Youssef Chiheb : Le Maroc a agi selon le droit international qui interdit l’ entrave à la circulation de flux commerciaux entre deux Etats souverains


Propos recueillis par Youssef Lahlali
Lundi 30 Novembre 2020

DrYoussef Chiheb est professeur à l’Université de Paris Sorbonne, géostratégie et développement international et directeur de recherche au CF2R. Dans cet entretien, il nous livre ses impressions.

Après la crise d’El Guerguarat, quelles sont les perspectives pour tourner cette page qui paralyse la région depuis 45 ans ?
Je me permets de ramener les choses à leurs proportions. Il est question d’un incident récurrent dès lors où cette question relève d’une opération de police des frontières pour nettoyer une zone devenue un no man’s land de non droit où s’incrustent des activistes, à la solde du Polisario et avec la bénédiction de l’Algérie. Aucun usage de la force n’a été constaté par les observateurs de la Minurso. Aucune victime n’est à déplorer. Le Maroc a agi selon le droit international qui interdit l’entrave à la circulation de flux commerciaux entre deux Etats souverains, en l’espèce, le Maroc et la Mauritanie. Aculée et en chute libre, l’organisation séparatiste tente de suramplifier, médiatiquement, cet incident. Le Maroc a rétabli l’ordre et la sécurité et fut conforté par la communauté internationale. Le Polisario est à l’agonie et a choisi la voie de l’escalade et de la guerre psychologique et médiatique comme nouvelle stratégie pour continuer à exister.

Le Polisario menace de reprendre les armes avec le soutien de l’Algérie. Comment voyez-vous cette perspective ?
Est-il possible que la région s’embrase à nouveau? L’organisation séparatiste a cumulé entre 2019 et 2020 une série de défaites politique, diplomatique et stratégique sans précédent dans l’histoire du conflit qui dure depuis quarante cinq ans. J’en rappelle les plus sanglantes. Premièrement l’unanimité de la communauté internationale, en particuliers les Nations unies et le Conseil de sécurité quant à la crédibilité et au réalisme des propositions du Maroc, en l’occurrence, l’autonomie sous souveraineté marocaine. Deuxièmement, l’organisation séparatiste vient de commettre une erreur fatale en déclarant « l’incapacité de l’ONU à trouver une issue au conflit », en critiquant le rôle de la Minurso la qualifiant de simple police de circulation et, plus grave encore, sa déclaration unilatérale de rompre le cessez-le feu. Une stratégie de la terre brulée qui est propre aux organisations séparatistes ou terroristes qui vivent leur crépuscule et le début de la fin. En parallèle, il y a la bénédiction de plusieurs pays de l’opération menée par le Maroc, la déclaration d’Emmanuel Valls, l’ancien Premier ministre français accusant le Polisario de connivence avec le terrorisme subsaharien au même titre qu’un haut responsable aux affaires étrangères d’Espagne, la solidarité de tous les pays arabes avec la démarche marocaine qui a permis la sécurisation du passage d’El Guerguarat, la retenue, voire l’adhésion implicite de la Mauritanie… Autant d’évènements qui isolent l’organisation séparatiste et son acolyte algérien. L’ancien Président de la Tunisie a déclaré le 21 novembre 2020 : « Chaque fois que nous avons pu avancer et trouver une solution logique au problème sahraoui, dans le cadre de l’autonomie au sein du Maroc et de l’Union du Maghreb, des puissances (Algérie) interviennent pour perpétrer des actes terroristes et pour tout faire échouer… Nous ne pouvons plus sacrifier l’avenir de cent millions de Maghrébins pour deux cent mille Sahraouis qui peuvent vivre dignement au sein de l’Union maghrébine ». Quant au communiqué officiel de l’armée algérienne, encourageant les séparatistes à reprendre les armes, il s’inscrit dans l’ADN du clan des généraux, qui ne peuvent dissimuler leur hostilité au Maroc, et qui font de la crise du Sahara leur doctrine idéologique pour détourner l’attention de l’opinion publique algérienne, afin de continuer à piller la richesse du peuple algérien et renforcer la pérennité de la dernière dictature fossilisée en Afrique , héritée de la guerre froide.

