​Sida : Le monde retient son souffle

La menace de Trump de réduire le soutien financier US à la lutte contre le VIH met les spécialistes en émoi


Tabet Mourad
Mardi 25 Juillet 2017

Au Maroc, l’accès au traitement contre le VIH est passé de 16% en 2010 à 48 % en 2016

Quelque 6.000 spécialistes du sida font le point à Paris depuis  dimanche jusqu’à demain mercredi sur les avancées de la recherche, sur fond d'inquiétudes face à la baisse du soutien financier à la lutte contre le VIH ces dernières années.
A cet effet, la conférence internationale de recherche sur le sida, qui a débuté dimanche à Paris, a appelé les Etats-Unis, premier contributeur dans la lutte contre l'épidémie, à "rester engagés" financièrement, alors que le président Donald Trump a menacé de coupes budgétaires qui pourraient avoir des effets catastrophiques sur nombre de pays, notamment africains. Mais qu’en sera-t-il du nôtre ?
 « Le Maroc est le meilleur pays membre des Nations unies en matière de lutte contre le sida dans la région MENA », nous a déclaré, en substance Hakima Himmich, présidente de l’Association de lutte contre le sida (ALCS) en guise de commentaire à propos de la publication d’un nouveau rapport de l’ONUSIDA sur le VIH dans le monde. Lequel affirme que l’accès au traitement contre le VIH est passé au Maroc de 16% en 2010 à 48 % en 2016. 
La présidente de l’ALCS nous a, par ailleurs, précisé qu’au Maroc, « il y a eu moins de décès et d’énormes progrès » par rapport aux autres pays de la région MENA où le pourcentage de personnes traitées stagne  alors que celui des décès diminue à peine. 
Selon elle, le fait que le Maroc enregistre de bons résultats est dû essentiellement à «l’excellente politique suivie à la fois au niveau gouvernemental qu’associatif. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas un seul pays de cette région où il existe une ONG spécialisée dans la lutte contre cette maladie. Notre association y  est la plus importante et la plus ancienne ». Et d’ajouter: « Nous sommes le seul pays de la région MENA où une volonté politique existe au plus haut niveau. Il n’y a pas un seul chef d’Etat qui ait parlé un jour du sida. Nous avons la chance que S.M le Roi s’intéresse à ce problème et qu’il le manifeste notamment en décernant son Haut patronage au Sidaction». 
Pourtant, la présidente de l’ALCS a estimé que « la bataille n’est pas encore gagnée car environ la moitié des personnes porteuses du VIH ne le savent pas. Cela veut dire que la moitié des personnes infectées  continuent à transmettre le virus et ne bénéficient pas de traitement, alors que l’on sait aujourd’hui qu’une personne mise sous traitement et qui le suit correctement ne transmet pas le VIH ». 
L’enjeu réside donc, selon Hakima Himmich, dans l’amélioration de nos résultats. Cela passe par les campagnes de dépistage. « Il y a aujourd’hui 800 centres de santé dans lesquels le dépistage se fait », a-t-elle assuré. 
Elle a ajouté, dans ce sens, que l’ALCS ne cesse d’innover dans ce domaine. Elle a ainsi lancé le dépistage communautaire avec l’accord du ministère de la Santé et le soutien financier du Fonds mondial. « C’est un dépistage qui n’est pas fait par des médecins, a-t-elle expliqué, mais par des personnes de la communauté et par des membres de l’ALCS formés à cette tâche, l’avantage étant que les personnes les plus vulnérables acceptent plus facilement de se faire dépister».
Même si le rapport onusien avance des données positives et encourageantes en matière de lutte contre le sida dans le monde, Hakima Himmich s’est dite inquiète, vu qu’«il y a des sujets de préoccupation car il y a encore 36,7 millions de personnes porteuses de VIH à travers le monde dont 50% ne reçoivent pas de traitement et que les progrès sont très inégalement répartis ». 
Mais le plus préoccupant, pour elle, c’est le manque de volonté politique chez certains des dirigeants des grandes puissances comme les Etats-Unis de Trump. Celui-ci « menace de couper sévèrement le financement du programme de lutte contre le sida. Ca sera une catastrophe, car les personnes qui reçoivent le traitement risquent de ne plus en bénéficier demain », a-t-elle précisé. 
Elle a, par ailleurs, critiqué le fait que le président français n’ait pas présidé le Congrès mondial sur le sida, « alors que ces prédécesseurs l’avaient fait, notamment Jacques Chirac, qui avait inanguré la conférence de 2003 et réitéré l’engagement politique et financier de la France dans la lutte contre le sida ».
Il convient de rappeler que l’ALCS a rendu public dernièrement un communiqué dans lequel elle assure que « les obstacles à l’éradication du sida d’ici 2030, sont le manque de volonté politique qui se traduit par des financements insuffisants et l’atteinte aux droits humains des populations les plus vulnérables». Et que « le nouveau rapport de l’Onusida chiffre à 7 milliards de dollars par an (soit 0,01% du PIB mondial) le montant manquant pour atteindre les objectifs. Or le Fonds mondial n’a reçu que 170 millions de dollars annuels de plus sur 2017-2019 par rapport à 2014-2016 pour lutter contre le sida. Résultat, il est mis face à un choix cornélien: retirer l’aide internationale aux pays à revenu intermédiaire, comme le Maroc, pour la concentrer dans les pays les plus pauvres ». 

