WikiLeaks : à qui profite le crime ?


Par Pierre Piccinin *
Samedi 4 Décembre 2010

Les «révélations» du site WikiLeaks, qui vient de publier plusieurs dizaines de milliers de correspondances diplomatiques américaines, sont hélas des plus décevantes, à ce stade du moins, car d’un commun navrant.
Rien, par exemple, sur le rôle des Etats-Unis quant à la déstabilisation du gouvernement iranien et à son intervention dans la «révolution verte» qui avait suivi les élections de juin 2009 ; rien sur le virus informatique «stuxnet» qui serait en train de paralyser l’armée iranienne et ses centres de recherche nucléaire ; rien sur la Syrie ; rien sur les négociations israélo-palestiniennes qui ont repris depuis peu et sont pourtant au cœur de la politique américaine au Proche-Orient ; et absolument rien sur Israël.
En outre, aucune information sur l’origine de ces documents et leur authenticité (que les principaux intéressés ne dénient cependant pas ).
En fait, globalement, rien de vraiment intéressant dans ce qui a été publié jusqu’à présent.
En effet, cette correspondance contient d’abord quelques mots malheureux de tel ou tel diplomate de second rang sur l’un ou l’autre chef d’Etat, mais pas de quoi fouetter un chat. Rien d’inhabituel, en somme, dans ce genre d’échanges informels, comme le savent fort bien toutes les chancelleries du monde : Mohammad Kadhafi aime les jolies filles, Hamid Karzaï est corrompu, Vladimir Poutine aime jouer des biceps, Silvio Berlusconi est trop âgé et fatigué, Angela Merkel est insensible et Nicolas Sarkozy serait quant à lui autoritaire Dernière nouvelle ! Le président français est aussi qualifié de «roi nu»; mais, là, personne ne comprend, ni ne se risque à une interprétation. Et Washington espionne l’Onu. Incroyable !
Pour le reste, la principale «nouvelle», c'est que la plupart des chefs d’Etat arabes (le président égyptien Hosni Moubarak, le roi de Jordanie, etc., tous vieux alliés des Etats-Unis) se sont déclarés très farouchement opposés au gouvernement de Mohammad Ahmadinejad et souhaitent une intervention américaine. Sans blagues ?! C’est le cas depuis 1980 et la guerre Iran-Irak, durant laquelle tous ces Etats avaient ouvertement soutenu et financé Saddam Hussein contre la République islamique des Ayatollahs.
Bref, on n’apprend rien.
N’est-il pas curieux, toutefois, que les seules informations «pertinentes» concernent quasiment uniquement le Moyen-Orient ? Et ne pourrait-on pas se demander si ces «fuites» n’auraient pas été organisées et utilisées, ne serait-ce que partiellement, par la Maison Blanche elle-même ?
C’est que le fait de divulguer de la sorte ces déclarations permet de renforcer un peu plus la pression sur l’Iran et d’officialiser davantage encore son isolement au sein du monde arabo-musulman. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, n’a d’ailleurs pas hésité à renchérir en se réjouissant de ce que, désormais, Israël et les pays arabes sont officiellement d’accord sur le danger iranien et le moyen de le juguler.
De même, l’autre «grande info», la question de l’achat à la Corée du Nord, par l’Iran, de fusées capables d’atteindre l’Europe, survient à point nommé pour la politique étrangère des Etats-Unis, non seulement à l’égard de l’Iran, mais également précisément au moment où l’Otan veut construire son fameux bouclier antimissile. Et voilà comment faire d’une pierre deux coups
Ainsi, tout, pour l’essentiel de ces «révélations», ramène à l’Iran, désignée en tant que menace pour le monde, comme l’avait été l’Irak de Saddam Hussein, avant qu’il ne fût confirmé, par la guerre illégale de 2003, que le pays était en réalité sans défense.
A bien y réfléchir, cette affaire ressemble sensiblement à un beau coup de propagande qui pourrait viser à justifier une agression à l’encontre de l’Iran. En politique, les vieilles recettes éprouvées resservent souvent.
Sur les traces de Sherlock Holmes, cherchons donc à qui profite le crime...
La plupart des chroniqueurs parlent d’un «11 septembre de la diplomatie». C’est très surfait et fort excessif. Et garantissent que la diplomatie américaine ne sera plus la même à l’avenir. Rien de moins sûr.

* Professeur d'histoire et de sciences politiques à l'Ecole européenne
de Bruxelles I


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