Est-ce que la Tunisie et la Mauritanie peuvent jouer un rôle dans ce conflit ?
La Tunisie est le pays le plus avantgardiste quant à la construction et la consolidation du Grand Maghreb. Elle est convaincue de l’artificialité du conflit au Sahara. Cependant, elle est prise en tenaille entre l’ogre algérien et le chaos en Libye. Traversant une crise économique sans précédent et ne disposant pas de marge de manœuvre diplomatique, ses tentatives de médiation dans le passé n’ont pas pu aboutir suite à la rigidité politique et diplomatique de l’Etat militaire algérien. Sur le plan géopolitique, la Tunisie n’est pas impliquée territorialement dans le conflit au même titre que l’Algérie ou la Mauritanie. Sa position politique est difficile car prise en tenaille entre son soutien au Maroc et sa relation, en dents de scie, avec son voisin psychorigide algérien, hostile à toute forme d’intégration du Grand Maghreb. Quant à la Mauritanie, de par ses liens organiques, claniques, historiques et politiques avec les tribus du Sahara, elle peut jouer le rôle de pompier contre le pyromane qu’est le Polisario. Depuis cette affaire, la Mauritanie a subi un grand préjudice économique. Sa sécurité nationale et ses frontières sont menacées. Elle subit une double pression politique, à la fois des séparatistes et de l’Algérie depuis l’époque du Président renversé M.Ould Dadda. N’oublions pas que la Mauritanie fut contrainte à sortir des accords de Madrid suite au coup d’Etat militaire soutenu par Boumediene et Kadhafi. Elle est aussi prise en tenaille entre l’impératif de son développement qui passe inéluctablement par une relation apaisée avec le Maroc, et la prise en compte de sa sécurité intérieure compte tenu des liens tribaux entre le peuple mauritanien et les réfugiés de Tindouf, otages du Polisario. Enfin, elle redoute l’imprévisibilité et la folie de la junte militaire en Algérie. Sa seule marge de manœuvre consiste en une cogestion de la zone dite Qandahar par le rétablissement d’un nouveau tracé de frontières basé sur l’effacement cartographique de la zone démilitarisée dans l’attente d’une issue finale du conflit au Sahara. Y aura-t-il un changement dans la gestion de cette crise politique entre le Maroc et l’Algérie après l’arrivée d’un président démocrate à la Maison Blanche ? La nouvelle administration américaine, de par son passé, est plutôt sur la ligne de James Backer et d’Obama qui considèrent que la crise du Sahara relève d’un conflit à faible intensité, et qu’en conséquence, les Nations unies sont en mesure d’y trouver une issue politique. Le futur Président américain a d’autres priorités géopolitiques majeures (la Chine, le multilatéralisme, l’Iran, le conflit israélo-palestinien) et doit répondre aux défis endogènes (la Covid-19, la relance de l’économie, la cohésion d’une Amérique déchirée). Cependant, la politique américaine, par principe, ne favorise pas le séparatisme, ni la création de nouveaux Etats en Afrique. En revanche, elle considère le Maroc comme un partenaire stratégique (lutte contre le terrorisme, promotion d’un islam du juste milieu et de tolérance, manœuvres militaires communes, accords de libre-échange). L’Amérique continuera vraisemblablement à soutenir le Maroc au niveau du Conseil de sécurité au même titre que la France. Le nouveau Président américain peut impulser des négociations entre les parties du conflit au Sahara en les invitant aux Etats-Unis pour avancer vers une solution politique à laquelle adhèrent les trois pays, à savoir le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie et, à la marge, l’organisation séparatiste. 


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