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Aziz Idamine, chercheur en sciences
politiques et expert international aux droits
de l’Homme, est titulaire d’un certificat au Haut-commissariat des droits de l’Homme.
Il est formateur et expert en mécanismes
internationaux de protection des droits
de l’Homme et membre de plusieurs
associations nationales et internationales.
Il nous livre son appréciation sur
la situation des droits de l’Homme
au Maroc et sur l’évolution des ONG
et institutions nationales qui œuvrent
dans ce domaine.
Libé: Comment les droits de l’Homme se portent-ils au Maroc ?
Aziz Idamin : La situation des droits de l’Homme au Maroc suscite deux lectures. Une première qu’on peut qualifier de macro-analyse et qui dresse une situation caractérisée par une sorte de violence juridique de la part de l’Etat qui recourt à un usage abusif et arbitraire des lois pour régler les questions relatives aux droits de l’Homme et les revendications sociales et économiques.
On peut également noter la domination d’une approche sécuritaire qui est devenue monnaie courante dans la gestion des demandes et protestations des citoyens. Cette approche est souvent légitimée et justifiée par des décisions judiciaires injustes dans de nombreux cas.
Cet état de fait a réussi à susciter un sentiment de peur chez le citoyen marocain qui hésite à revendiquer ses droits de crainte des représailles ou des sanctions. On peut même parler d’une sorte de phobie qui a induit de l'autocensure chez le citoyen marocain.
La deuxième lecture qu’on a qualifiée de micro-analyse s’arrête sur les violations flagrantes du droit des citoyens à s’organiser, à manifester, à se rassembler et à s'exprimer. Tel est le cas de ce qui s'est passé à Al Hoceima où il y a eu de nombreuses atteintes au droit de manifester et de s’exprimer. Tel est le cas également du journaliste Hamid al-Mahdawi dont la condamnation à trois ans de prison a été une atteinte grave au droit d’accès à l’information et au droit des journalistes à préserver leurs sources.
Les organisations de défense des droits de l'Homme ont fait, elles aussi, l’objet de harcèlement de la part des autorités publiques comme c’est le cas pour l'Association marocaine des droits de l'Homme qui a été empêchée, à plusieurs reprises, d'organiser ses réunions et de dispenser des sessions de formation. Un processus qui a débuté en 2014 avec la déclaration du ministre de l’Intérieur devant le Parlement accusant certaines ONG de servir un agenda extérieur et d’entraver l’action des forces de sécurité.
La décision de dissoudre l’Association "Racines" s’inscrit dans ce contexte d’étranglement des libertés. Cette décision aura certainement des répercussions négatives sur l'image du Maroc au niveau international. Ceci d'autant plus que nous nous approchons de la 40ème session du Conseil des droits de l'Homme à Genève où le Maroc sera appelé à répondre sur certaines questions liées à ces violations des droits de l’Homme.
En résumé, nous sommes confrontés à de graves violations des droits de l’Homme qui menacent tous les progrès réalisés ces dernières années. Le Maroc est en train d’enterrer les recommandations de la Commission Equité et réconciliation portant notamment sur la mise en place de garanties à même de permettre la non-répétition des violations commises dans le passé.
Cette situation est-elle spécifiquement marocaine ?
Cette situation des droits de l’Homme est devenue universelle et le Maroc n’est pas une exception. L’un des facteurs de cet état de fait est l’arrivée de Donald Trump à la magistrature suprême aux Etats-Unis. Lequel a relégué la question des droits de l’Homme et de la démocratie au bas de l’ordre du jour de son administration.
Si les ex-présidents américains ont été soucieux de propager le modèle US en matière de démocratie, Trump s’est plutôt intéressé à la question du profit économique au détriment des valeurs et des principes.
Il y a un deuxième facteur qui peut expliquer cette situation. En l’occurrence, la vague migratoire qui a atteint son paroxysme en 2015 notamment dans le sens de la Libye vers l'Europe et qui a poussé plusieurs pays européens à abandonner leurs valeurs concernant les droits de l'Homme et à faire de la surenchère politique dans un contexte marqué par la poussée de l’extrême droite.