 

Plus de 830.000 patients privés de soin

Les Etats-Unis sont historiquement le plus gros contributeur dans la lutte contre le sida, et de loin : ils représentent à eux seuls plus des deux tiers des financements gouvernementaux internationaux. L'an dernier, ils ont consacré 4,9 milliards de dollars (4,2 milliards d'euros) à des programmes de lutte contre le sida, très loin devant le Royaume-Uni (645,6 millions d'euros) et la France (242,4 millions d'euros). Mais le président Donald Trump veut réduire ces dépenses dans le budget 2018, actuellement en discussion au Congrès, pour un montant global évalué à plus d'un milliard de dollars par l'ONG américaine Health Gap.
Il faut "réduire les financements de plusieurs programmes de santé, dont certains concernent le sida, en considérant que d'autres donateurs devraient augmenter leur contribution", a écrit Donald Trump en mai dans un projet de budget. Si elles sont adoptées par le Congrès, ces coupes priveront 830.000 patients, essentiellement africains, d'antirétroviraux, traitements qui empêchent le développement du virus, estime la Kaiser Family Foundation. Elles entraîneront en outre 200.000 nouvelles infections, prévoit cette organisation américaine à but non lucratif spécialisée dans les politiques de santé.
Parmi les coupes envisagées, une baisse de 17 % de la contribution américaine au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, soit 222 millions de moins qu'en 2017. "Les Etats-Unis représentent environ un tiers du financement total du Fonds mondial, donc une baisse de 17 % de leur contribution serait vraiment un coup de tonnerre", craint Alix Zuinghedau de Coalition Plus, un regroupement d'associations de lutte contre le sida.

​Deux fois moins de morts depuis 2005

Les progrès dans la lutte contre le virus sont notables : depuis 2005, le nombre de morts de maladies liées au sida a été divisé par deux dans le monde (un million en 2016), a annoncé jeudi dernier l'Onusida, le programme de coordination de l'ONU. En 2016, 36,7 millions de personnes vivaient avec le VIH et plus de la moitié (19,5 millions) avaient accès aux traitements.
L'an dernier, 19,1 milliards de dollars ont été réunis par des donateurs publics et privés dans le monde pour la lutte contre le sida. Il en faudrait 26,2  milliards pour être sûr d'atteindre en 2020 le but fixé par l'ONU : soit que 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, que 90% de ces dernières soient sous traitement, et que parmi celles-ci, 90 % aient une charge virale indétectable. "Nous maximisons l'usage de chaque dollar disponible mais il nous en manque toujours 7 milliards", a déclaré jeudi Michel Sidibé, directeur exécutif de l'Onusida.


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