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J’ai lu avec beaucoup de plaisir et d’intérêt la doctrine de Dominique de Villepin, publiée sur Le Grand Continent (https://legrandcontinent.eu/.../doctrine-villepin-le.../ ). Je vous encourage vivement à prendre le temps de découvrir ce texte magnifique, à la fois clairvoyant, élégant et porteur d’une vision stratégique rare.
Je dois avouer qu’il s’agit du premier texte, et de la première voix publique, avec laquelle je me sens aussi profondément en phase dans la compréhension du monde actuel et de ses impacts sur nos vies.
Fidèle à moi-même, je m’intéresse d’abord aux idées avant de me pencher sur la personne qui les énonce. C’est donc en tant que simple citoyen passionné par les enjeux géopolitiques et engagé pour l’intérêt général, que je me permets d’écrire cette modeste tribune en réponse à Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.
Je tiens à préciser que cette critique se veut profondément fraternelle et constructive. Elle ne porte que sur ce qui, selon moi, mérite d’être approfondi, complété ou questionné. Pour le reste (appel à la résistance, à l’écologie, à la préservation du progrès, à la lutte contre la corruption des espaces politiques et symboliques, etc.), je suis entièrement en phase avec les propos de M. de Villepin.
1- L’Europe et l’illusion du choix :
M. de Villepin évoque une Europe qui valorise la lenteur comme une vertu face à l’agitation du monde. Il a raison d’y voir une posture de recul, de réflexion, de sagesse. Cependant, cette lenteur n’est pas toujours un choix délibéré. Une grande partie de ce que l’on appelle prudence est en réalité une contrainte : l’Europe, sur les plans militaire, énergétique et technologique, reste dépendante. Par exemple, l’OTAN n’a pas été choisi dans un débat démocratique serein : c’est un héritage contraignant.
2- La lenteur peut parfois masquer le blocage et l’empêchement :
Dans un monde où les équilibres évoluent rapidement et où les puissances s’affirment en quelques mois, il ne s’agit pas de choisir entre lenteur et précipitation, mais entre posture et stratégie lucide. La lenteur n’est une vertu que si elle ne conduit pas à l’impuissance.
Un axe européen qui nécessite des fondations solides
M. de Villepin mentionne un axe européen resserré : France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne. Cela peut sembler encourageant, mais une question s’impose : sur quoi repose réellement cet axe ? La Pologne est aujourd’hui l’un des pays les plus alignés sur la stratégie américaine. L’Italie et l’Espagne restent économiquement fragiles, militairement dépendantes. L’Allemagne est divisée. Et le Royaume-Uni, que M. de Villepin évoque comme un partenaire potentiel, a quitté l’Union.
Zbigniew Brzeziński, dans son livre Le Grand Echiquier : les Etats-Unis et le reste du monde, identifiait déjà un nouvel axe européen fort : France – Allemagne – Pologne – Ukraine. Un axe qui étend l’Europe de l’Ouest vers l’Est, soutenu par les Etats-Unis, visant à contenir et à diviser la Russie, tout en repositionnant l’Europe sous la double influence : américaine et, partiellement, chinoise. Cette réalité semble en partie absente de l’analyse proposée. A moins que l’alliance européenne de M. de Villepin se veuille comme réponse à la volonté américaine.
3- Islamisme, fascisme : un rapprochement dangereux à nuancer !
Un des passages les plus sensibles du texte de M. de Villepin est la mise en parallèle entre islamisme, fascisme et néolibéralisme. On comprend l’intention : signaler l’émergence de dangers idéologiques. Cependant, cette comparaison demande, selon nous, quelques précautions.
Il n’existe pas aujourd’hui de mouvement islamiste structuré, conquérant, agissant sur le sol européen avec une ambition hégémonique. Néanmoins, il existe des citoyens musulmans, souvent discrets, parfois marginalisés, et presque toujours profondément attachés à leur identité européenne enrichie par leurs héritages culturels. Cette richesse multiculturelle dérange parfois, mais elle ne constitue pas une menace.
Les amalgames, même involontaires, nourrissent une méfiance injustifiée. En nommant trop rapidement la menace, on affaiblit le lien social au lieu de le renforcer. L’islam européen mérite d’être compris, accompagné, respecté et non redouté. Il est une richesse, pas un fardeau.
4- Les racines africaines : un silence regrettable !
M. de Villepin, après avoir parlé des nouvelles formes des empires, a affirmé qu’« aucun empire africain ne se dessine ». Cette phrase m’a semblé être un mur se dressant devant notre vision, ou des oreilles fermées à certains échos de l’histoire. Elle a résonné comme un silence lourd de ce qu'il tait !