La faiblesse du système onusien chargé de la surveillance des droits de l'Homme qui tarde encore à trouver les outils matériels aptes à contraindre les Etats à respecter ces droits explique en partie la situation actuelle des droits de l’Homme à travers le monde. En fait, le système des Nations unies se contente uniquement de rédiger des rapports et de faire des recommandations auxquelles les Etats peuvent répondre ou non.
Qu'en est-il de la position du mouvement marocain des droits de l'Homme face à cette situation?
Nous regrettons que le mouvement marocain des droits de l’Homme n’ait pas été en mesure de suivre les mutations internationales et qu’il continue à travailler avec les mêmes outils et les mêmes approches anciennes qui consistent à organiser des sit-in ou à rédiger quelques mémorandums. En fait, et malgré les efforts déployés par certaines associations telles que Adalah ou la Fondation Driss Benzekri à titre d’exemple, en vue de l’ouverture d’un débat national sur l'agenda des droits de l'Homme au Maroc et sur les enjeux à venir, ces actions sont malheureusement restées lettre morte. Ceci d’autant plus qu’elles ont été menées individuellement et sans aucune synergie avec les autres ONG.
Comment peut-on évaluer le rôle du CNDH et les derniers changements à la tête de cette institution ?
Il convient de garder à l’esprit que le CNDH est une institution qui relève de l’Etat. Il est vrai qu’il s’agit d’une instance indépendante conforme aux Principes de Paris de 1993 régissant les institutions de défense des droits de l’Homme et qu’il est indépendant du gouvernement et du Parlement mais il n’en reste pas moins que c’est une institution étatique.
Ces dernières années, le Conseil est passé d'une "institution de défense des droits de l'Homme" à "un bureau d’étude des droits de l'Homme" en se focalisant trop sur la rédaction de rapports et d'études et en négligeant la dimension protectionniste. Lors des évènements d’Al Hoceima, il s’est contenté de jouer le rôle de l’observateur qui est incapable de proposer des solutions pour résoudre le problème et désamorcer la confrontation entre les manifestants et les autorités publiques. Il a même échoué dans le rôle de médiateur qu’il a tenté de jouer entre les deux parties.
Nous n'oublions pas non plus que le CNDH a raté une occasion historique avec l’organisation du deuxième Forum mondial des droits de l'Homme à Marrakech en 2014, puisqu’il n’a pas saisi ce rendez-vous pour lancer un débat international, régional et national sur la situation des droits de l’Homme. A noter qu’à ce jour, les travaux du Forum mondial ne sont toujours pas traduits en mesures concrètes malgré le riche débat qui l’a marqué. Le CNDH s’est seulement contenté de publier une bibliographie sur ce forum qui n'a eu aucun impact sur la vie publique ni sur le débat international d'aujourd'hui.
Au niveau purement technique, le Conseil national des droits de l'Homme n’a pas exercé les deux tiers de ses prérogatives légales. A ce propos, on note qu’il n’a pas présenté de rapports annuels alors qu’il s'agit d'une attribution juridiquement contraignante. Ceci d’autant plus qu’il est contraint de faire publier ces rapports au Bulletin officiel. Celui qui a été présenté au Parlement en avril 2014 n'a été qu’un document généraliste. Un rapport annuel doit être remis au Roi et publié au BO ou discuté devant le Parlement. Mais, au jour d’aujourd’hui, aucune de ces mesures n’a été opérationnalisée et même le document publié sur le site du CNDH n’est qu’un résumé succinct. On peut se demander où est passé le texte intégral.
La nomination d’Amina Bouayach à la présidence du Conseil national des droits de l'Homme est une initiative d'autant plus louable que cette dame dispose d'un capital moral dans le domaine de la défense des droits de l'Homme. Mais, je crois que cette nomination tient plutôt d’une procédure technique et institutionnelle destinée à remplacer le président sortant après la fin de son mandat.
En effet, la nomination d'Amina Bouayach est survenue dans un contexte de tension marqué par l’existence de centaines de prisonniers d'opinion et de manifestants et par la hausse du nombre de mouvements de protestion dans l’ensemble des régions du Maroc. Ceci d’autant plus que cette nomination n’a pas été accompagnée par des mesures parallèles comme ce fut le cas avec la désignation de Driss El Yazami dont la nomination au poste de président du CNDH a été d’abord politique puisqu’elle a été accompagnée de l’amnistie d’un grand nombre de prisonniers politiques et de certaines figures de la Salafiya jihadya.
