​Les dangers d’une mauvaise communication politique en Afrique


Par Salla Guèye *
Jeudi 12 Mars 2015

​Les dangers d’une mauvaise communication politique en Afrique
Après l’émotion, surgissent les interrogations. Quelle conscience humaine digne de ce nom, peut-elle rester indifférente devant les propos injurieux de l’ex-chef de la Magistrature suprême à l’endroit de la Première institution de notre pays ?Au nom de son statut d’ancien Président de la République du Sénégal  ou sous prétexte de la liberté d’expression, Me Abdoulaye Wade s’est encore une fois illustré par ses déclarations acerbes faites contre son désormais «fils» et actuel locataire du Palais présidentiel. Ces propos, d’une autre époque, n’honorent guère la nation sénégalaise ni l’esprit qu’on s’est fait de la démocratie dont notre Etat fait montre depuis son accession à la souveraineté internationale. Au-delà de la personne visée, en l’occurrence le Président Macky Sall, le Secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (Pds) a touché à la première institution de toute une nation qu’il a eu d’ailleurs à diriger pendant une douzaine d’années. Stratégie politique ou manœuvres gratuites ? En tout cas, même si l’objet de sa sortie reste pour le moment ignoré, Maître Wade a surpris plus d’un. Ces propos sont tenus au moment où un jeune de son parti, à savoir Mamadou Lamine Massal y faisait face aux enquêteurs pour  avoir tenu des affirmations similaires. Des termes comme «prostitué politique», «vieux menteur» ou encore «esclave» qui sont devenus à la mode suffisent largement pour s’interroger sur la qualité des débats politiques au Sénégal.

Communication 
ou injures politiques?

«La politique se joue aujourd’hui sur un mode communicationnel», écrivait Dominique Wolton dans son célèbre ouvrage intitulé «La communication politique : construction d’un modèle». Cette affirmation de l’intellectuel français et spécialiste de la communication et des médias est aujourd’hui, d’actualité au Sénégal où les leaders, même les moins connus, se livrent à des déclarations souvent «scandaleuses». Objectif : prétendre acquérir une certaine audience populaire. Le constat est alarmant. Les activités quotidiennes des hommes politiques se réduisent le plus souvent aux affrontements même si ceux-ci ne sont principalement que verbaux. Selon le professeur Ibrahima Silla, «en politique, l’affrontement ne saurait être légalement physique même s’il arrive que les hommes et les femmes politiques en viennent aux lèvres, aux mains et aux poings. Mais, le plus souvent, l’affrontement reste verbal sous forme de débats contradictoires ou d’un face-à-face en période électorale notamment. Les mots en politique sont comme une arme». (Communiquer en politique, l’art de coudre et d’en découdre Editions des trois fleuves, 2011, P.14). Donc, en politique, il faut impérativement maîtriser cet art «d’en découdre» pour prétendre tirer son épingle du jeu. Toutefois, reconnaissons-le, ce débat contradictoire ne se fait pas sur des bases scientifiques ou intellectuelles. Ce qui, malheureusement, salit l’image de notre espace politique. Et les récentes révélations de Wade et de Massaly sur respectivement les personnes de Macky Sall et d’Aminata Tall en sont de parfaites illustrations. En agissant de la sorte, les auteurs de telles allégations se cachent toujours derrière la liberté d’expression et/ou le «plein» droit de mener sa communication en vue de participer «librement» aux débats politiques. Même si elle reste le moteur de l’espace public, la communication politique est confrontée à deux limites : d’une part, les rapports entre expression et action et d’autre part, la tendance croissante que prend la logique représentative comme moyen de réguler les flots de communication nombreux et hétérogènes. Ces deux limites sont directement liées au concept d’égalité des opinions au sein de la communication politique. Il est évident que sans ces deux conditions théoriques, à savoir le droit à l’expression et l’égalité, le modèle démocratique ne serait pas confronté à ces limites.
Ce problème de communication qui gangrène l’espace politique sénégalais est certainement une caractéristique des leaders qui maîtrisent peu les stratégies et les soubassements de ce milieu si complexe. Ce qui démontre en même temps que les acteurs de la classe politique jouent souvent avec le feu. Non pas le feu qui sert à transformer le feu en acier, mais le feu qui fait flamber le front social sur des raisons qui n’en sont pas.

