​Trimer dès 16 ans serait légal pour la majorité gouvernementale !

Levée de boucliers des droits-de-l’hommistes


T. Mourad
Mardi 10 Mai 2016

Le Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes a lancé une campagne de mobilisation pour pousser les parlementaires à refuser les dispositions du projet de loi n°12-19 fixant les conditions d’emploi des travailleurs domestiques et notamment dans son article 6 qui autorise le travail domestique à partir de 16 ans. 
Ce projet de loi qui a été déposé par le gouvernement à la Chambre des conseillers avant d’être transmis à la Chambre des représentants en janvier 2015, devait être adopté hier par la  Commission des affaires sociales. 
S’il l’est sans amendement de cette disposition, plusieurs problématiques surgiront lors de sa mise en œuvre. « Qui va s'occuper d'identifier et de traiter les cas au lendemain de la promulgation de la loi ? Quels sont les organes habilités à intervenir et à gérer le processus de retrait? Où seront installées les petites filles qui seront extraites du travail domestique ?  Qui se chargera de la mise en contact avec les familles? Quel accompagnement est-il prévu par l'Etat pour les réhabiliter avant de les réinsérer au sein de leurs familles?», a lancé le Collectif lors de sa campagne contre ce projet de loi. 
Bouchra Ghiati, présidente de l’Association Insaf qui veille à la prévention de l'abandon des enfants nés hors mariage et à la lutte contre l'exploitation des filles mineures dans le travail domestique, a affirmé à ce propos que son association a mené depuis des mois une campagne de sensibilisation et de plaidoyer auprès des groupes parlementaires, toutes tendances confondues, et rencontré le chef du gouvernement lui-même à propos du même sujet.
«C’est bien de légiférer dans ce domaine, mais laisser les filles de 16 ans travailler dans les maisons, c’est donner une légitimité à ce travail», a-t-elle affirmé dans une déclaration à Libé. Elle a estimé que l’article 6 dudit projet de loi est absurde puisqu’il stipule qu’une fille mineure âgée entre 16 et 18 peut signer un contrat avec son employeur. «A cet âge, l’enfant n’est pas juridiquement habilité à signer de tels documents», a-t-elle souligné.
Elle a donc appelé les groupes parlementaires et les partis politiques à faire valoir les droits des enfants et s’éloigner de tout marchandage politique.  «Les enfants ne doivent pas payer le prix des tractations politiques. Tu me passes cette loi et, en contrepartie, je vote pour ta loi». 
En mars dernier, rappelle-t-on, l’Association casablancaise des pédiatres privés (ACPP), l’Association marocaine des psychiatres d’exercice privé (AMPEP), l’Observatoire marocain de l’enfant et de l’adolescent des deux rives (OMEADR) ont annoncé leur soutien à l’Association Insaf et au Collectif pour l’éradication de l’exploitation des filles mineures dans le travail domestique en menant une campagne contre ce projet de loi.
Ces ONG ont fondé leur refus de voir des filles mineures légalement employées sur des faits incontestables tirés de leur quotidien et de leurs expériences. «En tant que pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, psychologues, pédagogues, enseignants, travailleurs sociaux, nous avons trop souvent rencontré, dans l’exercice de nos métiers, des jeunes filles, des adolescentes, des jeunes femmes adultes même, brisées physiquement et/ou psychiquement par une vie de labeur en tant que domestiques, commencée trop tôt, jamais choisie et imposée pour diverses raisons», peut-on lire dans leur lettre datée du 10 mars dernier.
Dans un article intitulé «Les petites bonnes», nouveau visage de l’esclavagisme» publié sur nos colonnes, Hicham El Moussaoui, maître de conférences en économie à l’Université Sultan Moulay Slimane et Siham Mengad, docteur en droit public, ont rappelé que le Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes, estimait qu’entre 60.000 et 80.000 fillettes de 8 à 15 ans sont exploitées comme domestiques au Maroc. Ils considèrent donc qu’il ne s’agit pas de combattre le travail domestique en soi, mais de lutter contre «le travail domestique assuré par des filles mineures et toutes les formes d’exploitation qu’elles subissent».
Plusieurs institutions sont montées au créneau pour dénoncer le travail des enfants à l’âge de 16 ans. A titre d’exemple, en 2013, le Conseil national des droits de l’Homme avait rendu public un avis consultatif sur ce projet de loi, et ce sur saisine de la Chambre des conseillers dans lequel il avait recommandé de fixer l’âge minimum d’admission au travail domestique à 18 ans.
Cette institution constitutionnelle avait fondé son avis sur «le préambule de la Convention N°189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques et qui renvoie à la convention relative aux droits de l’enfant, et sur le deuxième paragraphe de l’article 3 de la convention qui oblige tout membre à «prendre à l’égard des travailleurs domestiques les mesures prévues par la présente convention pour respecter, promouvoir et réaliser les principes et droits fondamentaux au travail» notamment «(c) l’abolition effective du travail des enfants». En outre, le Maroc, selon la même source, «a adopté  la Déclaration de Rabat pour la 3ème Conférence mondiale sur le travail des enfants de Brasilia 2013 qui préconise la révision de l’ancienne liste des travaux dangereux interdits aux enfants de moins de 18 ans et l’élaboration d’un décret relatif à cette nouvelle liste».
 

​Des esclaves en culottes courtes

Faut-il prendre la peine de rappeler au gouvernement que pour l’OIT, l’esclavage moderne, le travail forcé et le travail des enfants font la paire et qu’au Maroc, ces derniers meublent le quotidien de milliers de personnes qui n’en peuvent plus. 
Qu’en conclure sinon que les personnes qui sont actuellement aux commandes de l’Exécutif ne veulent pas en entendre parler. Qu’ils ne peuvent se faire à l’idée que le problème des petites bonnes continue à tarauder notre conscience. Que selon un rapport du HCP, 1,1% des ménages marocains recourent encore au labeur de ces esclaves en culottes courtes. Que l’exploitation de milliers de petites mains, tous sexes confondus, est monnaie courante dans l’informel et le secteur  de l’artisanat. Que tous ces enfants devraient vivre leur enfance en toute quiétude et loin du marché implacable de l’emploi. Qu’ils sont, à n’en pas douter, des victimes expiatoires d’une société qui sait certes dresser des plans, mais qui n’a jamais su lire son propre avenir dans les yeux de ses propres enfants. Que si le gouvernement persévère dans sa politique du pire, la situation de ces derniers ne fera qu’empirer, obérant ainsi davantage le propre devenir de notre pays.
Les hérauts  du laisser-faire actuel savent assurément tout cela, mais ils feignent de ne pas être au courant pour continuer à nous mentir en nous regardant droit dans les yeux et à nous vendre l’image d’un Maroc qu’ils veulent rayonnante alors que le dernier quidam sait exactement ce qu’il en est et ce qu’il faut faire pour éviter que le pire ne perdure.
H.T


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