En ce qui concerne les nouveaux rôles du CNDH notamment au niveau des mécanismes de protection (mécanisme de prévention contre la torture, mécanisme de plainte pour enfants et personnes en situation de handicap), je n'attends pas de nouveaux développements et je n'ai aucun espoir de travailler sur ces mécanismes pour deux raisons : premièrement, ils se sont transformés en simples outils administratifs. Deuxièmement, l'expérience passée du CNDH a conduit à l'abandon de sérieux alliés des droits de l'Homme et de la cooptation de nouveaux "clients des droits de l'Homme" qui ont d’autres intérêts que la défense de ceux-ci. C’est pourquoi cette instance a pris ses distances vis-à-vis du mouvement des droits de l'Homme marocain.
Et qu’en est-il de la Délégation interministérielle des droits de l’Homme ?
Nous espérons que l’on préservera celle-ci en tant qu’expérience nationale probante et que l’on dissout le ministère des droits de l'Homme qui ne sert pas à grand-chose.
Comment évaluez-vous la position du Maroc concernant les rapports des ONG internationales des droits de l’Homme ?
Les réponses apportées par le Maroc aux rapports émanant des organisations gouvernementales ou non gouvernementales, voire d'ONG marocaines, sont très regrettables et l’arrivée de Chaouki Benyoub à la tête de la Délégation interministérielle des droits de l’Homme n'a rien changé à cette approche. Nous sommes face à une nouvelle nomination, mais aussi à une institution qui garde la même mentalité et les mêmes approches éculées.
A ce propos, je voudrais faire quelques remarques. Premièrement, le Maroc critique souvent les rapports des ONG internationales, en particulier ceux d’Amnesty et d’Human Rights Watch. Il les considère comme subjectifs et inexacts. Et jusqu’à présent, il n’a jamais fourni ne serait-ce qu’un rapport détaillé sur la situation réelle des droits de l’Homme au Maroc.
La deuxième observation a trait au fait que notre pays affirme que l’ensemble des rapports qui ne l’agréent pas manquent d’objectivité alors qu’il confond entre ceux qui sont élaborés par les ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme et ceux dont le caractère académique impose une méthodologie et une approche théorique irréprochables.
La troisième et dernière observation est que le Maroc traite les rapports des organisations internationales avec une sorte d’hostilité et de conflictualité alors que les pays démocratiques les traitent avec une sorte d’interaction positive, corrigent leurs erreurs et respectent la dignité de leurs citoyens.
Quel avenir entrevoyez-vous pour les droits de l’Homme au Maroc ?
Les règles du jeu politique au Maroc sont caractérisées par leur nature instable et aléatoire. Ce qui est possible aujourd'hui peut faire partie des interdits demain et inversement. Personne ne peut prévoir l'avenir de la politique et des droits de l’Homme au Maroc. Mais cela n’empêche pas de souligner quelques observations. La première: l’intégration au système mondial des droits de l’Homme est le destin de tous les pays. Il reste seulement la question du timing qui s’avère coûteuse si l’Etat tarde à accélérer la cadence de la mise en œuvre des réformes permettant de conforter les droits et libertés.
Deuxièmement, la dynamique sociale nationale atteste du fait que les citoyens sont de plus en plus sensibles à la question des droits de l’Homme. Il s’agit donc d’une bonne nouvelle. Le hic, c’est que la plupart de ces dynamiques ne sont pas encadrées et dépourvues de représentativité politique, syndicale ou associative. Il s’agit en général de groupes informels qui ne croient pas en une organisation hiérarchique, mais plutôt aux dynamiques individuelles, ce qui peut conduire, à l'avenir, à des affrontements entre l'Etat et la société dont l'issue sera incertaine.
Enfin, l’avenir des droits de l’Homme est lié aux médias sociaux, politiques et juridiques qui demeurent faibles et qui ont montré leur échec à plusieurs reprises. L’avenir est lié à nos capacités de revoir les méthodes de travail de ces médiums ainsi que leur essence et leurs rôles.
politiques et expert international aux droits
de l’Homme, est titulaire d’un certificat au Haut-commissariat des droits de l’Homme.
