​L'enseignement privé sur la sellette

Entre parents indignés et proprios intransigeants


Chady Chaabi
Mardi 9 Juin 2020

Et si ce conflit larvé était un élément déclencheur pour inverser la tendance et redonner ses lettres de noblesse à l’enseignement public ?

​L'enseignement  privé sur la sellette
Le torchon brûle comme jamais entre les écoles privées et les parents d’élèves. La cause ? Les frais de scolarité du dernier trimestre. Alors que les établissements scolaires exigent leur paiement en intégralité, des parents s’y refusent car insatisfaits des cours à distance dispensés en ces temps de coronavirus. Pour ces derniers, la crise sanitaire justifie amplement une réduction des frais de scolarité et même une exonération « d’autant que le contrat qui nous lie aux écoles est basé sur le présentiel et non sur les cours à distance », rappelle un parent d’élève en soulignant les nombreux frais supplémentaires (Internet, matériel informatique, etc) liés aux cours à distance ainsi que l’implication des parents indispensable par moments. Mais pour les établissements scolaires, il n’en est pas question. Car si certains concèdent que le e-learning n’est pas prévu dans le contrat, en revanche, ils mettent en avant certaines charges dont le salaire des enseignants qui demeure lui inchangé, e-learning ou pas.
« Nous avons reçu des plaintes de la part de certaines familles qui se trouvent dans l’impossibilité de régler les frais de scolarité de leurs enfants à cause du contexte de crise liée au Covid-19 et qui subissent des pressions de la part de ces écoles », confiait Hassan Bakhous, vice-président de la Fédération nationale des associations des parents d'élèves au Maroc (FNAPEM), dans notre édition du samedi 16 mai. Quelques semaines plus tard, la situation n’a presque pas bougé d’un iota. Presque. Car ,entre- temps, certaines écoles ont décidé de répondre favorablement à l’appel de la FNAPEM qui les a sollicitées dans un communiqué daté d’avril dernier « d’adopter une sorte de flexibilité et de prendre en considération le contexte de crise», ajoute Hassan Bakhous. La flexibilité en question a pris la forme d’une évaluation au cas par cas. Un formulaire de demande d’aide exceptionnelle liée au Covid-19 a été mis à disposition par certains établissements au profit des parents d’élèves en difficulté. Il comprend la situation familiale et surtout le motif de la demande (licenciement, réduction ou suspension du salaire, arrêt d’activité professionnelle, etc) et doit être accompagné de justificatifs.
Sauf que voilà, certains parents d’élèves ont ressenti la démarche comme un affront. Sur les ondes radio, un parent a furieusement balayé de la main l’idée de se justifier de la sorte. «Sauf si les écoles font de même. Dans le cas où leur bilan comptable est dans le rouge, alors je paierais la totalité des frais et même un bonus », s’avance-t-il, confiant dans la bonne santé financière des écoles privées. « Des écoles qui surfacturent les frais d’assurance en début d’année pour s’en mettre plein les poches », s’emporte un autre parent. A y regarder de plus près, il est surprenant de constater l'aversion exprimée par certains parents envers les établissements privés. Pourtant, personne ne les a obligés à pactiser avec eux. Mais en même temps, faut dire aussi que les propriétaires des écoles privées ont œuvré maladroitement à la dégradation de leur image. Personne n’a oublié que la Ligue de l’enseignement privé a demandé « sa part » du Fonds spécial de gestion de la pandémie du coronavirus.
Le manque de communication et les décisions drastiques prises ont également œuvré en ce sens. Preuve en est ces établissements qui ont déposé des plaintes judiciaires contre des parents, ou d’autres qui ont brandi la menace de ne pas réinscrire les élèves des parents récalcitrants l’année prochaine, ou tout simplement de retirer les enfants dont les parents n’ont pas réglé la note des différentes plateformes utilisées pour les cours à distance, faisant fi de l’impact et du traumatisme engendré par une démarche aussi froide que dénuée de toute humanité. Un comble pour des établissements dont l’un des arguments commerciaux de base est le bien-être de ‘’Vos’’ enfants. Bref, les écoles privées ne pouvaient pas mieux s’y prendre pour se mettre à dos l’opinion publique. Cela dit, outre le fait qu’elles n’obligent personne à s’attacher leurs services, on ne peut nier qu’elles ont elles aussi des charges. Certes, une école dont les portes sont closes à cause du confinement a forcément des dépenses en moins (transport scolaire, eau, électricité, etc) d’autant que la majorité des établissements scolaires ont demandé à leurs personnels de diminuer leurs salaires. Dans ce cas, le combat des parents d’élèves n’est pas dénué de sens. Mais ce n’est pas aussi simple que ça. 
« Si les parents ne paient pas les écoles, c’est mon salaire qui est en danger », s’inquiète une enseignante vacataire dans un collège privé à Casablanca où plusieurs salariés forfaitaires (chauffeurs, agents de sécurité, etc) ont dû se rabattre sur la CNSS à défaut de percevoir leurs salaires. Puis de poursuivre :« Je suis la première à dire que le e-learning n’a absolument rien à voir avec les cours en présentiel. Et je suis la première à en souffrir. Je suis mal à l’aise car je constate que l’apprentissage est plus compliqué. Mon message a du mal à passer à cause de l’inattention de certains élèves. Mais ce n’est pas pour autant que j’accepterai de m’asseoir sur une partie de mon salaire. J’estime que je fais mon travail donc je dois être payée en retour ». Vous en conviendrez sûrement, il est impossible de cerner avec exactitude la santé financière de tel ou tel établissement scolaire. Mais il ne faut tout de même pas oublier qu’ils ne sont pas tous dans le même panier. Les grands groupes scolaires ont sans aucun doute la surface financière pour trouver un terrain d’entente avec les parents d’élèves quitte à perdre un peu d’argent. Mais la majorité des établissements sont des petites entreprises. Et dans leur cas, faire des concessions est moins évident. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, la réalité est tout autre, à croire que l’on marche sur la tête. « Pour ma part, j’ai été correct. J’ai payé les frais de scolarité de mon enfant car mon salaire n’a pas été impacté par la crise contrairement à d’autres», nous confie un parent d’élève. Puis de nuancer : « Mais un ami à moi a été traité comme un paria par un grand groupe de Casablanca car lui a malheureusement été impacté par la crise actuelle et n’a pas pu s’acquitter des frais ».
En tout cas, ce conflit larvé nous apprend une chose : Un mépris généralisé pour l’enseignement public. Croire que tous les parents dont les enfants sont scolarisés dans le privé en ont les moyens est une utopie. Nombreux sont ceux qui s’endettent pour offrir ce qu’il y a de mieux à leurs enfants. Enfin c’est ce qu’ils croient. Car rien ne prouve que leurs progénitures ne réussiront pas leur vie en s’asseyant sur les bancs des établissements publics. Et vice versa. Il n’y a pas de règle prédéfinie contrairement à ce qui est répandu. Résultat : Le pouvoir des établissements privés se trouve renforcé d’année en année. Et si la crise du coronavirus et le conflit larvé qui en a découlé étaient un élément déclencheur pour inverser la tendance et redonner ses lettres de noblesse à l’enseignement public ? Ce ne serait pas plus mal. 


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