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John Carpenter. L’esthéticien de l’horreur

Lundi 16 Décembre 2024

Le cinéma d’épouvante désigne à l’origine des films qualifiés d’horreur, c’est-à-dire qui visent à susciter, chez le spectateur, un sentiment de peur et d’angoisse. Cette définition dont l’emploi était relativement marginal, allait connaitre une évolution intrinsèque au cours des premières décennies du vingtième siècle, jusqu’à finir (même si ce n’est pas toujours une approche aisée) par la dissocier de la science-fiction, du thriller et du fantastique. Elle s’est vue enrichir par des attributs spécifiques qui dépassent la simple sensation de frayeur et de terreur, en lui insufflant une dimension symbolique et politique voire philosophique, qui a fait la gloire des réalisateurs du genre. Bien que les premiers films aient été réalisés dès le début du siècle passé dont notamment «Le Cabinet du docteur Calligari» (1920) de Robert Wiene, «Nosferatu le vampire» et «Le fantôme» (produits en 1922) de Murnau, Docteur Mabuse et M le maudit (1922) de Fritz Lang, ce n’est que durant la décennie quatre-vingt qu’on allait assister à la prolifération du cinéma gore, avec tout ce qu’il recèle comme films des plus sophistiqués aux plus vulgaires.

Pour rappel, c’est  à partir de «Psychose» d’Alfred Hitchcock (1963), et surtout  «L’Exorciste» de William Friedkin (1973) «Les Dents de la mer»  (1975) de Steven Spielberg «Shining» (1980) de Stanley Kubrick et la «Mouche» (1986) de David Cronenberg etc., que connut son essor cette série  de productions mettant en relief des scènes explicites d’abondance de sang et détaillant la violence et les modes opératoires des meurtriers, pour accentuer l’effroi, le dégout et la répulsion. Ajoutons cependant que ce sont les sagas «les Griffes de la nuit (1974) de Wes Craven, Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hopper et «Vendredi 13» (1980) de Jason Voorhees qui sont allés trop dans la représentation sordide du protocole du meurtre. Il faut dire que cette valorisation n’aurait probablement pas eu lieu s’il n’y avait l’impact de l’école expressionniste allemande qui dotait le style classique des films fantastiques et d’horreur d’une charge émotionnelle par un travail sur le décor et l’éclairage rendus plus sombres afin d’augmenter l’impact horrifique des scènes sur le spectateur. A ce niveau, il serait bon de s’interroger sur la pertinence des réactions généralement négatives et de rejet par les critiques, notamment américains, des films d’horreur à l’heure de leur sortie, au point que certains d’entre eux étaient devenus des films cultes n’ayant acquis la reconnaissance de leur valeur artistique que bien plus tard. A vrai dire, dans la culture américaine du spectacle, la critique artistique, principalement cinématographique et théâtrale, ne se dissocie presque jamais du marketing face à la dictature du box-office. Par conséquent toute idée ou travail qui viendrait bouleverser ce schéma de la loi du marché sera évincé en tant que produits non comestibles. Cette remarque s’applique essentiellement à celui qu’on a appelé « Big John » ou encore «le maitre de l’horreur» : John Carpenter. Cinéaste indépendant, ses meilleurs films sont cependant ceux qu’il avait réalisés souvent en marge du système hollywoodien en inventant son propre programme de peur.

Autre singularité du cinéaste, c’est son intransigeance : pour chaque film qu’il s’engage à réaliser, il pose comme préalable sa totale liberté de création. Ce qui lui a valu d’être marginalisé par l’establishment contrairement à d’autres cinéastes comme S. Spielberg et G.Lucas ou même Brian De Palma. Dans ce contexte, il s’est trouvé contraint d’économiser ses moyens financiers. C’est ce qui explique le classicisme de sa mise en scène principalement faite à huis-clos et la composition musicale et son arrangement faits par lui-même, à l’exception de «the Thing» pour lequel il fit appel à Ennio Morricone. Ajoutons à cela l’attitude des critiques qui ont massacré la plupart de ses films. Heureusement que la jeune génération l’avait adopté comme grand cinéaste.