Il est formateur et expert en mécanismes
internationaux de protection des droits
de l’Homme et membre de plusieurs
associations nationales et internationales.
Il nous livre son appréciation sur
la situation des droits de l’Homme
au Maroc et sur l’évolution des ONG
et institutions nationales qui œuvrent
dans ce domaine.
Libé: Comment les droits de l’Homme se portent-ils au Maroc ?
Aziz Idamin : La situation des droits de l’Homme au Maroc suscite deux lectures. Une première qu’on peut qualifier de macro-analyse et qui dresse une situation caractérisée par une sorte de violence juridique de la part de l’Etat qui recourt à un usage abusif et arbitraire des lois pour régler les questions relatives aux droits de l’Homme et les revendications sociales et économiques.
On peut également noter la domination d’une approche sécuritaire qui est devenue monnaie courante dans la gestion des demandes et protestations des citoyens. Cette approche est souvent légitimée et justifiée par des décisions judiciaires injustes dans de nombreux cas.
Cet état de fait a réussi à susciter un sentiment de peur chez le citoyen marocain qui hésite à revendiquer ses droits de crainte des représailles ou des sanctions. On peut même parler d’une sorte de phobie qui a induit de l'autocensure chez le citoyen marocain.
La deuxième lecture qu’on a qualifiée de micro-analyse s’arrête sur les violations flagrantes du droit des citoyens à s’organiser, à manifester, à se rassembler et à s'exprimer. Tel est le cas de ce qui s'est passé à Al Hoceima où il y a eu de nombreuses atteintes au droit de manifester et de s’exprimer. Tel est le cas également du journaliste Hamid al-Mahdawi dont la condamnation à trois ans de prison a été une atteinte grave au droit d’accès à l’information et au droit des journalistes à préserver leurs sources.
Les organisations de défense des droits de l'Homme ont fait, elles aussi, l’objet de harcèlement de la part des autorités publiques comme c’est le cas pour l'Association marocaine des droits de l'Homme qui a été empêchée, à plusieurs reprises, d'organiser ses réunions et de dispenser des sessions de formation. Un processus qui a débuté en 2014 avec la déclaration du ministre de l’Intérieur devant le Parlement accusant certaines ONG de servir un agenda extérieur et d’entraver l’action des forces de sécurité.
La décision de dissoudre l’Association "Racines" s’inscrit dans ce contexte d’étranglement des libertés. Cette décision aura certainement des répercussions négatives sur l'image du Maroc au niveau international. Ceci d'autant plus que nous nous approchons de la 40ème session du Conseil des droits de l'Homme à Genève où le Maroc sera appelé à répondre sur certaines questions liées à ces violations des droits de l’Homme.
En résumé, nous sommes confrontés à de graves violations des droits de l’Homme qui menacent tous les progrès réalisés ces dernières années. Le Maroc est en train d’enterrer les recommandations de la Commission Equité et réconciliation portant notamment sur la mise en place de garanties à même de permettre la non-répétition des violations commises dans le passé.
Cette situation est-elle spécifiquement marocaine ?
Cette situation des droits de l’Homme est devenue universelle et le Maroc n’est pas une exception. L’un des facteurs de cet état de fait est l’arrivée de Donald Trump à la magistrature suprême aux Etats-Unis. Lequel a relégué la question des droits de l’Homme et de la démocratie au bas de l’ordre du jour de son administration.
Si les ex-présidents américains ont été soucieux de propager le modèle US en matière de démocratie, Trump s’est plutôt intéressé à la question du profit économique au détriment des valeurs et des principes.
Il y a un deuxième facteur qui peut expliquer cette situation. En l’occurrence, la vague migratoire qui a atteint son paroxysme en 2015 notamment dans le sens de la Libye vers l'Europe et qui a poussé plusieurs pays européens à abandonner leurs valeurs concernant les droits de l'Homme et à faire de la surenchère politique dans un contexte marqué par la poussée de l’extrême droite.
