Bacheliers ! Quelle formation et quel destin !?


Azergui Mohamed Pr universitaire retraité
Jeudi 9 Août 2012

Bacheliers ! Quelle formation et quel destin !?
     
 
« Les déceptions ne tuent pas, les espérances font vivre » G. Sand  
 
Seule une minorité d’élèves inscrits aux CP de l’Ecole publique marocaine se hisse en terminale. Malgré le labeur de toute l’année
et des semaines de préparation, les candidats aux baccalauréats sont anxieux, incertains Ils savent par l’expérience et le vécu de leurs pairs aînés que les résultats sont toujours décevants. Le taux global de réussite au bac marocain est souvent moyen. Une faible frange d’élèves obtient de bons résultats.
Cependant, ils n'iront pas bien loin au regard des barrières imposées. La grande majorité des candidats déclarés admis, l’est globalement avec une note générale passable, et ce, après deux sessions et l’indulgence du jury. Les officines régionales des examens affichent en trophée leurs statistiques et encensent leurs hautes performances. Mais personne n’est dupe de cette publicité démagogique. Le consensus est de mise depuis longtemps pour souligner la médiocrité des compétences et des performances des jeunes qui quittent le Lycée avec ou sans le bachot.
Ils sont en fin d’adolescence, conscients que c’est là une étape cruciale de leur existence et ils sont inquiets de leur l’avenir. Ils découvrent qu’ils sont désarmés pour affronter leur destin et ils s’accrochent à la famille. Ils se voient incapables de réussir à l’Université ou suivre une formation professionnelle crédible. Souvent, ils voient leurs rêves de jeunesse même révisés à la baisse s’effondrer. Leurs déceptions et désillusions sont, alors grandes.
Pourtant ces jeunes ont sacrifié 12 à 15 ans de leur existence sur les bancs délabrés de l’Ecole à nous supporter nous les enseignants et à subir les programmes imposés par le MEN.  Ceux, à contenus culturels (langue, littérature, histoire, religion) sont d’obédiences moyen-orientale. Ils sont sans liens aucun avec notre assise amazighe et nos racines africaines.
Axés sur le panarabisme et l’islamisme, la religion est inclue de force même dans le discours et les documents scientifiques scolaires. La critique de ses fondements n’est pas tolérée c’est un péché.
L’Ecole publique marocaine et les Médias du pays sacralisent la langue arabe et méprisent le tamazight. Ils diabolisent les langues de l’Occident qualifiées de coloniales et encensent celle de l’Orient arabe dite de Paradis. Aux dires des enseignants les jeunes qui finissant leurs études secondaires ne maîtrisent pas l’arabe. La quasi-totalité des candidats au baccalauréat marocain ne parlent enfin de compte que l’arabe dialectal local. Feu SM Hassan II disait avec raison « de nos jours l’inculte est celui qui ne connait qu’une langue». Bien avant, Goethe avait dit « pour connaitre sa propre langue il faut connaitre celles des autres ». Les langues dites vivantes sont de nos jours les outils modernes de la technique, de la science et la communication universelle
Nous sommes à des milliers de lieux des déserts de l’Arabie et à quelques brassées de nage de l’Europe. Pourtant l’enseignement de langues européennes proches (français ou l’espagnol) reste inefficace au Maroc.
C’est attristant de constater que presque tous les élèves des terminales sont incapables de lire ou d’écrire dans la langue simple de Voltaire. Il fut
un temps lointain où, les élèves marocains réussissaient des dictées ardues au CEP et au brevet même tirées de Mallarmé. Aujourd’hui Il est impossible de demander à nos élèves de la classe du bac de jouer une pièce de théâtre de Molière.
Ils ne peuvent plus rédiger un essai dans le style argumentatif de J.J.
Rousseau. Ils sont incapables de faire un récit inspiré à la V. Hugo alors que leur vie est pleine de drames et de misères. Ils sont  d’une incompétence inouïe pour dialoguer avec des jeunes non arabes (sur internet par exemple) alors que leurs interlocuteurs sont ouverts à tout dialogue. Leur univers est unidimensionnel, arabisé et fanatisé.  
Pourtant l’enseignement supérieur, la formation technique et professionnelle, sont en français. Paradoxe injuste supporté par la masse populaire par obéissance séculaire à l’Etat. Sous des cieux d’une vraie démocratie aucun peuple n’aurait accepté cette injustice qui handicape à dessein la masse des jeunes des milieux défavorisés. Maîtriser au moins deux langues n’est pas un luxe mais une nécessité de la vie moderne. C’est un besoin pour la maîtrise des techniques et des sciences. Les programmes à contenus scientifiques sont similaires à ceux de nos voisins du Nord (Europe). Les buts et les contenus sont d’un niveau élevé et bien assimilés ils préparent les élèves au supérieur.
En général à la fin du lycée les élèves étudient la science récente faite et à la Faculté celle qui se fait. Nos manuels de mathématiques, des sciences physiques, des sciences de la vie et la terre (SVT) et géographie sont des copies mal arabisées de ceux de l’Hexagone. Les exemples, la démarche didactique et la plupart des schémas en portent des traces (légendes en français ou en anglais). Les manuels originels français contiennent des centaines de termes scientifiques qui ont été forgés pour décrire des faits observés, élaborer des trames de concepts et des théories nouvelles.  
La traduction du discours et de la terminologie scientifique et leur translation dans nos manuels ont été faites à la hâte. L’arabisation à outrance a été imposée par le Parti Istiqlal toujours au pouvoir, sans la consultation populaire aucune ; par peur du refus de la masse amazighe. L’arabisation des matières scientifiques a été confiée à des enseignants du Secondaire. Ils maitrisent sans plus ce qu’ils enseignent, sans aucune transcendance sur la matière et surtout sans formation linguistique.