Mauvaise interprétation 
de la liberté d’expression

Enfin, une dernière et terrible, mais non moins plausible interrogation qu’on peut se poser, sous le couvert bien entendu, de ce droit fondamental : peut-on dire ou rire de tout au nom de la liberté d’expression ? Aujourd’hui, certains considèrent celle-ci comme la liberté la plus fondamentale puisque c’est la condition du respect de toutes les autres libertés. Sans liberté d’expression, il n’y a pas de débats démocratiques ! C’est indiscutable. Mais l’étendue de la liberté d’expression demeure une question chaudement discutée. Où s’arrête la liberté de dire? A cette question, chacun donne une réponse reflétant la place qu’il accorde à la liberté d’expression par rapport aux autres droits. D’aucuns estiment que la liberté d’expression doit céder le pas dès lors que le propos indispose ou dérange. Certains délimitent la portée de la liberté d’expression à partir des conceptions morales ou éthiques : c’est-à-dire, tout ce qui heurte les valeurs morales ou l’éthique à laquelle on adhère doit être censuré. Dans une société démocratique comme la nôtre, la liberté d’expression est garantie par des textes constitutionnels. La Charte fondamentale prévoit dans son article 10 que «chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, l’image, la marche pacifique pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur, ni à la considération d’autrui, ni à l’ordre public». Toutefois, puisque «la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres», elle est fortement encadrée. Car, toute liberté socialement reconnue se trouve, en même temps, juridiquement limitée. C’est pourquoi la liberté d’expression se heurte à un certain nombre de restrictions qui sont fixées par la loi et qui sont jugées nécessaires au respect des droits et de la réputation d’autrui. Ces restrictions se justifient par des raisons sécuritaires et la protection du droit des individus. On ne peut pas donc, au nom de la liberté d’expression, insulter librement et publiquement une personne, tenir des propos racistes, ou encore se livrer à la diffamation. Les critères de ces interdits concernent surtout le droit à l’honneur. Car même si les paroles ne tuent pas, elles peuvent porter atteinte à l’honneur ou à l’intégrité morale. Au Sénégal, des restrictions sont mentionnées dans le Code pénal, notamment dans ses articles 72, 80 et 255 qui répriment tout propos de nature à «troubler l’ordre public», «à inciter à l’insurrection populaire» et «à diffuser de fausses nouvelles». Mieux, l’article 139 du Code de procédure pénale prévoit, avant jugement, de déférer sur simple instruction du procureur tout individu incriminé dans une affaire. C’est ce que l’on appelle les délits de presse ou «les infractions commises par tous les moyens de diffusion publique».

Quelle part de 
responsabilité 
pour les médias?

Si nous considérons, avec Jürgen Habermas, la communication politique comme «un espace où s’échangent les discours contradictoires des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer  publiquement  sur la politique et qui sont les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique au travers des sondages», nous verrons nettement la fonction essentielle que jouent les médias dans le jeu politique. Ceux-ci se présentent aujourd’hui comme des espaces publics ouverts à la confrontation des valeurs et des intérêts où l’individu transcende ses particularités pour s’intéresser à l’intérêt général. En effet, depuis une époque récente, le paysage médiatique sénégalais est marqué par la participation des citoyens dans l’animation des débats politiques notamment dans la presse audiovisuelle. Cette pléthore d’émissions ouvertes et interactives diffusées dans les médias «chauds» ou «froids» comme l’enseignait Marshall Mc Luhan sont des occasions en or qui s’offrent aux nombreux Sénégalais, même analphabètes, pour prendre part à la vie politique. Ce qui est salutaire car étant une promotion de la démocratie sénégalaise.
Mais en intégrant ces «innovations» majeures, les professionnels des médias se doivent d’assumer toutes les conséquences qui en découleront. Pourquoi diffuser des injures ou des propos orduriers à l’encontre d’un président de la République? C’est une lapalissade de dire que l’usage que l’on fait des moyens de communication sociale peut avoir des effets positifs comme négatifs. Bien que l’on dise souvent que les «médias» font la «pluie et le beau temps», il ne s’agit pas de forces aveugles de la nature échappant au contrôle humain. Car, faut-il le rappeler, même si les actes de communication entraînent souvent des conséquences inattendues, les personnes choisissent toutefois d’utiliser les médias à des fins de bien ou de mal, de bonne ou de mauvaise manière. Ces choix décisifs pour la question d’éthique, sont faits non seulement par ceux qui reçoivent la communication -spectateurs, auditeurs, lecteurs-, mais également par ceux qui contrôlent les instruments de communication sociale et déterminent leurs structures, leurs politiques et leurs contenus. Quoi qu’il en soit, ces pratiques prennent de l’ampleur et n’augurent guère d’effets positifs.

 * Contributeur sur
 www.imanifrancophoone.org
Article publié 
en collaboration avec le think tank ghanéen Imani


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