La faiblesse du système onusien chargé de la surveillance des droits de l'Homme qui tarde encore à trouver les outils matériels aptes à contraindre les Etats à respecter ces droits explique en partie la situation actuelle des droits de l’Homme à travers le monde. En fait, le système des Nations unies se contente uniquement de rédiger des rapports et de faire des recommandations auxquelles les Etats peuvent répondre ou non.
Qu'en est-il de la position du mouvement marocain des droits de l'Homme face à cette situation?
Nous regrettons que le mouvement marocain des droits de l’Homme n’ait pas été en mesure de suivre les mutations internationales et qu’il continue à travailler avec les mêmes outils et les mêmes approches anciennes qui consistent à organiser des sit-in ou à rédiger quelques mémorandums. En fait, et malgré les efforts déployés par certaines associations telles que Adalah ou la Fondation Driss Benzekri à titre d’exemple, en vue de l’ouverture d’un débat national sur l'agenda des droits de l'Homme au Maroc et sur les enjeux à venir, ces actions sont malheureusement restées lettre morte. Ceci d’autant plus qu’elles ont été menées individuellement et sans aucune synergie avec les autres ONG.
Comment peut-on évaluer le rôle du CNDH et les derniers changements à la tête de cette institution ?
Il convient de garder à l’esprit que le CNDH est une institution qui relève de l’Etat. Il est vrai qu’il s’agit d’une instance indépendante conforme aux Principes de Paris de 1993 régissant les institutions de défense des droits de l’Homme et qu’il est indépendant du gouvernement et du Parlement mais il n’en reste pas moins que c’est une institution étatique.
Ces dernières années, le Conseil est passé d'une "institution de défense des droits de l'Homme" à "un bureau d’étude des droits de l'Homme" en se focalisant trop sur la rédaction de rapports et d'études et en négligeant la dimension protectionniste. Lors des évènements d’Al Hoceima, il s’est contenté de jouer le rôle de l’observateur qui est incapable de proposer des solutions pour résoudre le problème et désamorcer la confrontation entre les manifestants et les autorités publiques. Il a même échoué dans le rôle de médiateur qu’il a tenté de jouer entre les deux parties.
Nous n'oublions pas non plus que le CNDH a raté une occasion historique avec l’organisation du deuxième Forum mondial des droits de l'Homme à Marrakech en 2014, puisqu’il n’a pas saisi ce rendez-vous pour lancer un débat international, régional et national sur la situation des droits de l’Homme. A noter qu’à ce jour, les travaux du Forum mondial ne sont toujours pas traduits en mesures concrètes malgré le riche débat qui l’a marqué. Le CNDH s’est seulement contenté de publier une bibliographie sur ce forum qui n'a eu aucun impact sur la vie publique ni sur le débat international d'aujourd'hui.
Au niveau purement technique, le Conseil national des droits de l'Homme n’a pas exercé les deux tiers de ses prérogatives légales. A ce propos, on note qu’il n’a pas présenté de rapports annuels alors qu’il s'agit d'une attribution juridiquement contraignante. Ceci d’autant plus qu’il est contraint de faire publier ces rapports au Bulletin officiel. Celui qui a été présenté au Parlement en avril 2014 n'a été qu’un document généraliste. Un rapport annuel doit être remis au Roi et publié au BO ou discuté devant le Parlement. Mais, au jour d’aujourd’hui, aucune de ces mesures n’a été opérationnalisée et même le document publié sur le site du CNDH n’est qu’un résumé succinct. On peut se demander où est passé le texte intégral.
La nomination d’Amina Bouayach à la présidence du Conseil national des droits de l'Homme est une initiative d'autant plus louable que cette dame dispose d'un capital moral dans le domaine de la défense des droits de l'Homme. Mais, je crois que cette nomination tient plutôt d’une procédure technique et institutionnelle destinée à remplacer le président sortant après la fin de son mandat.
En effet, la nomination d'Amina Bouayach est survenue dans un contexte de tension marqué par l’existence de centaines de prisonniers d'opinion et de manifestants et par la hausse du nombre de mouvements de protestion dans l’ensemble des régions du Maroc. Ceci d’autant plus que cette nomination n’a pas été accompagnée par des mesures parallèles comme ce fut le cas avec la désignation de Driss El Yazami dont la nomination au poste de président du CNDH a été d’abord politique puisqu’elle a été accompagnée de l’amnistie d’un grand nombre de prisonniers politiques et de certaines figures de la Salafiya jihadya.
