Camille Mauclair : les couleurs du Maroc


PAR MILOUDI BELMIR
Lundi 24 Décembre 2012

Camille Mauclair : les couleurs du Maroc
De son vrai nom Séverin Faust, Camille Mauclair était un écrivain de voyage qui s’est fait une bonne place dans le roman, la critique, la poésie et la biographie. Toutes ses  œuvres et même ses romans débordent de vie, de fougue et d’idées, citons «Le soleil des morts»; «L’Orient vierge»; «Les clefs d’or»; «Les mères sociales»; «L’amour tragique», etc. Mais son ouvrage le plus connu est certainement «Les couleurs du Maroc» écrit en 1933. Ce récit mérite notre estime; il atteste un ami du Maroc.
Le voyage de Camille Mauclair dans «Les couleurs du Maroc» commence ainsi : «Au milieu du Détroit, entre Atlantique et Méditerranée, m’avertira que je viens de passer d’un monde à l’autre ». Il se sentait irrésistiblement entraîné vers un pays magnifique, plein de promesses, de passions et de commodités, un pays qui ressemble à un rêve : « Et bientôt, de la brume lumineuse et chaleureuse, le surgissement des profils du mont Calpé et au ras de l’eau bleue, la ligne d’orée des môles et des maisons de Sebta me diront mieux que la sirène, la fin de l’innocente traversée». Il était rempli de curiosité, l’idée lui vint que dans ce pays, il pourrait trouver la paix et la sérénité : « Mais déjà un dernier regard sur l’Europe à peine quittée me la fait paraître éloignée : je ne me retournerai plus, j’ai commencé de changer d’âme».
Mauclair était venu de France pour découvrir ce Maroc qu’on avait tissé toutes sortes de légendes autour de lui. C’était dans cette disposition d’esprit qu’il se décida à repérer ce nouveau monde aux heures difficiles du début des années trente : « J’ai traversé maintenant l’Andalousie. Au bord de la baie que domine le roc de Gibraltar, dans la matinée rose et la brise marine je flâne sur les placettes de la gentille Algésiras. C’est ma dernière vision d’Espagne avant de prendre le bateau qui me mènera vers ce qui me hante, ces cimes vaporeuses là-bas, et cette race dont je désire scruter l’énigme… ».
Depuis des siècles, Tanger voyait débarquer des écrivains voyageurs de tous les horizons. En ce temps, cette ville était le symbole, emplissait les souvenirs, matérialisait les espoirs. Et à l’instar de ces écrivains,  Mauclair s’embarqua pour Tanger. Par chance, il trouva vite à se loger près de la mer : « Au réveil, entre les eucalyptus, je vois la mer, le golfe serti dans les monts roses, le port et sa jetée inachevée, le profil blanc du quartier de la Kasba, de riants jardins … » Quel soulagement que ces premières journées passées à Tanger, la douceur du climat, l’hospitalité de ses hôtes, tout concourait à lui faire oublier ses soucis : « Encore ne suis-je en présence des plus nobles types, en cette ville internationalisée. Quelques visages aux nez fins, aux yeux voluptueux, aux bouches délicates dont la vive rougeur s’ouvre sur des dents étincelantes, me font pressentir une aristocratie berbère vers laquelle j’irai bientôt… ».
Mauclair ne se lassait pas de parcourir les dédales de cette cité, si différents les uns des autres, il n’avait qu’à se retourner pour découvrir une ville si riche en vieux édifices qui témoignent de son histoire glorieuse et sa beauté d’un grand éclat : « Peut-être ce site ample et charmant n’a-t-il guère changé depuis le jour où il y a déjà cent ans, le jeune Delacroix y débarquait avec son ami de Mornay pour y espérer comme moi la révélation de formes inconnues… ».
