“J’ai juste déblayé le sol, trouvé ces briques et je les ai utilisées pour ma nouvelle maison”, avoue cet homme de 38 ans. “Les trois pièces étaient faites avec les vieilles pierres que l’on a trouvées aux limites du village”.
Mahasthangarh est bâti sur les fondations de la cité antique de Pundranagar, érigée voici 2.500 ans. Constellée de monastères, cette ville fut à son apogée un célèbre lieu d’enseignement bouddhique attirant des moines venus de Chine, qui répandaient ensuite leur savoir en Asie du sud et de l’est.
Le plus vieux site archéologique, les ruines de la cité fortifiée, sont aujourd’hui une importante attraction touristique dans ce pays défavorisé. Mais les experts craignent que les visiteurs n’aient bientôt plus grand-chose à voir.
La démolition progressive des ruines due à l’empiètement résidentiel et au pillage occasionnel de pierres menace de faire disparaître les restes d’une cité qui avait jusqu’à présent survécu à travers les âges.
En mai, le Fonds du patrimoine mondial (Global Heritage Fund, GHF), une ONG qui a pour mission de préserver les trésors architecturaux à travers le monde, a inscrit Mahasthangarh parmi les dix sites d’Asie les plus menacés par le risque d’”une destruction irréversible”.
Cette année, la justice du Bangladesh a rendu une décision qualifiant d’illégales les constructions comme celles de M. Sattar. Les maisons ayant utilisé des pierres issues des ruines, la sienne comprise, ont commencé à être démolies.
Mais pour les archéologues, le mal est fait.
“Les villageois ont détruit certaines parties des ruines de telle manière qu’il est aujourd’hui impossible de dire ce qui était exactement sur le site”, regrette Shafiqul Alam, l’ancien responsable du département gouvernemental d’archéologie.
“De nombreux monticules recensés par des sources cartographiques ont disparu”, se lamente-t-il.
Et en dépit de la décision de justice, “la destruction se poursuit et les villageois volent des antiquités et des briques pour les vendre sur les marchés”, dénonce M. Alam.
Des objets anciens retrouvés sur le site suggèrent que les premiers signes d’implantation remontent au IVe siècle avant Jésus-Christ.
La cité connut son rayonnement sous la dynastie Maurya, qui forma le premier grand empire de l’Inde et régna sur une grande partie du sous-continent jusqu’en 185 avant notre ère.
Son âge d’or s’étendit du IVe au VIIe siècle, sous les dynasties Gupta et Pala.
Les fortifications étaient toujours utilisées à la fin du XVIIIe siècle, mais l’influence de la cité en tant que centre d’études bouddhiques avait déjà décliné, avant de s’effondrer tout à fait. La cité fut ensuite abandonnée à la végétation.
Le site fut redécouvert en 1879 par l’archéologue britannique Alexander Cunningham.
L’actuel archéologue en chef du site, M. Sadequzzaman, estime que l’empiètement résidentiel débuta voici environ 50 ans et que personne ne fit attention aux premiers signes de dégradation.
Quelque 500 maisons furent construites dans l’enceinte même de la cité, à grand renfort de vieilles pierres, tandis que de nombreux villages sont sortis de terre autour des fortifications, des zones archéologiques également dignes d’intérêt.
“On s’est réveillé trop tard. Si on avait essayé d’arrêter les constructions plus tôt, on aurait pu sauver de nombreux objets de valeur”, reconnaît-il.
La population locale, elle, s’estime injustement traitée.
“Mes trois enfants sont nés ici. Si on s’était installé illégalement, pourquoi nous ont-ils donné une première autorisation de construire?”, s’emporte Abdus Sattar, plaidant que la “récup” a toujours été acceptée comme un moyen de gagner sa vie.
“Des centaines de maisons ont été construites à partir de ces vieilles briques. Nous ne les avons pas volées, elles sont partout ici. Tout le monde le fait et personne ne nous l’a interdit”, assure-t-il.