 Sur le plan de la thématique, il a toujours manifesté un refus systématique de se positionner dans la sphère du manichéisme. Dans tous ses films, on ne trouve jamais d’explication ou motivation d’un acte ou d’une attitude des personnages. Autrement dit, il n’existe pas chez lui de jugement de valeur qui mettrait d’un côté le bon et de l’autre le mauvais car, le bien et le mal cohabitent dans chacun d’eux pris individuellement. Lorsque dans «Assaut» le vilain incarné par Frank Doubleday exécute froidement et sans état d’âme une fillette venue chercher une glace chez le vendeur, il ne se pose même pas la question de savoir s’il était conforme à un quelconque enseignement éthique, religieux ou simplement juridique. Pas plus d’ailleurs que Michaël Myers, le tueur en série des jeunes filles dont sa sœur, dans «Halloween : la nuit des masques» qui, démasqué au début du film, se révèle être un enfant de six ans qui réussit à s’évader de l’asile psychiatrique pour revenir des années plus tard en tant qu’incarnation du mal. Rappelons que ce film avec un budget dérisoire de 325 000 dollars sera l’un des plus rentables dans l’histoire du cinéma. Dans «Christine», Arnie, jeune adolescent sans personnalité et objet de moquerie de ses compagnons, n’a guère réussi à s’intégrer à son milieu socio familial. Il devient un tueur monstrueux sans scrupules sous l’influence de sa vieille voiture possédée. Celle-ci, une fois qu’Arnie commence à sortir avec sa jeune amie, se métamorphose, par jalousie, en démon vengeur qui se plait à tuer tous ceux qui s’interposent entre elle et son amant propriétaire.
Par ailleurs, dans les films de Carpenter, la question religieuse est omniprésente.

Pragmatique et rationnel plutôt que profane, il a constamment mis en parallèle la religion (l’église catholique) et la science sans les opposer. Cette approche est explicitement exposée dans «Le prince des ténèbres» qui relate l’histoire d’un professeur scientifique qui invite ses jeunes étudiants- chercheurs à mener une enquête en parallèle avec celle du prêtre au sein d’un monastère soupçonné d’être le refuge de Satan, suite à la découverte d’un cylindre de verre contenant un liquide vert transmissible par contamination, et dont ceux parmi les chercheurs qui s’y étaient exposés en devenaient le vecteur. Sans doute le scientifique (Victor Wong) comme le père Loumis (Donald Pleasance) s’allient-t-ils en dépit de leurs parcours opposés (science et foi) pour trouver une explication au phénomène maléfique qui habite le monastère, lieu de culte, c’est-à-dire, là où le spiritualisme venait à bout des mauvais esprits, comme  nous avaient habitués les films du genre «Dracula, Frankenstein, l’exorciste…»

A ce niveau, il  semble nécessaire de rappeler que Carpenter est un admirateur sans bornes du western dans la mesure où celui-ci incarne, selon lui, le mythe typiquement américain du héros solitaire qui arrive toujours à vaincre la meute des hors la loi.  D’où sa décision de faire un remake de «Rio Bravo» de Howard Hawks, par la transposition de l’univers westernien dans l’espace urbain dans son premier film indépendant et commercial «Assaut», après son projet de fin d’études «Dark Star». Dans ce film culte réalisé en 1976, il est question d’une revanche menée par les membres d’un gang qui viennent de dérober un stock d’armes et qui perdent quelques membres suite à l’intervention de la police. Ces membres font un pacte de sang pour se venger de la police et de la population. Entre temps, les prisonniers sont placés momentanément dans les cellules vides d’un commissariat destiné au transfert dans un autre district. Mais l’intrusion de Lawson, qui s’y est réfugié après avoir tué un membre de la bande, (ce qui rappelle l’intrusion dans la centrale de recherche du chien contaminé dans «The Thing») va être le prélude à l’assignement, par le groupe des bandits, du commissariat au personnel réduit et en manque de munitions. Dans «Ghosts of Mars», les ouvriers travaillant dans une exploitation minière se verront transformer en zombies agressifs et violents en entrant en contact avec une substance indéchiffrable. Dans «fog» le danger provient d’un brouillard lumineux d’où jaillissent les fantômes venus venger les passagers d’un navire appartenant à un homme riche atteint de la lèpre, qui a péri avec son équipage à cause d’un faux phare déposé par six pécheurs pour l’empêcher d’installer une léproserie.