Les savants musulmans (Avicenne, Al Khawarizmi, Akashi) ont certes contribué à l’essor de la science en utilisant l’arabe mais il y a bien des siècles de cela. La science a connu un essor gigantesque au XIXème et au XXème siècle. La langue arabe ne contient plus les termes scientifiques précis car les arabo-musulmans ne font plus la science ou la font en exilés en français ou en anglais. La traduction ne trouve pas de termes équivalents précis dans le répertoire linguistique arabe disponible. Elle est alors soit littérale ou elle propose des termes équivoques issus d’une culture d’un autre temps et d’un autre contexte.
L’élève est ainsi induit en erreur et mis devenant des obstacles épistémologiques qui entravent la formation de son esprit scientifique. Les candidats aux baccalauréats scientifiques marocains ont fait pendant au moins trois années de la physique, de la chimie, de la biologie, de la géologie et l’écologie au tableau noir avec de la craie. Ils étudient l’électricité sans voir l’ampèremètre ou un voltmètre, l’électronique sans l’oscilloscope, de l’énergie sans le calorimètre, le magnétisme sans voir au moins une simple boussole fonctionner. Ils ont étudié en chimie, des acides, des bases, des matières organiques, l’oxydoréduction, sans avoir touché ni eux, ni leur professeur, un tube à essai ni pu voir ces substances. Ils n’ont pratiquement jamais manipulé une loupe et encore moins un microscope pour faire des observations précises.
Ils ont fait ou font l’étude du granite, basalte, du calcaire, du grès sans les avoir vu alors que le Maroc en contient des montagnes. Au Nord du Maroc ils étudient l’arganier, au Sud le cèdre, en imaginant que ce sont des arbustes. Ils étudient le littoral, les fleuves, les vallées les plaines et les montagnes sans jamais sortir de leurs bidonvilles. Pour eux, l’atome et la cellule sont des ronds avec un point au milieu, l’électricité coule, l’estomac est lié à la vessie pour recevoir les liquides Dans d’autres pays l’enseignement scientifique se fait bien autrement.
Les travaux pratiques (TP) avec matériels et les travaux dirigés (TD) avec documents, sont obligatoires et ils se font en petits groupes.
Les enseignants sont tenus d’illustrer leurs cours magistraux par le réel et des expériences. Il en fut bien ainsi dans les lycées du Maroc autrefois. De nos jours les NTIC pourtant banalisées devraient au moins faciliter et illustrer les cours mais elles ne sont pas employées non plus. L’élève étudie les sciences sans avoir fait des expériences ou du moins voir son professeur les faire devant lui et prouver la théorie par l’expérimentation. L’élève ne développe pas en lui les étapes classiques du raisonnement expérimental, assises des sciences modernes.
Le bachelier quitte alors le lycée en ayant l’esprit bourré de fausses représentations des phénomènes étudiés il se donne un réseau de fausses conceptions des modèles et théories étudiés. Il lui sera, par la suite, très difficile de sortir de cette grotte. Il n’a pas pu confronter ses explications avec celles de ses pairs via les TD et Il n’a pas eu l’occasion de vérifier lui même ses hypothèses via les TP.  Par ailleurs les enseignants se trouvent au lycée devant des classes grouillantes d’élèves qui dépassent souvent la cinquantaine alors que la norme pédagogique est de 25.
Dans ce contexte de classes surchargées, une bonne partie du temps imparti à l’enseignement est consacré à la gestion du grand groupe classe : (bousculades, insultes, bagarres, contrôle des absences, chahuts, conflits ouverts, indiscipline). C’est seulement une fois ces problèmes réglés que les professeurs (es) peuvent enfin se consacrer à leur devoir d’enseignant. Ils restent sur leur estrade à côté du tableau et font face à ces jeunes rebelles. Il est impossible dans ces conditions avec ces effectifs pléthoriques de bien connaître leurs élèves. Ils ne peuvent pas développer avec chacun d’eux des relations de confiance propices à les motiver.
Dans ces grands groupes classe les enseignants ne sont pas disponibles pour déceler les difficultés de chacun de leurs élèves et les aider à les dépasser. Ils ne peuvent pas développer les compétences ou les aider à en construire de nouvelles. En classes réduites les enseignants peuvent tout. De plus dans le système éducatif actuel ils sont tenus à traiter un programme lourd avant la fin de l’année. Ils se doivent aussi de réaliser un ensemble de contrôles selon un échéancier précis. Dès lors les enseignants se donnent comme tâche principale de transmettre tant bien que mal un corpus de connaissances et des procédures de résolutions d’exercices.
Les élèves dits sérieux quant à eux, ont pour mission majeure la transcription servile sur leurs calepins, des informatisons pour les restituer au mieux, intégralement lors des contrôles ou le jour de l’examen fatidique le baccalauréat. Il y a là un contrat tacite qui n’a rien de pédagogique. Les bons élèves font ainsi du bachotage non de l’apprentissage vrai. Les autres se spécialisent dans la triche et la fraude devenues un droit au vu et au su de tous.
Peu sont ceux qui développent leurs compétences dans l’Ecole marocaine et surtout dans son contexte actuel et les performances ne sont pas dès lors bien bonnes.  En général les bachelier (ères) issus de familles aisées ou de parents enseignants ont de bons scores et sont éligibles à passer les concours pour accéder aux grandes Institutions de formation. Ceux ou celles qui ont seulement la mention assez bien se rabattent sur les formations de deux à  trois ans. La masse du contingent des bacheliers issus pour la plupart de milieux pauvres, se dirige vers les Facultés dites de relégations où l’échec les attend à coup sûr et presque tous.
