Affaire DSK: la publicité des débats, comble d'injustice


Par François Dessy, Avocat belge
Mardi 30 Août 2011

L'affaire DSK est, à nouveau, sur toutes les lèvres. Impossible de refréner l'envie de porter un jugement, fut-il hâtif et prématuré, sur ce dossier que nous connaissons tous, par bribes et morceaux, en dépit du déferlement médiatique dont il fait l'objet.
Et pour cause. Partons de la recette médiatique basique de Raymond Queneau. « Ce qui rend les hommes intéressants, c'est le crime, l'adultère ». Ajoutez-y d'autres ingrédients savamment choisis et dosés : notoriété, pouvoir, fric, luxe acoquiné à la luxure. Et vous obtiendrez un best-seller mondial. Sexus politicus. Un Buzz. Un Blockbuster à nul autre pareil, assuré gratis « pro deo ».
Exhibons la « tête pressée du cochon » servie sur un plateau de TV. Coupons la tête d'un présumé innocent avant qu'il soit condamné pour satisfaire l'appétit gargantuesque du peuple et des médias. N'ont-t-ils pas le droit de tout savoir ? A chacun sa bouchée.
Aux Etats-Unis, la Cour suprême considère le droit à la publicité de la Justice comme étant consubstantiel à la liberté d'expression. Conséquence logique : les médias y ont reçu un sésame « quasi universel » leur permettant de pousser la porte des prétoires, et ce à chaque stade de la procédure. Prises d'assaut par les cameramen, les salles d'audience se muent en plateau hollywoodien. Les dérives sont connues : junte journalistique, sensationnalisme, émocratie, justicespectacle. Dictature de l'image au détriment de la raison : une caméra fait voir mais hélas rarement penser. Illustration topique : la première comparution de DSK, sous un déluge de flashes. Qu'en a-ton retenu? Le visage d'un homme affligé, pour ne pas écrire prostré, portant les stigmates d'une détention que l'on devine pénible. Un homme courbant pitoyablement l'échine, passant en direct sous les yeux du monde et sous les fourches Caudines.
Lors de cette audience préliminaire, notre attention fut à ce point polarisée sur cette mise au pilori filmée qu'il nous fut impossible de restituer l'essentiel du débat. Plus grave. Ces images arbitrairement triées et montées, ces fragments de pseudo vérité télévisuelle induisent des réactions. Que traduit l'abattement de DSK ? La flétrissure du coupable rongé par le remords ou la marque de l'innocence en butte à des accusations mensongères ? Et que penser du relatif silence de la « victime » ? Suspicion sur l'accusation cherchant à occulter la vérité ou préservation d'une femme abusée ? Telles furent les premières questions bassement instinctives, sinon subconscientes, d'une opinion publique chauffée à blanc par les médias. Oui. Saturés d'images, on conjecture, accable et accuse.
En un mot, on juge. Et puis, coup de tonnerre ! Le château de pellicules s'écroule. Les ultimes rebondissements de l'affaire DSK inclinent le procureur et l'avocat de la plaignante à douter de la crédibilité de celle-ci ! L' intime conviction du « grand jury de téléspectateurs » vacille. Voilà que nous crions haro sur la sacralisation de la parole d'un témoin. Côté hommes politiques ? Les uns tirent déjà fierté d'avoir joué les Cassandre. Les autres rougissent d'avoir égorgé trop vite le «cochon expiatoire» sur l'autel de sombres raisons politiques de « cuisine interne».
Ainsi, bien avant d'avoir réuni et soupesé les éléments de preuves, on aura jugé « les travers nommés désir » d'un présumé innocent ! On aura traîné dans la fange « le cochon » ! On l'aura conduit à l'abattoir médiatique ! Les sourires de façade, arborés au sortir d'un restaurant italien hype –immortalisés par compassion ? Les titres réparateurs - the pres(ident) after the perp ?– et le parfum de lupanar répandu au Sofitel , les anathèmes aujourd'hui jetés sur le procureur, le non-lieu attendu…n'y changeront rien. Le mal est irréversiblement fait.
Alors diront d'aucuns, c'est l'Amérique. Pays de l'image qui reprend aujourd'hui, ses droits en l'affaire DSK comme en témoigne la contre-offensive médiatique de Nafissatu Diallo. Et bien non ! La presse télévisuelle belge n'est plus systématiquement persona non grata dans les salles d'audience. Des affaires traitées, en audience publique, y sont filmées avec la bénédiction des magistrats. En l'état actuel des textes légaux et constitutionnels, aucune interdiction de filmer, n'est édictée. S'emparant de l'argument, la Cour Européenne de Strasbourg a condamné la Belgique, le 29 mars dernier, pour avoir interdit la diffusion d'une émission portant sur une affaire judiciaire en cours.
Oui. La publicité des débats constitue un rempart contre l'arbitraire et la partialité. En leur temps, Voltaire et Beccaria, en avaient déjà exalté les mérites. Il serait néanmoins regrettable que, débridée, elle devienne le fossoyeur de la présomption d'innocence. Comble de justice. Comble d'injustice. Une réglementation de la matière offrirait une solution prophylactique là où le renforcement des sanctions à l'endroit de ceux qui violeraient présomption d'innocence et vie privée (prévue dans la note Di Rupo) n'apporte pas la panacée a posteriori.


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