Un silence d’autant plus surprenant venant d’un homme qui a passé son enfance au Maroc, au sein de l’ancien Empire chérifien, riche d’une histoire impériale, spirituelle et diplomatique unique. L'absence de toute mention de cette puissance dans sa vision géostratégique est étonnante.
Le Maroc n’est pas un simple partenaire parmi d’autres. C’est une civilisation millénaire, une puissance d’équilibre, un acteur discret mais décisif. Il ne cherche pas la domination, mais rayonne par sa stabilité, sa profondeur spirituelle, sa capacité de médiation, et son influence religieuse et culturelle, de l’Afrique de l’Ouest au Sahel, du monde arabo-musulman à l’Europe. Il joue un rôle essentiel dans les questions migratoires, énergétiques et sécuritaires.
Et surtout, comment oublier la lumière andalouse ? Cordoue, Séville, Fès, Grenade… Ce moment de haute civilisation où sciences, arts, théologie, médecine et philosophie coexistaient dans une symbiose que l’Europe peine à reconnaître comme une de ses propres racines. L’Andalousie n’est pas une nostalgie : c’est un pilier de l’héritage européen. Et sa matrice fut en grande partie marocaine.
5- Pour un “non” lucide, enraciné et ouvert:
Le «non» de M. de Villepin est nécessaire. Il redonne de l’élan à une Europe trop souvent paralysée. Mais pour être effectif, ce refus doit s’accompagner d’un élargissement de la mémoire et d’une réconciliation avec des alliances oubliées.
L’Europe a besoin du Sud, pas comme d’un voisin perturbateur, mais comme d’un allié stratégique et culturel. Elle a besoin de regarder le Maroc autrement, de penser l’axe euro-méditerranéen sérieusement, et d’intégrer dans sa vision du monde ceux qu’elle a trop longtemps marginalisés.
Dire non, ce n’est pas seulement refuser. C’est choisir ses complicités, ses fidélités, ses héritages, et parfois aussi, ses réconciliations.
Conclusion:
Merci à Dominique de Villepin pour ce magnifique texte, qui constitue, à mon humble avis, une première pierre précieuse, une version inaugurale d’une pensée stratégique qu’il faudrait développer, approfondir et traduire en actions concrètes.
Ce «pouvoir de dire non» pourrait devenir bien plus qu’un manifeste : il peut être le socle d’une doctrine opérationnelle, d’un projet européen renouvelé, capable non seulement de refuser l’alignement, mais aussi de proposer une direction, des alliances, des objectifs clairs pour redresser la trajectoire de notre continent.
Nous avons besoin de voix comme la sienne. Et nous avons collectivement la responsabilité d’en faire quelque chose de vivant.
Par Abdelilah Koubi
Je dois avouer qu’il s’agit du premier texte, et de la première voix publique, avec laquelle je me sens aussi profondément en phase dans la compréhension du monde actuel et de ses impacts sur nos vies.
Fidèle à moi-même, je m’intéresse d’abord aux idées avant de me pencher sur la personne qui les énonce. C’est donc en tant que simple citoyen passionné par les enjeux géopolitiques et engagé pour l’intérêt général, que je me permets d’écrire cette modeste tribune en réponse à Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.
Je tiens à préciser que cette critique se veut profondément fraternelle et constructive. Elle ne porte que sur ce qui, selon moi, mérite d’être approfondi, complété ou questionné. Pour le reste (appel à la résistance, à l’écologie, à la préservation du progrès, à la lutte contre la corruption des espaces politiques et symboliques, etc.), je suis entièrement en phase avec les propos de M. de Villepin.
1- L’Europe et l’illusion du choix :
M. de Villepin évoque une Europe qui valorise la lenteur comme une vertu face à l’agitation du monde. Il a raison d’y voir une posture de recul, de réflexion, de sagesse. Cependant, cette lenteur n’est pas toujours un choix délibéré. Une grande partie de ce que l’on appelle prudence est en réalité une contrainte : l’Europe, sur les plans militaire, énergétique et technologique, reste dépendante. Par exemple, l’OTAN n’a pas été choisi dans un débat démocratique serein : c’est un héritage contraignant.
2- La lenteur peut parfois masquer le blocage et l’empêchement :
Dans un monde où les équilibres évoluent rapidement et où les puissances s’affirment en quelques mois, il ne s’agit pas de choisir entre lenteur et précipitation, mais entre posture et stratégie lucide. La lenteur n’est une vertu que si elle ne conduit pas à l’impuissance.
Un axe européen qui nécessite des fondations solides
M. de Villepin mentionne un axe européen resserré : France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne. Cela peut sembler encourageant, mais une question s’impose : sur quoi repose réellement cet axe ? La Pologne est aujourd’hui l’un des pays les plus alignés sur la stratégie américaine. L’Italie et l’Espagne restent économiquement fragiles, militairement dépendantes. L’Allemagne est divisée. Et le Royaume-Uni, que M. de Villepin évoque comme un partenaire potentiel, a quitté l’Union.
