A Rome, une prison concentre les maux du système pénitentiaire italien


Libé
Vendredi 15 Novembre 2024

Des traces de suie noircissent la façade de la prison Regina Coeli à Rome, stigmate des dernières émeutes dans cet établissement tristement célèbre, qui symbolise les profonds fléaux accablant le système pénitentiaire italien.

Un flot continu de femmes, certaines les yeux rougis par les larmes, franchit l'entrée des visiteurs de ce bâtiment délabré, où plus de 1.150 hommes sont entassés pour seulement 628 places.

À quelques mètres du quartier pittoresque du Trastevere et ses restaurants bondés de touristes, Veronica Giuffrida, 31 ans, attend sur un banc sa visite hebdomadaire avec son père incarcéré, son bébé dans les bras.

"Ils manquent de tout. L'eau chaude ne fonctionne pas, l'électricité ne fonctionne pas. Ils sont tout simplement abandonnés", confie-t-elle à l'AFP. "À l'intérieur, c'est une jungle."
Sorti pour une courte pause, un gardien laisse imaginer la difficulté de son quotidien. "Celui qui n'est pas à l'intérieur ne pourra jamais comprendre. C'est indescriptible", glisse-t-il.

Surpopulation, taux de suicide en hausse: Regina Coeli concentre les fléaux structurels qui pèsent sur le système pénitentiaire italien et s'aggravent depuis des décennies. Les gouvernements successifs se bornant à prendre des mesures ponctuelles.

Le cas est loin d'être unique en Europe: en 2023, l'Italie était classée sixième en matière de surpopulation carcérale derrière Chypre, la Roumanie, la France, la Belgique et la Hongrie, selon le Conseil de l'Europe.
Mais depuis octobre 2022 et l'arrivée au pouvoir de la Première ministre d'extrême droite Giorgia Meloni, les observateurs alertent sur l'aggravation du fléau.

Partout en Italie, les retards judiciaires et la lenteur des procédures multiplient les détentions provisoires, et l'accumulation des dossiers devant les magistrats entrave les libérations anticipées.
Depuis le début de l'année, 77 détenus et sept gardiens se sont donné la mort.

Les étrangers représentent environ un tiers des détenus - la moitié à Regina Coeli - et beaucoup ne peuvent prétendre à l'assignation à résidence en raison de leur précarité sociale, tandis que d'autres souffrent de maladies mentales ou de toxicomanie.

"Aujourd'hui, les prisons sont un vaste conteneur où tout finit... une sorte d'assistance sociale pour la société", explique à l'AFP Gennarino De Fazio, responsable du syndicat des gardiens de prison UILPA.

Ancien couvent du XVIIe siècle, Regina Coeli - la "Reine du Ciel" en latin - dont les épais murs en pierre enfermaient les héros de la Résistance sous l'ère fasciste, a été transformé à la fin du XIXe siècle en maison d'arrêt.

Aujourd'hui, son taux d'occupation s'élève à plus de 183%, selon des chiffres officiels.
Elle enregistre aussi le triste record de suicides. Le dernier en date remonte à septembre, dans le quartier des nouveaux arrivants, où deux ou trois hommes passent chaque jour 23 heures dans une cellule, sans lumière naturelle.

Lors des émeutes d'août et de septembre, des détenus ont mis le feu à des bonbonnes de gaz, arraché des grilles et jeté des tuiles du toit.
Le quotidien La Stampa y a vu "une poudrière prête à exploser de colère, de haine, d'humiliation, d'abandon".

Pour la directrice de Regina Coeli, Claudia Clementi, "tout le système est en crise, car si 1.150 personnes prennent une douche au lieu de 700-800, le système de chauffage risque de ne plus fonctionner", a-t-elle affirmé en octobre lors d'une audience régionale sur la santé.
Le ministère de la Justice a refusé la demande de l'AFP d'entrer dans Regina Coeli et d'interviewer Mme Clementi.

Dans son discours inaugural au Parlement, Mme Meloni avait déclaré que ces conditions étaient "indignes d'une nation civilisée". Mais, la population carcérale italienne a encore augmenté pour atteindre 62.110 personnes.
Et selon des spécialistes, la situation risque d'empirer en raison de la politique draconienne du gouvernement, comme la création de dizaines de nouveaux délits punissables de prison ou l'allongement de la durée des peines, qui aggravent l'engorgement.

Le ministre de la Justice Carlo Nordio a annoncé des mesures, comme l'embauche de 1.000 gardiens supplémentaires au cours des deux prochaines années.
Mais elles ne combleront pas le déficit national de 18.000 gardiens, relève M. De Fazio.

Les observateurs réclament une réforme gouvernementale beaucoup plus audacieuse. En attendant, l'Association des avocats de la défense italiens accuse le gouvernement de "tordre l'ensemble du système pénal de façon radicalement intolérante et autoritaire".


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