En effet les jeunes promus bacheliers une fois à l’Université, prennent la mesure de la médiocrité de par la formation reçue au Lycée. Ils se trouvent du jour au lendemain devant des obstacles épistémologiques et surtout linguistiques presque insurmontables. Sans exception, toutes les études universitaires à caractère scientifique, technique, professionnelle, se font en langue française ou rarement en anglais à des jeunes qui ne maîtrisent ni l’une ni l’autre. Ils ne comprennent pas le discours des professeurs de l’enseignement supérieur souvent formés en Occident et pratiquant une langue académique et un langage de spécialistes.
Les étudiants nouveaux venus transcrivent ce qu’ils peuvent dans le brouhaha d’amphithéâtres archi pleins. Cette transcription est faite de travers de manière phonétique avec des fautes horribles à chaque mot entendu. Les notes ainsi prises sont éloignées du contenu décrit et ne reflètent rien de cohérent. Pour pallier à cet handicap majeur, les enseignants mettent en vente leurs cours polycopiés ou éditent des manuels. Mais la lecture de ces documents devient pour ces illettrés linguistique un vrai calvaire.
La saisie du sens des termes souvent ésotériques et leur compréhension, devient une torture pour ces habitués d’une autre langue. Quant à assimiler ces textes essentiels à leurs études, saisir leurs nuances et leur rationnel ils sont dans l’impossibilité de le faire. Il en résulte une non maîtrise des concepts, des méthodes et théories enseignées. Pour tenter de sauver la face les jeunes recourent aux vieilles méthodes de bachotages pour mémoriser des pages et des pages et les resituer le jour de l’examen. Ils recourent à la fraude chaque fois que cela est possible mais là, ils sont presque adultes ils se heurtent à la Loi et à la Justice.  
Bien sûr à l’Université les fils et filles issus de milieux aisés qui maîtrisent pour la plupart le français et l’anglais réussissent avec brio Au royaume des aveugles les borgnes sont roi dit le proverbe grec. Dès la maternelle leurs parents les ont orientés vers des instituions privées où le français et l’anglais sont de mise et l’arabe imposé par l’Etat est là, pour la forme.
En général ces élus de naissance vont sous d’autres cieux en Occident dans les grandes Ecoles en s’initiant en plus à la vie moderne. Ils reviennent pour prendre la place des parents dans les hautes sphères de l’Etat ou des grandes entreprises, de la haute finance ou au moins dans un poste d’enseignants dans le supérieur. Mais pour la fille et le fils de tout un chacun les études universitaires dans ce contexte de barrage linguistique se soldent souvent par l’échec immédiat et l’abandon. Les plus courageux résistent et restent. Ils vont consacrer une partie de leur jeunesse aux études supérieures et obtiendront péniblement leur diplôme après avoir doublé plusieurs fois. Les raisons de ce fiasco collectif sont liées à l’origine sociale, la non maîtrise de la langue d’enseignement universitaire, les soucis de transport et de logement.
Il va de soi que leurs pairs aisés ne connaissent pas cet enfer, ils se consacrent tranquillement à leurs études tout en vivant leur jeunesse. Ils n’ont aucune inquiétude quant à leur avenir. Par contre, tous les autres, une fois le ou les diplômes dans la poche après d’âpres efforts, ils iront rejoindre la grande tribu des chômeurs diplômés, tribu en croissance continue au Maroc.
Dans un proche passé un jeune de vingt ans était soi, un paysan cultivant la terre de ses ancêtres soi, un artisan œuvrait dans l’atelier du père, ou commerçait dans la boutique familiale ou même devenait un guerrier courageux si les circonstances l’imposaient. La jeune fille dans la vingtaine était déjà mère, travaillait dans les champs ou tissait et brodait à la maison. Les problèmes d’adolescence, de jeunesse, de salariat ou de chômage leur étaient inconnus. Mais aujourd’hui sous la poussée démographique, les sécheresses, l’exode rural, l’injustice sociale et autres calamités, la situation n’en est devenu que plus pénible.
 A la veille de l’Indépendance du Maroc nous autres actuellement vieux nous avons été envoyés à l’Ecole française par nationalisme. Par la suite l’Ecole a été perçue par tous comme une échelle sûre d’ascension sociale. Mais le Makhzen n’a plus besoins de petits fonctionnaires et il choisit ses grands commis dans les familles de notables. Les usines s’automatisent et les entreprises s’informatisent. Elles ont plus besoin de techniciens, d’ingénieurs et de gestionnaires hautement formés et qui maîtrisent les langues vivantes  occidentales. Et les mieux indiqués sont ceux sont issus de familles aisés ou d’enseignants.
Le chômage frappe sans espoir, depuis des années des centaines  et des milliers de jeunes diplômés. Beaucoup sont arrivés à la trentaine et la
Quarantaine après avoir sacrifiée leur enfance, leur jeunesse et leur vie d’adulte en vain. Souvent pour un avenir illusoire et sombre. Faut-il pour autant regretter d’avoir fait des études poussées ou décider pour leurs cadets de ne pas les faire ? Bien sûr que non. Il faut considérer les études avant tout comme un moyen pour affronter la vie avec clairvoyance et espoir.  Lorsque l’on revisite la longue Histoire du Maroc plusieurs fois millénaires on s’aperçoit que nos ancêtres ont surmonté des épreuves plus graves (invasions, guerres civiles, épidémies, sécheresses etc.) en restant unis entre eux et autour de leur Aglid.
  



