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L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Le 18 août, les agences de presse annonçaient la réunion d’un conseil des ministres pour délibérer de la question marocaine. Le général Koenig et M. Triboulet menèrent l’attaque, en accusant notamment M. Grandval d’écouter les seuls nationalistes, ennemis de la France, et de faire preuve de mauvaise volonté, à l’égard de Ben Arafa. Mais il apparut que M. Faure restait ferme sur sa position : « On peut concevoir » a-t-il dit, « deux politiques extrêmes : accepter que Moulay Arafa ;constitue un gouvernement avec ses seuls partisans; ou remettre, au contraire Ben Youssef sur le Trône »16.
Il conclut qu’il préfèrerait donner sa démission que d’accepter l’une ou l’autre de ces deux conceptions. MM. Pinay et Duchet, sur l’appui desquels comptait Edgar Faure, commençaient à sortir de leurs hésitations. Le Conseil des ministres a pu ainsi confirmer la nécessité de constituer « un gouvernement marocain pleinement représentatif ».
M. Grandval, chargé d’appliquer un plan qui n’était pas le sien, menaçait de démissionner. Il dut renoncer à cette décision, du fait de l’approche de la date du 20 août et de l’effervescence générale. Il se rendit de nouveau à Paris pour rendre compte des résultats. La démonstration a été faite que Ben Arafa était dans l’incapacité de former le gouvernement « représentatif » attendu.
M. Grandval fut associé aux travaux du Comité de coordination pour l’Afrique du Nord, réuni le 19 août : la conférence franco-marocaine se tiendrait le 22 août 1955, à Aix-les–Bains17.
On reviendra plus loin sur cette fameuse conférence.
Les journées insurrectionnelles d’août 1955
La déception, les nouvelles contradictions étaient telles que les masses populaire n’attendirent pas le 20 août pour entrer en action. Mais cette fois-ci c’est le « bon bled, fidèle au Glaoui et à Ben Arafa » qui se mit le premier en mouvement. Dans la nuit du 18 août, les cavaliers Zaïanes de l’Atlas descendirent sur Khénifra pour se joindre aux manifestations massives demandant le retour de Ben Youssef. Un poste militaire fut attaqué et les armes saisies. Une compagnie de la Légion, stationnée à Mrirt, fut expédiée sur les lieux. L’ordre colonial fut rétabli après des combats de rue et un massacre qui resterait gravé dans la mémoire des témoins de ces évènements.
Dans l’après midi, les manifestations reprirent avec plus d’ampleur. Nouvelle intervention des légionnaires; les corps de nouvelles victimes jonchaient les rues.
Les cavaliers berbères, ceux qui naguère « répondaient spontanément et par milliers à l’appel du maréchal Juin et son Glaoui », ces mêmes cavaliers se réfugièrent dans les montagnes sur les lieux mêmes où vingt cinq ans plus tôt, Moha ou Hamou résistait à l’occupation étrangère.
Affolé, le général Leblanc, devait déclarer au résident général : « C’est la guerre !». Il sollicita le bombardement de Khénifra. Le résident s’y opposa mais donna l’ordre à l’aviation de disperser les cavaliers maquisards.
Quant au général Duval, il exprima son grand mécontentement devant le comportement du colonel Beaumont, commandant à Khénifra, qui chercha à parlementer avec les nationalistes. « Nous perdrons la face ! », dit-il au résident général. « Les troupes doivent entrer dans la médina et y rétablir l’ordre par la force ! ». Le résident s’y opposa mais l’ordre de bombarder et non pas d’effectuer seulement des tirs de semonce visant les montagnards fut maintenu.
Les bombardements durèrent plusieurs heures, n’épargnant pas les douars dispersés. Le nombre de victimes marocaines, sans compter les blessés, a été estimé grossièrement à quarante cinq. Les victimes des bombardements, sur les crêtes de la montagne, n’ont pas été recensées. En réalité, d’après nos militants, le nombre de morts peut-être estimé à cent cinquante. C’était le premier bilan de ces deux journées de révolte des « gens » du bled.
