Au Guatemala, une formation professionnelle pour dissuader les jeunes de migrer


Libé
Mercredi 9 Avril 2025

Frappée par la pauvreté, Francisca Lares s'est longtemps imaginée quitter le Guatemala dans l'espoir d'une vie meilleure aux Etats-Unis. Aujourd'hui couturière grâce à un programme d'aide, elle se dit soulagée d'avoir choisi de rester face à la politique anti-migratoire menée par Donald Trump.

"Si j'étais partie et aujourd'hui revenue (expulsée des Etats-Unis) comment je ferais pour payer la dette aux passeurs", se demande cette mère célibataire de 30 ans vêtue d'un costume traditionnel maya k'iche' dans la municipalité indigène de Joyabaj, dans l'ouest du Guatemala.

Selon diverses sources, les passeurs de migrants, appelés "coyotes", réclament près de 20.000 dollars, souvent un prêt, pour organiser le trajet clandestin jusqu'aux Etats-Unis depuis cette zone rurale entourée de collines dans le département de Quiché.

Francisca Lares a profité d'heures de formation dispensées au centre "Quédate" (Reste, ndlr), sous l'autorité du secrétariat à la protection sociale de la présidence, où elle a appris la couture. Elle a ouvert un magasin chez elle dans le village d'Estanzuela et confectionne des huipiles, des vestes mayas.

Elle vend également sa marchandise à distance et a même exporté quelques pièces aux Etats-Unis.
"Grâce à Dieu, une aide est arrivée dans ma vie (...) c'est ce qui m'a fait rester ici et dire : je peux m'en sortir", souffle-t-elle auprès de l'AFP.

Avant sa formation, Francisca Lares gagnait 75 dollars par mois en faisant du tissage à la main et bouclait tout juste ses fins de mois. Si elle ne souhaite pas dire combien elle gagne aujourd'hui, elle assure subvenir à ses besoins et ceux de ses deux filles de 5 et 9 ans.

Convaincue qu'une vie digne est possible pour elle au Guatemala, elle dit encourager ses compatriotes à ne pas se lancer dans la dangereuse expédition de plus de 3.000 kilomètres jusqu'à la frontière américano-mexicaine.
"Certains meurent" pendant le voyage. "Evitons la souffrance de nos familles", dit-elle au milieu des machines à coudre du centre de formation à Joyabaj.

La pauvreté qui frappe 56% des 18 millions de guatémaltèques est l'une des principales causes d'émigration, selon les chiffres officiels. Ce taux de pauvreté est encore plus élevé parmi la population indigène.

Ce programme d'aide à la formation a été mis en oeuvre en 2021 par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence des Nations unies et est financé par le gouvernement guatémaltèque avec le soutien du Japon.

A Joyabaj, le Japon a fait don de quatre millions de dollars pour construire et équiper un nouveau bâtiment inauguré en janvier, où les élèves apprennent la couture, la boulangerie, la coiffure, la réparation d'ordinateurs et d'autres métiers ciblés par l'OIM comme ayant un potentiel d'emploi ou d'entrepreneuriat.

Des centres similaires existent à Huehuetenango et Solola, également dans l'ouest du pays. Ils sont également ouverts aux jeunes guatémaltèques qui ont été expulsés des Etats-Unis.
Le directeur du centre de formation de Joyabaj, Pedro Miranda, explique que l'objectif d'ici la fin de l'année est de former plus de 600 jeunes. "Plutôt que payer un coyote, pourquoi ne pas investir cet argent ici" au Guatemala", dit-il à l'AFP.

Selon lui, "en raison des nouvelles politiques (anti-migratoires) aux Etats-Unis, les jeunes à Joyabaj attendent (de voir) ce qui va se passer, mais ils ne partent pas. Ils ne veulent pas prendre le risque sachant qu'il y a 90% de chance qu'ils reviennent" expulsés.
Marleny Tiño, originaire de la municipalité voisine de Zacualpa, a également pensé à émigrer aux Etats-Unis, mais son mari est finalement parti seul.

Il vit aujourd'hui en Floride "avec la peur" d'être à tout moment expulsé, raconte cette femme de 25 ans qui confectionne également des huipiles au centre "Quédate".
"Je lui dis : +mon amour, ne sois pas triste là-bas. Si on t'arrête, tu reviens", dit Marleny Tiño à l'AFP assise dans l'atelier de couture.

"Mieux vaut rester que de risquer ta vie pour aller là-bas, et que, juste après être arrivé ils t'expulsent", ajoute cette mère de deux enfants de 5 et 10 ans, qui a ouvert son commerce dans sa maison de la communauté de Tunajá.

L'année dernière, les Etats-Unis ont expulsé 61.680 Guatémaltèques, selon le gouvernement du pays frontalier du Mexique. Mais les quelque 3,2 millions de Guatémaltèques qui vivent aux Etats-Unis, nombreux en situation irrégulière, ont envoyé 21 milliards de dollars à leurs familles en 2024, soit près de 20% du PIB du pays.


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