Mais c’est surtout avec «The Thing» réalisé en 1982, film culte aussi, que Carpenter fut accrédité du titre de «Maitre de l’horreur». Ce chef d’œuvre connut cependant à sa sortie un échec commercial et critique sans précédent jusqu’à pousser la société productrice Universal à rompre son contrat avec Carpenter qui, à son tour, fut douloureusement affecté par cet échec.

Ce film, au-delà de l’effroyable chose qui assimile ses victimes, c’est la méfiance provoquée au sein du collectif au point que chacun de ses membres devient objet de suspicion par ses camarades, qui fait sa démarcation. Plus grave encore, «The thing» ne se limite pas à prendre la forme de ses victimes, à les imiter et les massacrer, mais elle leur fait perdre leur individualité. Tout aussi qu’Assaut, le film s’achève sur l’image des deux survivants Kurt Russel (un blanc) et Keith David (un noir) dans une posture qui laisse le spectateur perplexe ne sachant qui est l’humain et qui est l’extraterrestre. Une ambigüité résolument voulue par le cinéaste.

Ailleurs, bien qu’il ait toujours nié faire de la politique, on ne peut s’empêcher de lire politiquement ses films explicites sur ce sujet. C’est le cas en particulier de «Invasion Los Angel ou They live» de 1988 et «New York 1997» qui connaitra une suite « New York 2013). Le premier est un réquisitoire contre la société capitaliste de consommation, celle de Reagan dont le souci majeur est de contrôler la population, une population volontairement soumise sous le poids du matraquage médiatique et publicitaire. Grâce à des lunettes de soleil spéciales que le désœuvré John Nada (interprété par Roddy Piper) trouve accidentellement, il parvient à découvrir le monde réel caché derrière la propagande subliminale d’une caste d’extraterrestres aux apparences humaines. Cette propagande vise à maintenir la population dans un état d’impassibilité et de soumission aveugle. On peut présumer qu’il est fait ici référence à la théorie de la Boétie sur la soumission volontaire. De fait, des philosophes et analystes américains n’ont pas manqué de reprocher aux partis de gauche de ne pas pouvoir tirer profit du message politique de ce film. New-York 1997, produit en 1981 décrit Manhattan comme un véritable centre pénitencier à cause de la criminalité qui s’y est propagée. Le film est une dénonciation à peine dissimulée du système manipulateur et oppressif reaganien. Mais ce qui parait incommoder Carpenter c’est l’absence de réaction du corps social contre le mal engendré par un régime sans pitié.

D’une carrière cinématographique qui s’étale sur une quarantaine d’années environ, ses réussites et échecs, de nombreux observateurs se posent la question de savoir s’il a fini par prendre sa retraite. Je préfère conclure à la manière de ceux qui pensent qu’il avait largement donné sans jamais renoncer à son intégrité morale ou à ses choix politiques et artistiques. Cela lui suffit pour inscrire son nom dans le panthéon des grands réalisateurs cinématographiques du vingtième siècle.

Et si enfin on doit tirer une leçon de sa carrière pour nos cinéastes, ça serait celle de pouvoir réaliser des bijoux artistiques avec peu de moyens, à condition d’avoir une vision et un savoir-faire qui seront pétris d’intégrité et de dignité.
A bon entendeur, salut.

Par Mohamed Gallaoui

Mohamed Gallaoui

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