Pour bien comprendre le sens des manifestations et des actes de violence dirigés contre les représentants locaux du protectorat, il faut rappeler que les ultras du Maroc en relation avec le lobby marocain à Paris, ont toujours caché la vérité à l’opinion française. Si nos adversaires admettaient l’existence d’un mouvement national, hostile au protectorat colonial, il était, pour eux, seulement limité à quelques meneurs fanatiques, ennemis de la France. Toutes les manifestations qui eurent lieu, depuis 1950, jusqu’aux évènements de Khénifra, Oued-Zem, Khouribga et dans d’autres régions du pays, par lesquelles les populations proclamaient leur attachement à Mohammed V, étaient présentées à l’opinion française comme des actes d’hostilité à ce dernier et de fidélité à l’administration du protectorat.
Même après la nomination de M. Grandval, qui ne pouvait s’informer directement ni de façon complète, cette version mensongère devait perdurer. On voulait lui faire croire que les « amis de la France », appuyés par la quasi-totalité du bled, n’allaient pas demeurer les mains croisés si Ben Arafa était
évincé!»
C’est contre de tels mensonges, de telles falsifications de la réalité, que les paysans et les ouvriers voulaient réagir. C’est ce qui explique le recours délibéré à la violence, une violence parfois aveugle, désespérée, mais parfaitement légitime.
Dans le même contexte, il faut aussi rappeler que les fermes françaises, les maisons forestières, les postes les plus éloignés dans les campagnes avaient été approvisionnées en armement. Ainsi, depuis 1952, les civils français et en particulier les colons, participaient directement aux expéditions punitives dans différentes régions de la campagne. Certains d’entre eux, en particulier dans les régions de Beni Mellal, Khouribga, Oued-Zem, prenaient l’initiative d’opérations répressives dans le seul but de semer la terreur et de maintenir le pays dans le silence, silence qui était aussitôt présenté comme signe d’attachement à la présence coloniale !
C’est dans ce climat de terrorisme militaire et civil, instauré depuis 1950, qu’éclatèrent les évènements de Oued-Zem. Outre les circonstances relatées plus haut, il semble incontestable que la révolte des paysans et des ouvriers des régions de Oued-Zem, Boujaâd, Khouribga, Aït Amar a été liée à celle de Khénifra. Investie par les troupes de la Légion, cette ville subissant un bombardement était à feu et à sang.
Le 20 août, plusieurs centaines de paysans tentèrent de pénétrer dans la petite cité d’Oued-Zem. Le contrôleur civil, son adjoint et le Khalifa allèrent à leur rencontre, escortés de mokhaznis armés et de gendarmes français. Sous la menace, ils leur intimèrent l’ordre de rebrousser chemin. Quelques manifestants tentèrent de forcer le barrage, la troupe fit usage des armes et deux ou trois paysans furent tués.
A partir de là, cette provocation caractérisée fit que cette simple manifestation devint une véritable insurrection. Les paysans non armés s’emparèrent de quelques armes abandonnées par la troupe, qui, débordée, prit la fuite.
Les manifestants pénétrèrent dans la ville au cri de : « Vive Ben Youssef ! ». Ils rejoignirent ainsi les défilés de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui parcouraient les rues de la ville. Jusque-là, à part le décès du contrôleur civil Carayol, les morts étaient plutôt du côté marocain. Les choses auraient pu en
rester là.
Mais les pieds-noirs de Oued-Zem et de sa région, étaient connus pour leur sentiment de haine et de mépris à l’égard des Marocains. La plupart étaient armés par les soins des contrôleurs civils. L’ampleur des manifestations était devenue telle qu’il n’est pas exclu qu’elles aient provoqué chez les populations françaises un vent d’affolement et de panique. Ce qui n’est pas à exclure également, c’est que plusieurs activistes appartenant au groupe « Présence-française » étaient mêlés aux affrontements sanglants.
Si aucune enquête sérieuse n’a pu être faite par l’administration du protectorat, tous les témoignages de Marocains qui ont vécu cette journée concordent sur un point précis : les Français, barricadés dans leurs maisons, leurs bureaux, les bâtiments administratifs, tiraient à un moment donné sur la foule, par les fenêtres ou les terrasses. Plusieurs manifestants dont des femmes et des enfants furent mortellement atteints.
De tels agissements, commis peut-être sciemment, ne calmèrent pas les esprits. Des manifestants, ouvriers et paysans, se dirigèrent en particulier vers les bâtiments administratifs et les habitations d’où provenaient les tirs. Vers 10 heures, un important détachement de marins de la base aéronavale fut dépêché à Oued-Zem, à partir de Khouribga. En fin d’après-midi, d’autres détachements de la Légion ainsi que des parachutistes vinrent en renfort. Le carnage fut indescriptible : les rues étaient jonchées de morts, hommes, femmes, enfants, des habitations incendiées, des magasins pillés.