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1.Posté par Lotfi Mostafa le 11/08/2012 12:35
Bonjour, ce constat est alarmant et interpelle tout un chacun et qui a la conscience collective ; l'INDH commence par l'école qui forment les générations futures , je croit malheureusement que : avec le gouvernement conformiste et de droite actuel nous allons perdre encore cinq précieuses années de notre vie car celui qui n'avance pas recule ; depuis l'avénnement du Maroc dit indépendant et les reformes du systéme d'enseignement se succèdent , car non populaire ne font que retarder le pays et le laisse dépandant dans tous les domaines , agricole, industriel scientifique et technologique
Lotfi Mostafa technicien retraité

2.Posté par azergui Mohamed le 11/08/2012 13:48
En fait, le constat est plus alarmant et toutes les études sur l'Ecole publique marocaine indiquent q'elle est en faillite permanente et qu'elle n'est pas proche de sortir de son tunnel où s'égarent les filles et les fils des pauvres c'est à dire de la majorité du peuple marocain.
L'injustice la plus flagrante est l'arabisation à outrance du primaire et du secondaire pour des raisons non pédagogiques mais politiques partisanes. Les partis arabistes et islamistes savent très bien qu'il est impossible dans le moyen terme et le long terme d'arabiser l'enseignement supérieur. Cependant l'Ecole publique continue à d'assurer un non enseignement des langues vivantes, langues des techniques et de la communication moderne dans un pays à quelques brassées de nage de l'Europe qui ne parle pas arabe. La question est pourquoi cette myopie ? Deux réponses logique. D'abord la crainte viscérale du démon amazigh ensuite, l'obédience au panarbisme et panislamisme moribond.

NB : Le nom de Mr Lotfy Mustapha, me rappelle celui d'un ami très cher d'Imin Tanoute qui nous a quitté.

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