En ce qui concerne les nouveaux rôles du CNDH notamment au niveau des mécanismes de protection (mécanisme de prévention contre la torture, mécanisme de plainte pour enfants et personnes en situation de handicap), je n'attends pas de nouveaux développements et je n'ai aucun espoir de travailler sur ces mécanismes pour deux raisons : premièrement, ils se sont transformés en simples outils administratifs. Deuxièmement, l'expérience passée du CNDH a conduit à l'abandon de sérieux alliés des droits de l'Homme et de la cooptation de nouveaux "clients des droits de l'Homme" qui ont d’autres intérêts que la défense de ceux-ci. C’est pourquoi cette instance a pris ses distances vis-à-vis du mouvement des droits de l'Homme marocain.
Et qu’en est-il de la Délégation interministérielle des droits de l’Homme ?
Nous espérons que l’on préservera celle-ci en tant qu’expérience nationale probante et que l’on dissout le ministère des droits de l'Homme qui ne sert pas à grand-chose.
Comment évaluez-vous la position du Maroc concernant les rapports des ONG internationales des droits de l’Homme ?
Les réponses apportées par le Maroc aux rapports émanant des organisations gouvernementales ou non gouvernementales, voire d'ONG marocaines, sont très regrettables et l’arrivée de Chaouki Benyoub à la tête de la Délégation interministérielle des droits de l’Homme n'a rien changé à cette approche. Nous sommes face à une nouvelle nomination, mais aussi à une institution qui garde la même mentalité et les mêmes approches éculées.
A ce propos, je voudrais faire quelques remarques. Premièrement, le Maroc critique souvent les rapports des ONG internationales, en particulier ceux d’Amnesty et d’Human Rights Watch. Il les considère comme subjectifs et inexacts. Et jusqu’à présent, il n’a jamais fourni ne serait-ce qu’un rapport détaillé sur la situation réelle des droits de l’Homme au Maroc.
La deuxième observation a trait au fait que notre pays affirme que l’ensemble des rapports qui ne l’agréent pas manquent d’objectivité alors qu’il confond entre ceux qui sont élaborés par les ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme et ceux dont le caractère académique impose une méthodologie et une approche théorique irréprochables.
La troisième et dernière observation est que le Maroc traite les rapports des organisations internationales avec une sorte d’hostilité et de conflictualité alors que les pays démocratiques les traitent avec une sorte d’interaction positive, corrigent leurs erreurs et respectent la dignité de leurs citoyens.
Quel avenir entrevoyez-vous pour les droits de l’Homme au Maroc ?
Les règles du jeu politique au Maroc sont caractérisées par leur nature instable et aléatoire. Ce qui est possible aujourd'hui peut faire partie des interdits demain et inversement. Personne ne peut prévoir l'avenir de la politique et des droits de l’Homme au Maroc. Mais cela n’empêche pas de souligner quelques observations. La première: l’intégration au système mondial des droits de l’Homme est le destin de tous les pays. Il reste seulement la question du timing qui s’avère coûteuse si l’Etat tarde à accélérer la cadence de la mise en œuvre des réformes permettant de conforter les droits et libertés.
Deuxièmement, la dynamique sociale nationale atteste du fait que les citoyens sont de plus en plus sensibles à la question des droits de l’Homme. Il s’agit donc d’une bonne nouvelle. Le hic, c’est que la plupart de ces dynamiques ne sont pas encadrées et dépourvues de représentativité politique, syndicale ou associative. Il s’agit en général de groupes informels qui ne croient pas en une organisation hiérarchique, mais plutôt aux dynamiques individuelles, ce qui peut conduire, à l'avenir, à des affrontements entre l'Etat et la société dont l'issue sera incertaine.
Enfin, l’avenir des droits de l’Homme est lié aux médias sociaux, politiques et juridiques qui demeurent faibles et qui ont montré leur échec à plusieurs reprises. L’avenir est lié à nos capacités de revoir les méthodes de travail de ces médiums ainsi que leur essence et leurs rôles.