Les manifestants, considérés comme responsables, furent exécutés froidement sur place, sans jugement. Le ratissage systématique de la ville devait durer plusieurs jours. Oued-Zem n’était plus qu’un cimetière.
Si la Résidence générale a déploré la mort de 49 Français, aucune précision n’a été donnée à l’époque sur le nombre de décès du côté marocain. Ce n’est que quelques jours après qu’on put évaluer, suivant les récits, leur nombre : au moins 200, dont 25 femmes et 36 enfants. Début 1956, les visiteurs de cette petite ville sinistrée ont pu dénombrer plus de 40 maisons et autres habitations complètement détruites. Le 4ème régiment de la légion étrangère, sous le commandement du colonel Borreill, s’était particulièrement distingué par sa sauvagerie aveugle lors de cette expédition punitive. Les victimes marocaines n’eurent même pas le droit à des obsèques. Dans la même journée, la population de Boujaâd, localité proche de Oued-Zem, grossie par les paysans de la région, manifestait son attachement au souverain légitime. L’affrontement eut lieu contre les forces de gendarmerie. Aucune victime parmi la population française n’était à déplorer mais plusieurs morts et blessés du côté marocain.
Aux mines des Aït-Amar, qui se trouvent à près de 25 kilomètres de Oued-Zem, les paysans des tribus voisines se sont joints par centaines, aux ouvriers du centre minier. L’affrontement là aussi fut sanglant. Les personnels français de la mine (ingénieurs, contremaîtres, employés...) se comportèrent comme les civils français à Oued-Zem. Barricadés dans les locaux administratifs ou dans les maisons, ils firent usage de leurs armes. Ce qui amena les ouvriers et les paysans à se défendre et sans doute à s’emparer des armes de leurs agresseurs. Plusieurs morts furent dénombrés parmi les Marocains. Les civils français décédés étaient au nombre de dix. Mais ici comme à Oued-Zem, l’intervention armée des civils était à l’origine du massacre.
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Le 18 août, les agences de presse annonçaient la réunion d’un conseil des ministres pour délibérer de la question marocaine. Le général Koenig et M. Triboulet menèrent l’attaque, en accusant notamment M. Grandval d’écouter les seuls nationalistes, ennemis de la France, et de faire preuve de mauvaise volonté, à l’égard de Ben Arafa. Mais il apparut que M. Faure restait ferme sur sa position : « On peut concevoir » a-t-il dit, « deux politiques extrêmes : accepter que Moulay Arafa ;constitue un gouvernement avec ses seuls partisans; ou remettre, au contraire Ben Youssef sur le Trône »16.
Il conclut qu’il préfèrerait donner sa démission que d’accepter l’une ou l’autre de ces deux conceptions. MM. Pinay et Duchet, sur l’appui desquels comptait Edgar Faure, commençaient à sortir de leurs hésitations. Le Conseil des ministres a pu ainsi confirmer la nécessité de constituer « un gouvernement marocain pleinement représentatif ».
M. Grandval, chargé d’appliquer un plan qui n’était pas le sien, menaçait de démissionner. Il dut renoncer à cette décision, du fait de l’approche de la date du 20 août et de l’effervescence générale. Il se rendit de nouveau à Paris pour rendre compte des résultats. La démonstration a été faite que Ben Arafa était dans l’incapacité de former le gouvernement « représentatif » attendu.
M. Grandval fut associé aux travaux du Comité de coordination pour l’Afrique du Nord, réuni le 19 août : la conférence franco-marocaine se tiendrait le 22 août 1955, à Aix-les–Bains17.
On reviendra plus loin sur cette fameuse conférence.
Les journées insurrectionnelles d’août 1955
La déception, les nouvelles contradictions étaient telles que les masses populaire n’attendirent pas le 20 août pour entrer en action. Mais cette fois-ci c’est le « bon bled, fidèle au Glaoui et à Ben Arafa » qui se mit le premier en mouvement. Dans la nuit du 18 août, les cavaliers Zaïanes de l’Atlas descendirent sur Khénifra pour se joindre aux manifestations massives demandant le retour de Ben Youssef. Un poste militaire fut attaqué et les armes saisies. Une compagnie de la Légion, stationnée à Mrirt, fut expédiée sur les lieux. L’ordre colonial fut rétabli après des combats de rue et un massacre qui resterait gravé dans la mémoire des témoins de ces évènements.
