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La semaine dernière, la Food Standards Agency (FSA), l'agence britannique chargée de la sécurité alimentaire, a publié un rapport détaillé sur la nourriture biologique. Ses conclusions on fait l'effet d''une bombe: «Il n'y a pas de preuve de différence en matière de qualité nutritive entre les aliments issus de l'agriculture biologique et ceux provenant de l'agriculture conventionnelle ».
Les résultats de cette enquête, qui repose sur un examen de 55 études pertinentes réalisées ces 50 dernières années, sont désormais synonyme de menace pour l'industrie du bio, qui croît à un taux annuel de 20% depuis une vingtaine d'années et représente environ 23 milliards de dollars (16 milliards d'euros) en termes de chiffre d'affaires global. L'immense succès du marché bio tient, dans une large mesure, à l'idée pénétrante selon laquelle en évitant d'utiliser des pesticides et des engrais de synthèse, on augmente la qualité nutritive des aliments. Maintenant, nous savons que cette idée est peut-être infondée.
De nombreux professionnels de santé ont pris la nouvelle avec sérénité. Connie Diekman, nutritionniste à l'Université de Washington à Saint-Louis (Missouri) et ancienne dirigeante de l'Association diététique américaine, a déclaré: «c'est très bien de voir qu'une étude systématique de la littérature [sur l'agriculture et l'alimentation] confirme ce que l'on pensait depuis longtemps (...) Que les [consommateurs] choisissent des aliments de l'agriculture conventionnelle ou des aliments bio, ils répondront à leurs besoins nutritifs». Laura Telford, directrice nationale des Producteurs biologiques du Canada s'est montrée fair-play: «Nous ne contesteront pas ces résultats», avant d'attirer l'attention sur quelques avantages de la nourriture bio qui ne concernent pas l'aspect nutritif.
D'autres, bien sûr, ont été consternés. Peter Melchett s'est dit «à la fois furieux et perplexe». Le directeur de la Soil Association, principale organisation de défense des intérêts du secteur bio en Grande-Bretagne, a déclaré: «Nous nous attendions vraiment à ce que la FSA rapporte les faits. (...) Je trouve ça scandaleux.» Plus pondéré, Charles Benbrook, scientifique reconnu du Organic Center, a reproché à la FSA d'avoir «minimisé certains avantages de la nourriture biologique», d'avoir utilisé des données provenant d'«études très anciennes» et d'avoir omis de mesurer des «nutriments importants».
Ce débat tend vers les extrêmes. A en juger par le passé, voilà comment les choses vont se dérouler: les défenseurs de cette étude mettrons en exergue une douzaine de conclusions de ces vingt dernières années et rappelleront que ce rapport de la FSA repose sur l'examen le plus complet jamais réalisé sur les caractéristiques du bio; les détracteurs de cette étude mettrons en avant une douzaine de conclusions contradictoires de ces vingt dernières années et feront remarquer que le rapport de la FSA n'a pas mesuré les antioxydants et les résidus de pesticides.
Des généralisations absurdes
Les deux camps auront quelques arguments qui tiennent. Néanmoins, il y a un point essentiel qui se perd au milieu des attaques mutuelles et du pinaillage et qui diminue considérablement l'intérêt de ce débat: toute comparaison entre deux catégories aussi générales que «biologique» et «conventionnelle» - quelle que soit la catégorie qui l'emporte - a une valeur extrêmement limitée. On pourrait même dire qu'une telle comparaison est absurde.
Tout d'abord, le profil des consommateurs de produits bio rend ce débat presque inutile. Il n'y a pas de grands enjeux en matière de santé publique. Les produits bio coûtent en moyenne 60% de plus que les produits classiques et représentent seulement 2,5% de la nourriture consommée aux Etats-Unis. Les partisans de l'agriculture biologique disent souvent que le consommateur bio «type» n'existe pas.
Certes, le profil des consommateurs de produits biologiques se diversifie de plus en plus. Toujours est-il que les gens qui achètent systématiquement du bio sont en général des femmes qui ont fait des études supérieures et sont relativement aisées. On retrouve ces critères démographiques chez les sections de la population ayant un bon accès aux soins de santé et qui se soucient un minimum de leur alimentation. Par conséquent, pourquoi s'inquiéter qu'une cohorte en bonne santé, riche et bien informée ingère un peu plus de substances nutritives grâce à sa pomme bio? Ce qui est essentiel, c'est de mettre à disposition davantage de produits frais - bio ou non - dans les régions des Etats-Unis que les sociologues appellent aujourd'hui les «déserts alimentaires».
Un autre facteur qui sape l'étude de la FSA est le fait que les termes «biologique» et «conventionnel» englobent un large éventail de techniques. En fait, les pratiques sont tellement nombreuses et variées qu'il est presque impossible de comparer ces deux catégories.
Par exemple, on sait que les grandes fermes industrielles abusent des pesticides et des fertilisants, mais de nombreuses exploitations familiales pratiquent la «Gestion intégrée des insectes nuisibles». Elles emploient de façon sélective des engrais modernes pour réduire le ruissellement, elles utilisent les épandages avec parcimonie et mettent en place des systèmes de pacage pour les bêtes associés à des plannings tournants respectueux de l'environnement.
De même, on encense (à juste titre) les vertus écologiques de l'agriculture bio, mais on oublie souvent de préciser que la plupart des produits biologiques sont issus de processus de production de masse, que certains agriculteurs utilisent beaucoup d'engrais naturels qui, à forte dose, deviennent toxiques, que le compost biologique peut contenir plus d'agents polluants que les fertilisants classiques et que l'érosion du sol peut être aussi importante, voire plus importante dans les fermes bio. Il n'existe pas de ferme «biologique» ou «conventionnelle» standard, c'est pourquoi une comparaison aussi générale ne peut guère fournir mieux que des suppositions.
C'est l'une des raisons pour lesquelles ces études du bio face au conventionnel ont donné des résultats aussi mitigés. Du coup, les consommateurs peuvent trier sur le volet les données qui confortent leurs convictions. Les partisans de l'agriculture bio peuvent citer, s'ils le souhaitent, un rapport de 2007 réalisé par l'Université de Newcastle, démontrant que les produits biologiques contiennent plus de 40% d'antioxydants en plus que les produits conventionnels.
Les pessimistes peuvent se référer à une étude datant de 2000 selon laquelle aucun effet n'a été constaté en ce qui concerne les niveaux de phénols bons pour la santé dans des fraises et des myrtilles bio. Ils peuvent aussi invoquer un rapport faisant état de taux plus élevés de toxines naturelles dans les produits biologiques, car ces derniers ont été cultivés sans bénéficier de fongicides de synthèse. Tous ces résultats reposent sur des preuves scientifiques, mais cela n'indique pas vraiment au consommateur soucieux de préserver sa santé s'il doit ou non passer au bio.
Choisir une étude en particulier et prendre position dans ce débat (nombreux le font), c'est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. Qui plus est, cela revient à ignorer la complexité de l'agriculture même. Une complexité qui comprend des variables dépassant la simple dichotomie «bio vs conventionnel», et intègre la génétique, les cultivars, les types de sol, les compétences des agriculteurs, les techniques de récolte, la période des récoltes, le terroir et le climat…