​Christopher Nolan, flegmatique aux films telluriques

L'une des particularités de la caméra, c'est qu'elle capte le temps


Lundi 24 Août 2020

 Costume trois pièces de rigueur, Christopher Nolan ressemble à l'idée qu'on se fait d'un professeur d'université anglais, cérébral, habité par une retenue à cent lieues de ses films récents, superproductions aux scènes d'action hors-normes.
"Tenet", dernier opus de ce metteur en scène au visage le plus souvent ignoré du grand public, n'est pas en reste, avec son budget de 200 millions de dollars et un 747 qui s'encastre en feu dans un entrepôt, entre autres séquences ultra-spectaculaires.
Le contraste en a surpris plus d'un parmi les pontes des studios en visite sur ses tournages. Loin d'un John Mc Tiernan (réalisateur de "Predator" ou "Piège de Cristal") en polo et veste de baroudeur sur les plateaux, Christopher Nolan ne se départit pas d'une élégance toute britannique, y compris en plein déluge pyrotechnique sur "Dunkerque" ou sa trilogie "Batman".
Ce cinquantenaire à l'éternelle mèche d'enfant sage pousse même la zénitude à boire son thé en toute circonstance. "Il a toujours une flasque de thé dans sa poche. J'ai fini par me dire +il doit y avoir quelque chose de mieux que du thé là dedans+. Je lui ai demandé: +Tu n'as pas de la vodka là dedans?+ Il a dit: +Non, juste du thé+", rapportait malicieusement au New York Times Michael Caine, acteur fétiche de Nolan qu'on retrouve dans "Tenet".
La présence de Caine dans huit longs métrages de Nolan permet de parler de la famille de cinéma qu'il s'est bâtie. L'acteur d'"Alfie" ou d'"Un pont trop loin" en fait partie. L'histoire est connue: Nolan était allé frapper lui-même à la porte du domicile de Caine pour lui proposer le script de son premier "Batman".
La productrice attitrée, Emma Thomas, n'est autre que la femme de Nolan, rencontrée dès sa première année dans une faculté anglaise bien dotée en matériel de cinéma de pointe. Kenneth Branagh, le méchant de "Tenet", apparaissait déjà dans "Dunkerque".
Pour les liens du sang, Nolan est Anglais par son père - publicitaire travaillant notamment aux Etats-Unis - et Américain par sa mère, hôtesse de l'air. Une enfance entre Angleterre et Etats-Unis, bercée par l'amour du cinéma, des premiers films amateurs bricolés en image-par-image puis en Super-8, et un gros choc avec la découverte de "2001, l'Odyssée de l'espace".
Un monument auquel Nolan finira par se frotter, puisqu'il en peaufinera une version restaurée en 2018 - pour les 50 ans du chef-d’œuvre - accompagnée des conditions de projection souhaitée par Stanley Kubrick.
Plus que l'exploration de l'espace, c'est celle du temps qui fascine Nolan et traverse toute son œuvre, de la narration contrariée de "Memento" à la belle idée de temps inversé de "Tenet".
"L'une des particularités de la caméra, c'est qu'elle capte le temps", s'amuse Nolan, dans le dossier de presse de "Tenet". "On est tous un peu obsédés par le temps, non? (...) Il nous domine", complète Emma Thomas.
Sauf que c'est plutôt Nolan qui domine son sujet. L'interview décalée entre Nolan et Al Pacino, filmée pour la promotion d'"Insomnia" (où le premier dirigeait le second), est révélatrice. Cabotin au départ, comme souvent dans les shows télé, Pacino est ensuite aimanté par plusieurs réponses de l'homme d'image.
Quand l'acteur du "Parrain" lui demande s'il est adepte des story-boards, Nolan répond calmement: "pour certaines scènes d'action, mais j'ai tendance à faire ça dans ma tête, comme la liste des plans".
Mais que contient la tête de Nolan? Comment écrire un film comme "Inception" entre réflexion sur les rêves et déraillement-choc de train en plein Los Angeles?
Kenneth Branagh a sa petite idée, comme il le dit dans le dossier de presse: "J'ai l'impression que +Chris+ passe deux contrats avec le spectateur. Dans le premier, il s'engage à divertir le public au maximum - c'est indiscutable. Mais avec le second, il compte sur l'intelligence, la passion et la curiosité du spectateur". Du gagnant-gagnant, les films de Nolan ont jusqu'ici rapporté plus de 4 milliards de dollars.


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