Anouar el-Sadate (2/2) : “La Paix m’a tué”


Libé
Vendredi 31 Août 2012

Anouar el-Sadate (2/2) : “La Paix m’a tué”
Le 17 septembre 1978, les accords de Camp David furent signés, pour lesquels Sadate et Begin reçurent le prix Nobel de la paix. Néanmoins, cet accord fut extrêmement impopulaire dans le monde arabe et musulman. L'Égypte était alors la plus puissante des nations arabes et une icône du nationalisme arabe. Beaucoup d’espoir reposait dans la capacité de l'Égypte à obtenir des concessions d'Israël pour les réfugiés, principalement palestiniens, dans le monde arabe. En signant les accords, Sadate fit défection aux autres nations arabes qui devraient alors négocier seules. Ceci fut donc considéré comme une trahison du pan-arabisme de son prédécesseur Nasser, détruisant la vision d'un front arabe uni.
En septembre 1981, Sadate lança une offensive majeure contre les intellectuels et les activistes de tout le spectre idéologique, emprisonnant des communistes, des nasséristes, des féministes, des islamistes, des professeurs d'université, des journalistes et des membres de groupes d'étudiants. Presque 1600 personnes furent arrêtées, attirant une condamnation unanime pour leur radicalité. Parallèlement, le soutien interne de Sadate disparaissait sous la pression à la fois d'une crise économique ainsi qu'en réaction à la violence de la répression des dissidents.
Le 6 octobre, un mois après la vague d'arrestation, Sadate fut assassiné durant une parade militaire au Caire par des membres de l'armée qui appartenaient à l'organisation du Jihad islamique égyptien. Ils s'opposaient à la négociation entamée par Sadate avec Israël ainsi qu'à son usage de la force durant l'opération de septembre. Une fatwa approuvant l'assassinat avait été émise par Omar Abdel-Rahman, un imam par la suite inculpé par les États-Unis pour son rôle dans l'attaque à la bombe du World Trade Center, le 26 février 1993. Des règles de retrait des munitions lors de la parade avaient été mises en place pour cet évènement afin de parer à tout risque de révolte, mais les officiers en charge de leur application étaient en pélerinage à La Mecque.
Au passage des avions de combat Mirage, un camion de transport de troupe, simulant une panne, s'arrêta devant la tribune présidentielle et un lieutenant Khalid Islambouli en sortit, se dirigeant vers le président. Sadate se tenait debout pour recevoir son salut, lorsqu'Islambouli jeta une grenade fumigène, signal de l'assaut. Les conjurés sortirent alors du camion, lançant des grenades et tirant à l'aide de fusils d'assaut. Khalid Islambouli tira à plusieurs reprises sur le président égyptien, secondé par d'autres assaillants, au cri de "Mort au Pharaon". Il fut par la suite jugé coupable de cet acte et exécuté en avril 1982. Dans l'assaut, beaucoup de dignitaires présents furent blessés, incluant James Tully, alors ministre irlandais de la Défense.
Dans la fusillade s'ensuivant, 7 personnes furent tuées, dont l'ambassadeur de Cuba et un prêtre grec orthodoxe, et 28 blessées. Sadate fut conduit à l'hôpital, mais fut déclaré mort dans les heures qui suivirent. Le vice-président Hosni Moubarak, qui fut blessé à la main durant l'attaque, lui succéda. Un nombre record de dignitaires du monde entier se rendirent aux funérailles de Sadate, incluant notamment 3 anciens présidents américains Gerald Ford, Jimmy Carter et Richard Nixon, mais en l'absence du président en exercice Ronald Reagan pour des raisons de sécurité. A contrario aucun dirigeant arabe et musulman n'a assisté aux obsèques. Contrairement à ce qui s'était produit pour Nasser, en 1970, la cérémonie, très sobre, n'a pas été perturbée par un débordement de la foule: les autorités avaient pris pour mesure radicale de tenir le peuple à l'écart en bouclant les rues proches du monument du soldat inconnu. C'est aux côtés de la dépouille de ce dernier que fut inhumé Sadate.
Plus de 300 islamistes radicaux furent poursuivis dans le cadre du procès de Khalid Islambouli, parmi eux Ayman al-Zawahiri, Omar Abdel-Rahman, et Abd al-hamid Kichk. Le procès fut suivi par la presse internationale et la connaissance de l'anglais de Zawahiri en fit le porte-parole de facto des accusés. Zawahiri fut relâché de prison en 1984, avant de voyager en Afghanistan et se rapprocher d'Oussama Ben Laden.

Citation
Après son emprisonnement en 1946–1947 pendant 18 mois, Sadate découvre la loi de l'existence, l'amour :
« L'amour a triomphé en fin de compte. Car, en fait, je ne puis parvenir à haïr qui que ce soit; ma nature est vouée à l'amour. C'est ce qui m'est apparu clairement, à travers mille souffrances et mille peines, dans la cellule n°54. La souffrance cristallise la force intérieure d'une âme ; c'est par elle que l'homme de caractère peut parvenir au fond de lui-même et sonder les profondeurs de sa conscience. C'est par la souffrance que j'ai découvert que je suis par nature enclin à faire le bien, et que l'amour est la véritable motivation qui se trouve derrière tous mes actes. Sans amour, je ne pourrai rien faire. L'amour m'a apporté la foi, la pleine confiance en moi et dans tout ce qui m'entoure. Mon amour de l'univers découle de mon amour de Dieu. Comme le Créateur est mon ami, je ne puis avoir peur des hommes, puisque c'est lui qui règne sur leur existence et sur l'univers tout entier».


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