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“Décès de notre chère mère de tous les détenus politiques des années de plomb Mi Fatima”, “Mi Fatima, notre mère courage est décédée”, “Adieu à la mère de tous les anciens détenus”. Toute la nuit, les hommages et les messages de compassion ont circulé sur les réseaux sociaux témoignant du parcours exceptionnel d’une femme, mère d’abord et avant tout, qui a vécu les années de braise de l’autre côté des barreaux et du miroir.
Fatima Ait Ettajer a toujours eu une conscience politique. Avec la détention de son fils, l’avocat Hassan Semlali –aujourd’hui président de la Fondation Driss Benzekri pour la démocratie et des droits de l’Homme- elle est au plus près confrontée à l’arbitraire et l’injustice. Hassan, le fils qu’on lui a pris pour le jeter en prison en 1974, faisait partie du groupe Serfaty. Son fils n’est pas le seul. Des centaines de jeunes militants qui ont rêvé de démocratie et de liberté ont subi les affres de la disparition forcée, la torture et la condamnation à des siècles de prison. A sa façon, c'est-à-dire avec un courage rare, elle choisit de se battre, de mettre en commun ce désespoir qui se fait force, de transformer l’inquiétude et la colère sourde en mobilisation. Elle prend attache avec les familles qui vivent le même calvaire de la détention d’un fils, un frère, un père dont le seul crime a été l’engagement politique. Ces familles sont un peu partout dans le Maroc qu’elle sillonne : Marrakech, Tanger, Casablanca, Nador, Tétouan. Mi Fatima tisse son réseau avec une incroyable ténacité. A ce moment précis, disait-elle avec la même émotion des premiers jours de disparition de son fils, elle ne savait pas s’il était toujours en vie.
Les familles s’organisent. La résistance aussi. Fatima Semlali est l’âme du mouvement. Alors que leurs fils ou proches sont mis au secret et soumis à la question dans des commissariats, essentiellement derb Moulay Chrif à Casablanca, les familles réclament la tenue de procès publics pour que cesse le calvaire de la détention arbitraire.
Drapée de dignité et vêtue d’une simple djellaba
Dans ce pays, les femmes ont toujours été aux premières lignes de la résistance et des combats. Mi Fatima fait partie de ces femmes. Elle est là quand les familles des disparus observent une grève de la faim pour que leurs proches puissent enfin bénéficier d’un procès. Elle est encore là quand toutes les mères privées de leurs fils emprisonnés organisent un sit-in à Rabat, devant la mosquée As Sounna où elles psalmodient le Coran, une manière forte d’appeler au secours de leurs enfants entrés dans une sévère grève de la faim qui va durer plus de 40 jours. Ce sont en ces circonstances douloureuses que la militante Saida Menebhi perdra la vie en cessant de s’alimenter. Fatima Ait Ettajer est toujours là, en sit-in devant le ministère de la Justice, la préfecture, le tribunal. Avec toutes les autres mères qui ont osé briser le silence pour dénoncer la répression et l’arbitraire, elle passe régulièrement la nuit au commissariat avant d’être relâchée. Mi Fatima est de tous les procès, de toutes les audiences, de tous les prétoires. Drapée de dignité et vêtue d’une simple djellaba, elle hantera longtemps la conscience de ces juges qui ont dit l’injustice.
A Kénitra, les portes de la maison de Mi Fatima sont grandes ouvertes aux parents et proches des détenus politiques, devenant ainsi une sorte d’annexe de la prison civile de la ville. Les surveillances policières, les intimidations, les visites « étranges » comme elle se plaisait à les appeler, n’auront pas eu raison de la détermination d’une mère qui, à travers l’amour qu’elle porte à son fils, a aimé passionnément la liberté, la justice, la démocratie.
En 2005, les Marocains ont découvert Mi Fatima à la télévision. Son témoignage sur les souffrances des familles de détenus politiques avait bouleversé les Marocains. Grâce aux auditions publiques organisées par la Commission vérité marocaine que présidait le défunt Driss Benzekri, elle a témoigné avec ses mots à elle et une rare émotion. Elle a raconté simplement, à voix basse, parfois avec humour- cette forme polie du désespoir- ce qu’a été sa vie et celles de toutes ces centaines de familles dont les enfants ont été torturés avant d’être emprisonnés. Elle a décrit ces moments de solitude, d’inquiétude, de colère aussi. Elle a dit et redit la douleur des mères, des épouses et des sœurs et leur peur de ne pas voir revenir un fils, un mari, un frère. Elle évoque ces femmes répudiées sans autre forme de procès parce que leurs frères sont en prison. Elle a dit aussi toute sa fierté d’être la mère de tous ces anciens détenus politiques. Ce jour-là, Mi Fatima a fait pleurer tous ceux et celles qui ont traversé les années de plomb et de braise. Elle a aussi fait pleurer ces Marocains qui ne savaient pas. Aujourd’hui, ce sont tous ces enfants adoptés dans la détention et la revendication qui la pleurent.
Repose en paix Mi Fatima.