De Tanger à Tétouan, c’était pour Mauclair une occasion de profiter de la durée de ce voyage pour former ces deux souhaits : découvrir et écrire. Dans les années trente, Tétouan était l’expression d’une époque dotée de grands moyens – commerce, hôtels, vergers. C’était une merveille de l’art mauresque : « Est-ce là le Maroc ? Je me résigne aux montées, aux descentes, aux secousses, au jalonnement de bornes kilométriques, jusqu’à l’approche plus aimable, plus fleurie, de Tétouan… ». Comme il était désœuvré, Tétouan, à cette époque, lui resta étranger : « La voici sur son plateau, au-dessus de ses oliveraies, avec ses murs et ses bastions crénelés. Je sais que je ne le verrai pas, et que la courte halte se fera non dans la ville arabe, mais dans le quartier neuf et banal de la ville basse… ».
Ce voyage offrait à Mauclair, un autre attrait, un attrait exceptionnel. A Rabat, ville charmante, ville de loisirs goûtés sans remords, il trouva une ville familière et plus agréable et se trouva face aux traces laissées par l’histoire : « Le détour par Petit-Jean et Kénitra, où l’Atlantique m’est réapparu, ne m’a permis d’atteindre qu’au déclin de l’après-midi le pont et le tunnel débouchant sur la gare ultramoderne de Rabat… ». Rabat, qui était un lieu fort calme, était alors une ville spacieuse, libre, une ville d’où l’écrivain pouvait considérer le monde de près. C’était autrefois la ville des sultans, parce qu’ils représentaient la puissance : « Devant moi, se développent sur une pente les longs et puissants remparts bastionnés, crénelés de la citadelle que bâtirent il y a près  de huit siècles les hommes qui, sur l’ordre de Yakoub El Mansour, fondèrent Rabat sur le modèle des «Ribat », des antiques forteresses sahariennes du Moyen Age… ».
Dans les ruelles de Rabat, Mauclair éprouvait la joie de découvrir cette ville, pleine de lumière qui s’offrait à lui : « Au bout de la rue, un auvent de tuiles vertes, qui deviennent, à cause du jeu de reflets, presque turquoises, protège une petite fontaine dont le chantonnement est le seul bruit de ce lieu désertique. Un passage coudé me conduit à une esplanade herbue où se dresse le mât d’un sémaphore, et je m’avance jusqu’à ce point extrême des Oudayas. Je suis dans un des plus beaux lieux du monde… ».
Mauclair ne se pliait pas à la fatigue, il consacra toute son énergie, son cœur chaleureux au noble but de la découverte. En route vers Salé, il comprit la raison de la curiosité. L’histoire de cette petite ville obligeait chaque écrivain à désigner dans ses souvenirs le temps qu’il passa au Maroc. A Salé, ce fut un séjour heureux de sa vie : « Salé tout entière, sur sa légère éminence, est devant moi. L’heure rose est déjà passée et pour cette zone de l’immense paysage est venue l’heure des tons froids. Je vois une ville d’ivoire, pareille à celles que montrent les maniatures persanes, une ville ciselée dans un long morceau d’ivoire candide, et dont les étagements cubiques s’élèvent avec une graduation parfaite jusqu’à un minaret la dominant toute… ».
Marrakech se montrait généreuse pour Mauclair. Dans cette ville, ses goûts littéraires évoluèrent très sensiblement. Il se montra plus préoccupé que jadis par la littérature de voyage. Charmé par les beautés de la nature et les richesses de l’art mauresque, il écrivit : « Les beaux tapis jetés sur les mosaïques et les marbres, le décor blanc de la salle à manger, le décor chaleureux, doré, des salons et du hall, la somptuosité des plafonds ciselés et peints, l’accueil des longs divans, des riches coussins, tout est invention d’artistes et incite à la rêverie dans le silence… ». La beauté de cette cité allait marquer profondément son envie et son talent : « C’est la Koutoubia, « la mosquée des libraires », l’aînée de la Giralda et de la Tour Hassan, que je veux contempler. Elle dresse dans le firmament africain les soixante-dix mètres de son minaret à la fois puissant et fuselé, décoré de faïences turquoises et terminé par un lanterneau à coupole au faîte  duquel scintillent trois grosses boules d’or. Elle me paraît infiniment plus belle… ».  