Dans l’après midi, les manifestations reprirent avec plus d’ampleur. Nouvelle intervention des légionnaires; les corps de nouvelles victimes jonchaient les rues.
Les cavaliers berbères, ceux qui naguère « répondaient spontanément et par milliers à l’appel du maréchal Juin et son Glaoui », ces mêmes cavaliers se réfugièrent dans les montagnes sur les lieux mêmes où vingt cinq ans plus tôt, Moha ou Hamou résistait à l’occupation étrangère.
Affolé, le général Leblanc, devait déclarer au résident général : « C’est la guerre !». Il sollicita le bombardement de Khénifra. Le résident s’y opposa mais donna l’ordre à l’aviation de disperser les cavaliers maquisards.
Quant au général Duval, il exprima son grand mécontentement devant le comportement du colonel Beaumont, commandant à Khénifra, qui chercha à parlementer avec les nationalistes. « Nous perdrons la face ! », dit-il au résident général. « Les troupes doivent entrer dans la médina et y rétablir l’ordre par la force ! ». Le résident s’y opposa mais l’ordre de bombarder et non pas d’effectuer seulement des tirs de semonce visant les montagnards fut maintenu.
Les bombardements durèrent plusieurs heures, n’épargnant pas les douars dispersés. Le nombre de victimes marocaines, sans compter les blessés, a été estimé grossièrement à quarante cinq. Les victimes des bombardements, sur les crêtes de la montagne, n’ont pas été recensées. En réalité, d’après nos militants, le nombre de morts peut-être estimé à cent cinquante. C’était le premier bilan de ces deux journées de révolte des « gens » du bled.
Pour bien comprendre le sens des manifestations et des actes de violence dirigés contre les représentants locaux du protectorat, il faut rappeler que les ultras du Maroc en relation avec le lobby marocain à Paris, ont toujours caché la vérité à l’opinion française. Si nos adversaires admettaient l’existence d’un mouvement national, hostile au protectorat colonial, il était, pour eux, seulement limité à quelques meneurs fanatiques, ennemis de la France. Toutes les manifestations qui eurent lieu, depuis 1950, jusqu’aux évènements de Khénifra, Oued-Zem, Khouribga et dans d’autres régions du pays, par lesquelles les populations proclamaient leur attachement à Mohammed V, étaient présentées à l’opinion française comme des actes d’hostilité à ce dernier et de fidélité à l’administration du protectorat.
Même après la nomination de M. Grandval, qui ne pouvait s’informer directement ni de façon complète, cette version mensongère devait perdurer. On voulait lui faire croire que les « amis de la France », appuyés par la quasi-totalité du bled, n’allaient pas demeurer les mains croisés si Ben Arafa était
évincé!»
C’est contre de tels mensonges, de telles falsifications de la réalité, que les paysans et les ouvriers voulaient réagir. C’est ce qui explique le recours délibéré à la violence, une violence parfois aveugle, désespérée, mais parfaitement légitime.
Dans le même contexte, il faut aussi rappeler que les fermes françaises, les maisons forestières, les postes les plus éloignés dans les campagnes avaient été approvisionnées en armement. Ainsi, depuis 1952, les civils français et en particulier les colons, participaient directement aux expéditions punitives dans différentes régions de la campagne. Certains d’entre eux, en particulier dans les régions de Beni Mellal, Khouribga, Oued-Zem, prenaient l’initiative d’opérations répressives dans le seul but de semer la terreur et de maintenir le pays dans le silence, silence qui était aussitôt présenté comme signe d’attachement à la présence coloniale !
C’est dans ce climat de terrorisme militaire et civil, instauré depuis 1950, qu’éclatèrent les évènements de Oued-Zem. Outre les circonstances relatées plus haut, il semble incontestable que la révolte des paysans et des ouvriers des régions de Oued-Zem, Boujaâd, Khouribga, Aït Amar a été liée à celle de Khénifra. Investie par les troupes de la Légion, cette ville subissant un bombardement était à feu et à sang.
