Un pays sans détenus politiques ? L’Algérie bon sang !

Sauf que les faits et les chiffres sont têtus monsieur le président


Mehdi Ouassat
Dimanche 2 Juin 2024

Un pays sans détenus politiques ? L’Algérie bon sang !
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a récemment rencontré près de 30 partis politiques pour discuter des enjeux cruciaux qui minent l’Algérie. Ce rassemblement, censé être une occasion de dialogue constructif, a rapidement pris une tournure préoccupante lorsque le sujet des «détenus d’opinion» et des «détenus politiques» a été abordé sans détour par quatre personnalités politiques: Louisa Hanoune, SG du Parti des travailleurs, Sofiane Djilali, SG du Parti du renouveau algérien, Belkacem Sahli, SG de l'Alliance nationale républicaine et Youcef Aouchiche, premier responsable du FFS.

La répression comme mode de gouvernance

Depuis la crise politique de 2019, l’Algérie s’enlise dans un autoritarisme de plus en plus brutal. Les droits de l’Homme et les libertés publiques ou individuelles sont systématiquement réprimés sous un régime qui semble avoir érigé la répression en mode de gouvernance. Hanoune, Djilali, Sahli et Aouchiche ont exigé avec insistance la libération des détenus politiques, la réhabilitation de la liberté de la presse et le déverrouillage des espaces publics et politiques. Leur plaidoyer pour une Algérie plus libre et démocratique a été accueilli par une fin de non-recevoir glaçante.

Un déni systématique des réalités

« Il n’y a pas de détenus d’opinion dans les prisons du pays », a asséné Tebboune lors de cette réunion. Cette déclaration résonne comme une gifle aux nombreuses familles des prisonniers politiques et aux organisations de défense des droits de l’Homme qui, depuis des années, documentent et dénoncent les arrestations arbitraires et les détentions injustifiées. Cette posture de déni absolu est non seulement une insulte à l’intelligence collective mais aussi un refus flagrant d’admettre l’évidence : l’Algérie est aujourd’hui un État où la dissidence est criminalisée et où la parole libre est étouffée par la peur et la répression.

L’épouvantail des menaces extérieures

Pour justifier cette répression incessante, Tebboune a évoqué des «menaces extérieures provenant de l’environnement géopolitique hostile» entourant l’Algérie. Cette rhétorique, usée jusqu’à la corde, sert de prétexte commode pour justifier l’injustifiable. Elle permet au régime de se draper dans une posture défensive, se posant en rempart contre des ennemis imaginaires pour mieux détourner l’attention des véritables enjeux internes. En réalité, cette paranoïa orchestrée ne fait qu’illustrer l’incapacité du pouvoir à gérer les crises internes autrement que par la coercition.

Le cas Ihsane El Kadi: symbole de la dérive répressive

L’incarcération d’Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et Maghreb Emergent, illustre parfaitement cette dérive répressive. Condamné en juin 2023 à sept ans de prison pour «réception de fonds de l’étranger», El Kadi est présenté par Tebboune comme un criminel ayant enfreint la loi sur le financement étranger. Or, cette accusation masque mal le véritable motif de son emprisonnement : sa volonté de pratiquer un journalisme libre et indépendant dans un pays où la presse est muselée. En niant le caractère politique de cette incarcération, Tebboune montre son mépris pour la liberté de la presse et confirme sa volonté de réduire au silence toute voix dissidente. Les justifications avancées par le président ne font que renforcer la conviction que l’Algérie est dirigée par un régime qui ne tolère aucune critique, et encore moins une opposition structurée.

Les hommes mentent mais pas les chiffres

Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) recense plus de 230 militants du Hirak emprisonnés, certains âgés de plus de 70 ans, pour leurs opinions critiques vis-à-vis du régime. Ces chiffres sont une cinglante réplique à la négation de Tebboune. Chaque détenu est une preuve vivante de la répression systématique qui s’abat sur ceux qui osent contester l’ordre établi. Les prisons algériennes sont devenues des mouroirs pour les opposants politiques, et cette situation ne fait qu’aggraver la fracture entre le pouvoir et le peuple.

Une vision obscure de l’avenir

La fuite en avant de Tebboune dans le dossier des détenus d’opinion est un mauvais présage pour l’avenir proche de l’Algérie. L’actuel président semble déterminé à poursuivre une politique de répression, ce qui ne laisse guère d’espoir pour un apaisement du climat politique. Si un deuxième mandat de Tebboune venait à être officiellement acté, il est à craindre que la répression s’intensifie encore, conduisant le pays vers des lendemains de plus en plus sombres et incertains.

Une stratégie politique désastreuse

L’obstination de Tebboune à nier la réalité des détenus d’opinion et à justifier la répression par des menaces extérieures fictives relève d’une stratégie politique désastreuse. Cette stratégie est non seulement inefficace à long terme, mais elle est aussi dangereuse. Elle risque de provoquer une radicalisation des opposants et une exacerbation des tensions sociales. En fermant la porte à toute forme de dialogue constructif, le président algérien se condamne à gouverner par la peur et la contrainte, deux piliers sur lesquels aucun régime ne peut durablement se maintenir.

Nécessité d’un changement radical

Pour sortir de cette impasse, l’Algérie a besoin d’un changement radical. Ce changement passe par la reconnaissance des droits de l’Homme, la libération immédiate et sans condition de tous les détenus d’opinion et l’ouverture d’un véritable espace de dialogue politique. Il est impératif que la société civile, les partis politiques et la communauté internationale se mobilisent pour exercer une pression constante sur le régime algérien afin de l’obliger à respecter ses engagements en matière de droits humains. Les réponses de Tebboune lors de cette réunion sont le reflet d’un pouvoir en crise, incapable de se réformer et de répondre aux aspirations légitimes de son peuple. Tant que le déni et la répression resteront les principales réponses du régime face aux demandes de liberté et de justice, l’Algérie continuera de s’enfoncer dans une spirale de violence et d’instabilité. Seule une prise de conscience collective et une mobilisation déterminée pourront permettre de tracer la voie vers une véritable démocratie en Algérie.

Mehdi Ouassat 


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