Au Kenya, l'opiniâtre travail de sauvegarde des rapaces, menacés d'extinction


Libé
Jeudi 16 Mai 2024

Délicatement, Simon Thomsett retire le bandage qui entoure l'aile blessée d'un bateleur, un aigle des savanes africaines à courte queue. Il soulève quelques plumes, examine l'oiseau anesthésié. "Le chemin est encore long avant la guérison", conclut-il.

"Il a été blessé dans le (parc de) Maasai Mara, nous ne savons pas comment", explique ce vétérinaire de 62 ans qui dirige le sanctuaire de Soysambu, dans le centre du Kenya.
L'aigle d'un an et demi est arrivé il y a cinq mois dans ce centre où sont soignés une trentaine de rapaces, oiseaux carnivores dont la population est menacée d'extinction en Afrique.

Selon une étude publiée en janvier par le Fonds Peregrine, la population de rapaces a chuté de 90% sur le continent ces 40 dernières années.

En cause: la déforestation ; la pratique des éleveurs qui empoisonnent des carcasses de bétail pour tuer des lions, principal prédateur pour leurs troupeaux, mais qui tuent par effet collatéral vautours et charognards ; la multiplication des lignes électriques, fatales pour les oiseaux qui viennent s'y poster pour repérer des proies.

A Soysambu, des dizaines de pylônes électriques installés ces dernières années balafrent la réserve.

"Aujourd'hui, vous pouvez conduire sur 200 kilomètres sans voir un seul rapace", constate Simon Thomsett, dépité: "Il y a 20 ans, vous en auriez vu une centaine".

Les rapaces peuvent vivre jusqu'à 50 ans mais leur cycle de reproduction est lent, avec un seul oeuf par an, ce qui ne compense pas le déclin de la population.

"Certaines espèces sont tellement en déclin que peu importe si nous mettons en oeuvre des politiques de protection, elles finiront par disparaître. Il est déjà trop tard", estime Simon Thomsett, qui a dédié sa vie à la préservation des vautours.

Destination touristique majeure d'Afrique de l'Est, le Kenya est réputé pour sa faune et ses safaris.
Mais si les autorités multiplient les efforts pour préserver les animaux emblématiques, comme les lions ou les éléphants, les fonds alloués à la protection des rapaces manquent.

"Il y a tellement de choses qui pourraient être faites, mais nous avons absolument besoin de l'aide, des autorisations et des moyens financiers du gouvernement", plaide Simon Thomsett.
Ni l'agence kényane de préservation de la nature (Kenya Wildlife Service, KWS), ni le ministère en charge de la faune n'ont répondu aux sollicitations de l'AFP.

Les oiseaux de proie souffrent d'une mauvaise réputation. "Les vautours sont considérés comme laids, sales et dégoûtants", souligne Shiv Kapila, qui dirige un autre centre à Naivasha, à une cinquantaine de kilomètres de Soysambu, accueillant 35 rapaces.

"Nous devons convaincre les gens que ce sont non seulement des êtres absolument magnifiques, mais aussi incroyablement utiles" pour l'environnement, poursuit-il, au milieu d'une cage où se côtoient vautours de Rüppell, au plumage foncé et au long cou, et vautours oricou, à la tête au teint rosé.

Certaines espèces, comme les hiboux et les vautours oricou, sont également accusées de porter malheur et prises pour cibles par certaines communautés.

"L'éducation" est essentielle pour la préservation, plaide Shiv Kapila, dont le centre organise des visites scolaires et se rend dans les communautés pour tenter de faire changer les mentalités.
"On voit des différences", souligne Juliet Waiyaki, vétérinaire de 25 ans.
Mais l'ampleur de la tâche interroge parfois la jeune femme, qui a rejoint le sanctuaire en 2023.

"Est-ce que je fais une différence ? Pour être très honnête, je ne sais pas. Je ne peux pas dire que ça fait une différence de sauver huit vautours alors que 300.000 autres sont morts", lâche-t-elle: "Mais nous faisons notre part du travail".
Au sanctuaire de Naivasha, les rapaces peuvent rester de quelques jours à plusieurs années.

Les membres de l'équipe sont contactés des quatre coins du pays pour secourir des oiseaux de proie blessés. "Nous les soignons et si c'est possible, nous les relâchons", relate Shiv Kapila, qui s'enorgueillit que 70% de ses pensionnaires sont libérés dans la nature.

Simon Thomsett croit qu'il y a encore "de la place pour l'optimisme": "Des oiseaux (soignés) vivant dans le coin en ce moment viennent me rendre visite. Ces oiseaux n'avaient aucune chance (de survivre) et pourtant ils sont bel et bien vivants aujourd'hui. Il y a des récompenses incroyables. Il y a des grands moments de joie, et des grands moments de peine".
 
 


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