A Londres, le combat d'une bibliothèque municipale pour sa survie

Comme des centaines de bibliothèques municipales sacrifiées par le plan de rigueur britannique, celle de Kensal Rise a fermé ses portes. Mais localement la résistance s'est organisée et les habitants de ce quartier multiethnique de Londres ne perdent pas espoir de la voir revivre.
A l'extérieur du grand bâtiment victorien en briques désormais interdit au public, à l'angle de deux rues bordées de petites maisons et de quelques commerces, une bibliothèque alternative s'est montée. Des livres, apportés par les habitants, sont à la disposition des passants qui peuvent les emprunter.
"Sauvez notre bibliothèque", "laissez-nous gérer notre bibliothèque", proclament des pancartes affichées sur les murs.
Ouverte par l'écrivain américain Mark Twain en 1900, Kensal Rise fait partie des six "librairies" sur les 12 du quartier de Brent (nord-ouest de Londres) que la municipalité travailliste a décidé il y a un an de fermer.
Raisons invoquées: les coupes budgétaires imposées par le gouvernement et une fréquentation jugée insuffisante. Une exigence d'économies qui menace actuellement au total plus de 400 bibliothèques municipales dans le pays, soit 10% du nombre total, selon les opposants à ces fermetures.
Révoltés par une décision qui pénalise selon eux les plus défavorisés, les habitants de Kensal Rise ont décidé de réagir.
"Cela a été un gros choc, c'est un lieu de vie dans ce quartier", explique Paula Gomez, une mère de famille du quartier, scandalisée qu'une "mairie travailliste puisse avoir une telle mentalité".
"Des gens viennent lire le journal, utiliser les ordinateurs, des chômeurs l'utilisent pour chercher du travail, les enfants pour faire leurs devoirs", énumère-t-elle.
Un blog est lancé, réunions et concerts se succèdent, les pancartes "save our library" fleurissent sur les fenêtres des maisons du quartier. Des écrivains, Zadie Smith, Philip Pullman, apportent leur soutien, de même que des groupes, Depeche Mode, Goldfrapp, Pet Shop Boys.
En octobre, coup dur: la justice juge légale la fermeture des six bibliothèques. La décision prend effet aussitôt.
Les habitants font appel. A Kensal Rise, ils s'organisent pour empêcher la mairie de barricader le bâtiment: pendant quelques jours, les volontaires se relaient 24 heures sur 24 devant les lieux, jusqu'à ce que la mairie annonce qu'elle renonce à intervenir avant la fin de la procédure judiciaire.
Devant la cour d'appel, les défenseurs des bibliothèques font valoir que les fermetures engendrent une discrimination indirecte, au détriment des utilisateurs d'origine asiatique, statistiquement majoritaires.
Et ils reprochent aussi à la mairie de n'avoir pas retenu leurs propositions alternatives pour reprendre les bibliothèques, qu'ils se disent prêts à gérer eux-mêmes.
En face, la mairie se dit engagée à moderniser ses bibliothèques, dont une nouvelle est d'ailleurs en construction, prévue pour début 2013.
Alors qu'ils attendent le verdict de la Cour, de récentes décisions de justice donnent espoir aux habitants. La Haute cour de Londres a jugé illégales à la mi-novembre les décisions des collectivités de Somerset et de Gloucestershire (est de l'Angleterre) de retirer leurs financements à environ un tiers de leurs bibliothèques.
Et face à d'intenses campagnes de mobilisation, une enquête parlementaire vient d'être lancée pour examiner la légalité des fermetures et leurs répercussions sur les populations locales.