Ouarzazate n’était pas seulement un lieu géographique. Elle était un espace calme et silencieux. Mauclair avait été frappé par sa beauté. Un désert marocain qui procurait un sentiment de recueillement. L’ego voyageur de Mauclair avait besoin de découvrir les rais de lumière qui transformaient Ouarzazate en portée de musique d’un or vénitien, il s’émerveillait de son pouvoir de percer jusqu’aux profondeurs de son âme : «Sur chaque cube abritant des créatures humaines, un trait d’or posé par le soleil. Impression d’être reculé bien au-delà de l’antique, dans les âges pré-civilisés… ».
 Le désir de l’aventure était intense chez Mauclair. Il éprouvait un vrai plaisir avec les habitants de Ouarzazate; auprès d’eux, il se sentait à l’aise malgré la différence  de culture : «Il est assis, les jambes croisées, le buste droit dans ses voiles blancs. Avec la précision et la solennité d’un alchimiste, il dose le thé vert et l’eau chaude, y plonge de gros fragments de sucre, goûte délicatement dans une tasse, remet encore tant de sucre que nous nous demandons comment la théière pourra le contenir ; enfin, il ajoute la poignée de menthe fraîche qui embaume toute la pièce… ».
Casablanca, une vraie ville où tout était prospère, propre et beau.  Une ville singulière et surprenante. C’était dans cette ville que Mauclair respirait, rêvait et cherchait à décrire sa joie et son admiration. «Je savais que Casablanca n’est nullement le Maroc, mais uniquement son accès maritime, un point d’où rayonner… ». Dans cet espace des années trente, Casablanca était l’endroit où le pouls de la vie battait, elle était la lueur qui, pour tous les fêtards, annonçait le paradis du plaisir «Quand j’arrive à la Place de France, très longue et assez étroite, je trouve le vacarme, un hourvari de tramways grinçants, de crieurs de journaux, de succursales de magasins parisiens, d’entrées de cinémas et de terrasses de brasseries. La foule qui se démène là me rappelle mes impressions napolitaines».
A l’époque, ce qui caractérisait Casablanca, c’était une certaine atmosphère décontractée et amicale. Mauclair fréquentait les Casablancais et profitait de leur hospitalité; il menait une vie assurée et loin des soucis : «Son accueil amical, seul, peut faire surmonter la traversée…». Il était spectateur, Casablanca lui avait procuré un sentiment de bonheur. Au fond, cette ville séduit tous les voyageurs qui avaient besoin de fortifier leur cœurs et leurs âmes : « On vit alors accourir des aventuriers, des chercheurs d’affaires, des gens de tous métiers pressentant l’énorme avenir commercial… ».
Meknès était enfermée dans ses murailles. Dans cette ville, Mauclair sentait la sincérité des gens, la beauté émotionnelle des paysages et la variété des expressions artistiques : « Sur la terrasse de cet hôtel, longue villa fleurie et silencieuse devant un des plus purs paysages que j’aie jamais vus. Pourquoi ai-je éprouvé ici une émotion de douceur… ? » En se promenant dans la ville, Mauclair se montrait admiratif de Meknès, cette ville qui donnait l’image la plus juste de la vie traditionnelle des Marocains : « Je me hâte, par le vallon de Bab Dar Hedim, et j’atteins la magnifique porte El Mansour. Je n’ai encore rien vu d’aussi puissant au Maroc… ».
 Le journal de Camille Mauclair est particulièrement riche de contenu. Cet ouvrage n’est pas l’Histoire du Maroc ; il a pour seule ambition de nous faire découvrir un Maroc nouveau. C’est un témoignage de sympathie, s’appuyant sur des faits réels, racontés à travers une vive narration. En le lisant, on peut apprendre autant de choses que Mauclair en a appris en l’écrivant.

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