Zbigniew Brzeziński, dans son livre Le Grand Echiquier : les Etats-Unis et le reste du monde, identifiait déjà un nouvel axe européen fort : France – Allemagne – Pologne – Ukraine. Un axe qui étend l’Europe de l’Ouest vers l’Est, soutenu par les Etats-Unis, visant à contenir et à diviser la Russie, tout en repositionnant l’Europe sous la double influence : américaine et, partiellement, chinoise. Cette réalité semble en partie absente de l’analyse proposée. A moins que l’alliance européenne de M. de Villepin se veuille comme réponse à la volonté américaine.
3- Islamisme, fascisme : un rapprochement dangereux à nuancer !
Un des passages les plus sensibles du texte de M. de Villepin est la mise en parallèle entre islamisme, fascisme et néolibéralisme. On comprend l’intention : signaler l’émergence de dangers idéologiques. Cependant, cette comparaison demande, selon nous, quelques précautions.
Il n’existe pas aujourd’hui de mouvement islamiste structuré, conquérant, agissant sur le sol européen avec une ambition hégémonique. Néanmoins, il existe des citoyens musulmans, souvent discrets, parfois marginalisés, et presque toujours profondément attachés à leur identité européenne enrichie par leurs héritages culturels. Cette richesse multiculturelle dérange parfois, mais elle ne constitue pas une menace.
Les amalgames, même involontaires, nourrissent une méfiance injustifiée. En nommant trop rapidement la menace, on affaiblit le lien social au lieu de le renforcer. L’islam européen mérite d’être compris, accompagné, respecté et non redouté. Il est une richesse, pas un fardeau.
4- Les racines africaines : un silence regrettable !
M. de Villepin, après avoir parlé des nouvelles formes des empires, a affirmé qu’« aucun empire africain ne se dessine ». Cette phrase m’a semblé être un mur se dressant devant notre vision, ou des oreilles fermées à certains échos de l’histoire. Elle a résonné comme un silence lourd de ce qu'il tait !
Un silence d’autant plus surprenant venant d’un homme qui a passé son enfance au Maroc, au sein de l’ancien Empire chérifien, riche d’une histoire impériale, spirituelle et diplomatique unique. L'absence de toute mention de cette puissance dans sa vision géostratégique est étonnante.
Le Maroc n’est pas un simple partenaire parmi d’autres. C’est une civilisation millénaire, une puissance d’équilibre, un acteur discret mais décisif. Il ne cherche pas la domination, mais rayonne par sa stabilité, sa profondeur spirituelle, sa capacité de médiation, et son influence religieuse et culturelle, de l’Afrique de l’Ouest au Sahel, du monde arabo-musulman à l’Europe. Il joue un rôle essentiel dans les questions migratoires, énergétiques et sécuritaires.
Et surtout, comment oublier la lumière andalouse ? Cordoue, Séville, Fès, Grenade… Ce moment de haute civilisation où sciences, arts, théologie, médecine et philosophie coexistaient dans une symbiose que l’Europe peine à reconnaître comme une de ses propres racines. L’Andalousie n’est pas une nostalgie : c’est un pilier de l’héritage européen. Et sa matrice fut en grande partie marocaine.
5- Pour un “non” lucide, enraciné et ouvert:
Le «non» de M. de Villepin est nécessaire. Il redonne de l’élan à une Europe trop souvent paralysée. Mais pour être effectif, ce refus doit s’accompagner d’un élargissement de la mémoire et d’une réconciliation avec des alliances oubliées.
L’Europe a besoin du Sud, pas comme d’un voisin perturbateur, mais comme d’un allié stratégique et culturel. Elle a besoin de regarder le Maroc autrement, de penser l’axe euro-méditerranéen sérieusement, et d’intégrer dans sa vision du monde ceux qu’elle a trop longtemps marginalisés.
Dire non, ce n’est pas seulement refuser. C’est choisir ses complicités, ses fidélités, ses héritages, et parfois aussi, ses réconciliations.
Conclusion:
Merci à Dominique de Villepin pour ce magnifique texte, qui constitue, à mon humble avis, une première pierre précieuse, une version inaugurale d’une pensée stratégique qu’il faudrait développer, approfondir et traduire en actions concrètes.
Ce «pouvoir de dire non» pourrait devenir bien plus qu’un manifeste : il peut être le socle d’une doctrine opérationnelle, d’un projet européen renouvelé, capable non seulement de refuser l’alignement, mais aussi de proposer une direction, des alliances, des objectifs clairs pour redresser la trajectoire de notre continent.
Nous avons besoin de voix comme la sienne. Et nous avons collectivement la responsabilité d’en faire quelque chose de vivant.
Par Abdelilah Koubi