Des voix palestiniennes se font entendre à Sundance

Mercredi 29 Janvier 2025

"C'est très, très dur de faire un film en général, mais c'est particulièrement dur de faire un film palestinien": au festival de Sundance, la réalisatrice Cherien Dabis a présenté "All That's Left Of You", fresque historique sur une famille expulsée de ses terres en 1948.

Ce long-métrage, qui est l'un des deux films palestiniens au programme cette année du prestigieux festival américain du cinéma indépendant, suit trois générations d'une même famille forcée de quitter sa ville de Jaffa à la création de l'Etat d'Israël pour s'établir en Cisjordanie.

"C'est compliqué de trouver des financements pour monter ces films... Je crois que les gens ont pu avoir peur de raconter cette histoire", explique la réalisatrice américano-palestienne, qui interprète dans son film le rôle d'une mère confrontée à un choix impossible après la blessure de son fils durant la première Intifada en 1988.

Avec un budget compris entre cinq et huit millions de dollars, "All That's Left Of You" est un rare exemple de film touchant à la question palestinienne qui fasse l'objet d'un lancement de premier plan dans le monde occidental.

Récemment nommé aux Oscars, le documentaire du Palestinien Basel Adra et de l'Israélien Yuval Abraham, "No Other Land", qui traite de la colonisation en Cisjordanie occupée, n'a pas encore de distributeur américain.

Dans le film de Cherien Dabis, plusieurs scènes sont basées sur des expériences réellement vécues par sa propre famille, donnant à cette oeuvre à la large focale un ton également intimiste.

Comme lorsqu'un père est humilié par un soldat israélien sous les yeux de son enfant, ce qui créera un gouffre entre le fils et son père que le temps ne comblera jamais. "J'ai vu mon père humilié à la frontière ou aux check-points", explique Mme Dabis, qui venait fréquemment en Cisjordanie quand elle était enfant. "Il tenait tête aux soldats, qui commençaient à lui crier dessus. J'étais sûr qu'ils allaient le tuer."

Dabis assure que son film, très personnel par nature mais très sensible de par son sujet, ne se veut pas une oeuvre politique, même si elle comprend qu'il puisse donner cette impression. "On ne peut pas raconter nos histoires sans avoir à répondre à des questions d'ordre politique", dit-elle à l'AFP. "Mais on devrait pouvoir faire part de nos expériences et raconter nos histoires personnelles et familiales sans avoir à répondre à des attaques". "Alors on finit souvent par prendre peur, parfois avant même d'avoir raconté l'histoire".

La réalisatrice était en Cisjordanie occupée pour tourner, le 7 octobre 2023. "Nous avons dû partir, c'était triste de devoir laisser derrière nous l'équipe (de tournage) palestinienne", dit-elle. "Tout le monde était tellement impatient de travailler sur ce film historique qui nous paraissait être un moment important."
Les scènes devant se dérouler sur sa terre d'origine ont finalement été tournées en Jordanie, à Chypre et en Grèce.

L'autre film palestinien présenté en avant-première à Sundance est "Coexistence My Ass!", qui suit une militante juive israélienne pour la paix devenue comédienne, Noam Shuster-Eliassi, dans la construction de son spectacle avec la guerre à Gaza en toile de fond.

Pour sa réalisatrice canadienne Amber Fares, "l'industrie du cinéma doit s'interroger... car il y a d'évidence un besoin pour ce type de films, des gens veulent les voir". "Nous avons vu une évolution ces dernières années", note toutefois Cherien Dabis. "Les gens comprennent maintenant que nos histoires sont vraiment absentes du récit dominant".

Libé

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