Abdelilah Benkirane est-il un homme de parole ou de paroles ?


Les prémices du quinquennat du chef du gouvernement ne présagent rien d’extraordinaire, pour ne pas dire rien de bon

Par Mohamed Infi
Mardi 8 Janvier 2013

Abdelilah Benkirane est-il un homme de parole ou de paroles ?
La tentation de dresser une sorte de portrait moral de notre chef du gouvernement, est d’autant plus grande qu’il est le seul parmi ses prédécesseurs  à avoir une présence quasi-permanente dans les moyens d’information, au point qu’un collègue de la Faculté des lettres de Meknès (romancier et critique) que j’ai rencontré par hasard exprimait son ras-le-bol en ces termes: autant je reprochais à Abderrahmane El Yousousfi son mutisme, autant je voudrais qu’Abdelilah Benkirane se taise parce qu’il en fait trop. Cette présence exaspérante trouverait son explication, d’une part, dans la nouvelle Constitution qui a transformé le poste de « Premier ministre » en  « chef de gouvernement » investi de pouvoirs relativement renforcés et, d’autre part, dans la personnalité de l’homme qui semble non seulement avoir la facilité du verbe, mais aussi la volonté d’en faire sa vocation première.
En effet, il parait que M. Benkirane fait de la parole son cheval de bataille. Depuis son investiture et même bien avant, il a trop parlé. Il a promis beaucoup de choses. Ses discours foisonnant dans les médias abondent en déclarations de principe… Ses amis du parti sont très satisfaits de sa manière de communiquer, comme si la communication était une fin en soi.
Or, dire, ce n’est pas faire. Un chef du gouvernement ne se juge pas aux discours qu’il prononce, mais aux décisions qu’il prend et aux actions qu’il accomplit. Ceci d’autant plus que non seulement l’effet de la verve des discours est éphémère, mais aussi que les discours ne résolvent pas de problèmes et n’apportent pas de réponses concrètes à des questions cruciales.
Il est vrai qu’il n’est pas encore temps de porter un jugement objectif et définitif  sur les dires et les actes de  l’homme. A peine une année de son mandat vient-elle de s’écouler depuis son investiture; cela est insuffisant pour évaluer ses « réalisations ». De plus, son manque d’expérience dans la gestion des affaires de l’Etat peut constituer un véritable handicap, ne serait-ce que pour ses débuts.
Toutefois, les prémices de son quinquennat ne présagent rien d’extraordinaire, pour ne pas dire rien de bon.  Déjà, au niveau législatif, un retard considérable est accusé. Sur une vingtaine de lois organiques (sans lesquelles la nouvelle Constitution ne prendra pas son sens véritable), seulement trois ont été adoptées jusqu’à présent. Il s’agit de la loi organique n° 29-11 relative aux partis politiques, la loi organique n° 27-11 relative à la Chambre des représentants et la loi organique n° 02.12 relative à la nomination aux postes supérieurs. Les deux premières ont été adoptées sous le gouvernement Abbas El Fassi et la troisième sous le gouvernement Benkirane. Donc, le gouvernement de celui-ci n’a fait adopter qu’une seule loi organique en toute une année. A ce rythme, il serait impossible de mettre en place, durant ce quinquennat,  tous les textes de loi requis par la loi fondamentale plébiscitée par les Marocains le 1er juillet 2011.  
Cette insuffisance flagrante au niveau législatif est aggravée par des décisions qui vont à l’encontre des promesses « généreuses » distribuées par des discours exagérément optimistes. En effet, M. Benkirane n’arrête pas de promettre de meilleurs jours par l’amélioration des conditions de vie des classes moyennes et des couches déshéritées ; mais il n’hésite pas à faire le contraire de ce qu’il dit et cela sans aucune forme de concertation ou de préparation préalable pour  recevoir de mauvaises surprises. Ainsi, par exemple, décide-t-il d’augmenter le prix des carburants sans se soucier des répercussions directes et indirectes d’une telle décision sur le pouvoir d’achat des couches sociales qu’il prétend défendre. Ses amis qualifient, cependant, sa décision de courageuse, comme si le courage consistait à s’en prendre aux faibles.
Si nous ajoutons à cela la régression constatée à différents niveaux (libertés publiques et individuelles, liberté d’expression, statut de la femme, les droits humains, etc.), nous devons nous inquiéter pour notre jeune démocratie qui risque d’être prise en otage par les forces qui se disputent le pouvoir sur fond de répression.
La question, maintenant, est de savoir si l’on doit, d’après ce que nous venons de dire, enlever le « s » et la parenthèse ou enlever tout simplement la parenthèse et le point d’interrogation au titre que nous avons choisi pour notre article.
La réponse voudrait que l’on précise davantage notre propos. Lorsque l’on promet et l’on tient sa promesse, on est qualifié d’homme de parole. Mais lorsque l’on promet sans tenir sa parole, l’on est qualifié d’homme de paroles; c’est-à-dire qu’on parle trop et qu’on agit peut.  
Comme nous savons que les Marocains attendent autre chose que des paroles, fussent-elles suaves et mielleuses, nous pouvons affirmer que Le chef du gouvernement finira, tôt ou tard, par  se trouver pris à son propre piège, d’autant plus qu’il donne, d’un côté,  la preuve de son absence de vision à long terme dans la conduite des affaires de l’Etat (il navigue à vue), d’un autre côté, la preuve qu’il est homme de paroles et non homme de parole. Je ne voudrais pour illustration que les développements du PV du 20 juillet 2011 ; lesquels développements montrent à quel point il s’empêtre dans des contradictions flagrantes et évidentes.

*Faculté des lettres de Meknès

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