Le 20 août, plusieurs centaines de paysans tentèrent de pénétrer dans la petite cité d’Oued-Zem. Le contrôleur civil, son adjoint et le Khalifa allèrent à leur rencontre, escortés de mokhaznis armés et de gendarmes français. Sous la menace, ils leur intimèrent l’ordre de rebrousser chemin. Quelques manifestants tentèrent de forcer le barrage, la troupe fit usage des armes et deux ou trois paysans furent tués.
A partir de là, cette provocation caractérisée fit que cette simple manifestation devint une véritable insurrection. Les paysans non armés s’emparèrent de quelques armes abandonnées par la troupe, qui, débordée, prit la fuite.
Les manifestants pénétrèrent dans la ville au cri de : « Vive Ben Youssef ! ». Ils rejoignirent ainsi les défilés de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui parcouraient les rues de la ville. Jusque-là, à part le décès du contrôleur civil Carayol, les morts étaient plutôt du côté marocain. Les choses auraient pu en
rester là.
Mais les pieds-noirs de Oued-Zem et de sa région, étaient connus pour leur sentiment de haine et de mépris à l’égard des Marocains. La plupart étaient armés par les soins des contrôleurs civils. L’ampleur des manifestations était devenue telle qu’il n’est pas exclu qu’elles aient provoqué chez les populations françaises un vent d’affolement et de panique. Ce qui n’est pas à exclure également, c’est que plusieurs activistes appartenant au groupe « Présence-française » étaient mêlés aux affrontements sanglants.
Si aucune enquête sérieuse n’a pu être faite par l’administration du protectorat, tous les témoignages de Marocains qui ont vécu cette journée concordent sur un point précis : les Français, barricadés dans leurs maisons, leurs bureaux, les bâtiments administratifs, tiraient à un moment donné sur la foule, par les fenêtres ou les terrasses. Plusieurs manifestants dont des femmes et des enfants furent mortellement atteints.
De tels agissements, commis peut-être sciemment, ne calmèrent pas les esprits. Des manifestants, ouvriers et paysans, se dirigèrent en particulier vers les bâtiments administratifs et les habitations d’où provenaient les tirs. Vers 10 heures, un important détachement de marins de la base aéronavale fut dépêché à Oued-Zem, à partir de Khouribga. En fin d’après-midi, d’autres détachements de la Légion ainsi que des parachutistes vinrent en renfort. Le carnage fut indescriptible : les rues étaient jonchées de morts, hommes, femmes, enfants, des habitations incendiées, des magasins pillés.
Les manifestants, considérés comme responsables, furent exécutés froidement sur place, sans jugement. Le ratissage systématique de la ville devait durer plusieurs jours. Oued-Zem n’était plus qu’un cimetière.
Si la Résidence générale a déploré la mort de 49 Français, aucune précision n’a été donnée à l’époque sur le nombre de décès du côté marocain. Ce n’est que quelques jours après qu’on put évaluer, suivant les récits, leur nombre : au moins 200, dont 25 femmes et 36 enfants. Début 1956, les visiteurs de cette petite ville sinistrée ont pu dénombrer plus de 40 maisons et autres habitations complètement détruites. Le 4ème régiment de la légion étrangère, sous le commandement du colonel Borreill, s’était particulièrement distingué par sa sauvagerie aveugle lors de cette expédition punitive. Les victimes marocaines n’eurent même pas le droit à des obsèques. Dans la même journée, la population de Boujaâd, localité proche de Oued-Zem, grossie par les paysans de la région, manifestait son attachement au souverain légitime. L’affrontement eut lieu contre les forces de gendarmerie. Aucune victime parmi la population française n’était à déplorer mais plusieurs morts et blessés du côté marocain.
Aux mines des Aït-Amar, qui se trouvent à près de 25 kilomètres de Oued-Zem, les paysans des tribus voisines se sont joints par centaines, aux ouvriers du centre minier. L’affrontement là aussi fut sanglant. Les personnels français de la mine (ingénieurs, contremaîtres, employés...) se comportèrent comme les civils français à Oued-Zem. Barricadés dans les locaux administratifs ou dans les maisons, ils firent usage de leurs armes. Ce qui amena les ouvriers et les paysans à se défendre et sans doute à s’emparer des armes de leurs agresseurs. Plusieurs morts furent dénombrés parmi les Marocains. Les civils français décédés étaient au nombre de dix. Mais ici comme à Oued-Zem, l’intervention armée des civils était à l’origine du massacre.