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​L’amnistie de change est-elle un antidote à la fuite des capitaux ?

Sans réformes de fond, toute amnistie fiscale ne serait qu’une opération de chasse au cash

Jeudi 18 Décembre 2014

​L’amnistie de change est-elle un antidote à la fuite des capitaux ?
A deux semaines de l’expiration du terme (fin 2014) de l’amnistie de change, les banques enregistrent un important rush de clients. Il s’agit d’une opportunité offerte par la loi de Finance 2014 aux Marocains afin de régulariser leur patrimoine (biens et capitaux) détenu illégalement à l’étranger moyennant le paiement d’une contribution libératoire (variant de 2 à 10% du montant des avoirs à l’étranger). Une telle campagne peut-elle juguler le problème de fuite de capitaux à l’étranger ?
Vraisemblablement non, et ce pour trois raisons. D’abord, car il s’agit d’une loi mal conçue à l’image de certaines dispositions incohérentes, notamment la date ultime du 31 décembre. Ainsi, deux contribuables : le premier ayant acheté un bien à l’étranger le 30 décembre 2013 sera amnistié et celui qui l’a acquis le 1 décembre 2014 sera considéré hors la loi et donc pénalisé. Les biens immeubles seront taxés sur la valeur d’origine, alors que les actifs financiers et valeurs mobilières le seront sur la valeur actuelle, d’où une discrimination de traitement. Cette amnistie de change pèche surtout par l’amalgame qu’elle fait entre les fraudeurs (ceux domiciliés fiscalement au Maroc et détournant des avoirs à l’étranger) et les ressortissants marocains à l’étranger (MRE) ayant la double nationalité et possédant des avoirs dans leur pays d’accueil. En conséquence, cette partie des Marocains du monde est mise dans le même panier que les autres fraudeurs. Par ailleurs, il faut préciser que l’essentiel des gros détenteurs d’avoirs à l’étranger ne les cachent pas en zone OCDE, avec laquelle le Maroc est signataire d’une convention d’échange automatique de renseignements fiscaux, mais c’est dans l’hémisphère-Est qui n’est pas encore concernée par ces accords (pays asiatiques). En conséquence, cette loi ne viserait que les « petits poissons », pendant que les « gros poissons » ne seront pas inquiétés car le Maroc n’a aucun moyen d’identifier leurs magots.
Ensuite, il faut relever que cette loi sur l’amnistie de change manque de légitimité car violant le droit international privé qui règle le statut des biens et in fine le droit de propriété, car les biens sont régis dans le droit international privé par la territorialité (c’est la loi du lieu qui régit les statuts des biens). Un bien acquis en France ne peut être régi que par la loi française et non pas par la loi marocaine. Donc cette amnistie est une aberration du point de vue de droit international privé. Au nom de quoi faudrait-il taxer les revenus et les avoirs des Marocains du monde dont la provenance a pris naissance dans un pays étranger ? Clairement cette loi ne respecte pas la territorialité de l’impôt.
Enfin, si l’Etat marocain estime qu’il est légitime de récupérer les impôts, les contribuables marocains ont tout autant le droit de demander des comptes quant à l’usage de l’argent des impôts. Malheureusement, il existe un déphasage entre la pression fiscale exercée sur les contribuables et la qualité des services rendus par les administrations et les entreprises publiques ainsi que les collectivités territoriales. Il serait donc illusoire de croire que ce genre d’amnistie suffira pour résoudre la problématique de financement car elle s’attaque seulement au stock et non au flux des fonds détournés. Car même avec 10 MMDH rapatriés, le chiffre restera modeste par rapport aux 33 MMDH détournés chaque année. L’expérience des trois amnisties déjà décrétées prouve qu’une fois l’orage passé, les fraudeurs recommencent de nouveau, tant que le terreau demeure favorable à une telle fraude.
Si les avoirs à l’étranger détenus par les Marocains ne sont pas déclarés ou détournés, c’est parce qu’il y a des raisons. A part le vice de certains contribuables, la plupart se plaignent de la pression fiscale (22,4%), de la complexité des procédures de déclaration et de paiement, du traitement par l’administration fiscale et surtout de l’usage qui est fait des impôts récoltés. Par ailleurs, il est très important de distinguer entre les résidents marocains qui ont fait sortir de l’argent d’une manière irrégulière pour acquérir des biens ou des actifs financiers à l’étranger, et les MRE qui sont à cheval entre le Maroc et leur pays d’accueil ou encore ceux qui sont rentrés définitivement au Maroc. D’où la nécessité d’une loi fiscale spécifique sur les avoirs étrangers, tenant compte des particularités de nos ressortissants et de leur contribution à l’économie nationale. De même, pour les résidents marocains, il est nécessaire de réformer la réglementation des changes pour plus de liberté, notamment en matière de détention des comptes en devises et d’opérations financières. Il n’est pas du tout pertinent économiquement de priver les gens de la liberté de disposer de leurs biens et de leurs revenus. Si le gouvernement veut que les citoyens ramènent leur argent et l’injectent dans le circuit économique domestique, il faut savoir s’y prendre. Par exemple, si l’on veut véritablement améliorer la liquidité de nos banques et nos réserves de change, cette amnistie n’est pas le meilleur outil comme présenté par le gouvernement. Au contraire, la rémunération des comptes en devises et des comptes convertibles en DH des Marocains du monde, aurait été des solutions pertinentes qui auraient incité efficacement les MRE à rapatrier leurs fonds, de même qu’une offre de produits financiers compétitive et rentable les aurait poussés à investir dans l’économie marocaine.
De manière générale, pour empêcher les capitaux nationaux de fuir et attirer ceux qui sont à l’étranger, il est besoin d’un environnement incitatif, d’où l’intérêt de l’accélération des réformes du climat des affaires, de la consolidation de l’Etat de droit pour la protection des biens et des capitaux, de l’allégement et la modulation de la fiscalité, de l’assouplissement des réglementations et la chasse à la complexité bureaucratique. C’est à ces conditions que l’on peut espérer retenir nos capitaux à domicile et non pas par des amnisties fiscales sporadiques.
Dès lors, une amnistie fiscale sans réformes de fond ne serait finalement qu’une opération de chasse au cash !

 * Maître de conférences 
en économie à l’Université Sultan Moulay Slimane 
Article publié en collaboration avec Libre Afrique

Par Hicham El Moussaoui *

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