré sur l'Europe.
L'alliance Renault-Nissan, élargie en 2016 à Mitsubishi, est devenue numéro un mondial des ventes l'an dernier avec 10,6 millions d'automobiles écoulées, juste devant ses rivaux Volkswagen, Toyota ou General Motors. En juillet dernier, M. Ghosn publiait de nouveaux bénéfices records.
Avec ses dix marques (dont Dacia, Lada, Samsung Motors, Alpine, Infiniti, Datsun...), 470.000 salariés et 122 usines, l'alliance occupe des positions fortes sur tous les continents. Pionnière des véhicules électriques, elle est seulement devancée par Tesla sur ce créneau d'avenir. Elle est aussi une championne du "low-cost", arme de conquête des pays émergents.
"Sans Carlos Ghosn, Renault ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui", affirme Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center Automotive Research (CAR) basé en Allemagne.
Mais le diplômé de Polytechnique (X-Mines), arrivé en 1996 chez Renault après une brillante carrière chez Michelin, où il avait gravi tous les échelons jusqu'au poste de numéro deux, était aussi critiqué pour avoir concentré trop de pouvoir au sein de l'alliance dont il était la clé de voûte.
Inquiet pour la pérennité de cet ensemble, et décidé à préparer l'après-Ghosn, l'Etat français, qui détient plus de 20% des droits de vote chez Renault, l'avait contraint à se choisir un successeur en février et à accepter une grosse réduction de salaire.
À la tête de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Carlos Ghosn a touché 13 millions d'euros en 2017, selon les calculs du cabinet Proxinvest, spécialisé dans la gouvernance, des sommes courantes aux Etats-Unis pour des dirigeants de ce calibre mais qui choquaient en France et au Japon.
Sa mise en examen pour revenus dissimulés et les nombreuses fuites sur l'affaire dans la presse japonaise ont renforcé l'image d'un homme âpre au gain. Ainsi, il serait soupçonné d'avoir fait financer par Nissan plusieurs de ses résidences luxueuses dans différents pays, et même sa somptueuse réception au château de Versailles à l'automne 2016 avec sa nouvelle épouse Carole Nahas et des acteurs en costumes d'époque...
Carlos Ghosn se décrit volontiers comme un bourreau de travail, arrivant au bureau à 07H30 "après avoir déjà travaillé quelques heures". Il a toujours défendu ses revenus comme la contrepartie de ses performances.
Surnommé le "cost killer" ("tueur de coûts"), le dirigeant à l'allure sévère s'est fait une spécialité au long de sa carrière de redresser des activités au bord de la faillite. Des employés de Nissan le décrivent comme très dur, "demandant des efforts absolument démesurés et mettant une pression incroyable", selon un ancien salarié.
Mais il pouvait aussi se montrer chaleureux et à l'écoute auprès de collaborateurs, qui saluaient généralement son charisme.
Avant cette affaire qui a signé sa disgrâce au Japon, il était particulièrement vénéré dans l'archipel, où il fut un temps héros de manga après avoir redressé Nissan dont Renault avait pris le contrôle en 1999. Pendant longtemps, il a été accusé en France de privilégier les intérêts japonais ou d'avoir une gestion trop financière. Le gouvernement français et M. Ghosn s'étaient notamment accrochés en 2015 sur la question des droits de vote doubles pour les actionnaires de long terme, vue par Nissan comme une atteinte aux équilibres de l'alliance.
C'est pourtant l'un de ses protégés, Hiroto Saikawa, qu'il avait lui-même placé à la tête du constructeur japonais, qui aura mené contre lui la charge fatale en transmettant des informations à la justice japonaise et en le critiquant publiquement.
Ce père de quatre enfants, né au Brésil dans une famille d'origine libanaise, a toujours gardé des liens avec le Liban, où il a étudié chez les jésuites et où il possède un vignoble.


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