En Syrie, l'économie libérée de l'emprise d'Assad commence à renaître


Libé
Samedi 25 Janvier 2025

Chocolats, biscuits, cigarettes ou shampoings: quand Damas est tombée aux mains d'une coalition rebelle, Youssef Rajab a mis sur les étagères de sa supérette la marchandise étrangère qu'il cachait de peur d'être arrêté par les forces de Bachar al-Assad.

Depuis la prise de pouvoir en décembre par une coalition armée conduite par des islamistes, les produits importés sont en vente libre et les devises sont échangées au grand jour

Sous le pouvoir de Bachar al-Assad, ces activités étaient passibles de prison, dans un pays à l'économie asphyxiée par les sanctions occidentales, confronté à une pénurie de devises étrangères et englué dans une crise économique sans fin.

"Un jour après la chute du régime, j'ai sorti toutes les marchandises étrangères que je cachais, et je les ai proposées à la vente sans crainte", confie M. Rajab. "C'était un sentiment étrange, mais j'étais très heureux", dit le commerçant de 23 ans.

Auparavant, les rares produits importés étaient introduits en contrebande depuis le Liban par des commerçants qui craignaient d'être arrêtés, ou en soudoyant des proches du régime: des hommes d'affaires contrôlaient les importations dans le pays épuisé par plus de dix ans de guerre civile. "C'est vrai qu'il y a maintenant une grande liberté de commerce, mais c'est le chaos", ajoute cependant Youssef Rajab.

A tous les coins de rues, des changeurs improvisés interpellent désormais les passants. "C'est un métier qui n'existait pas, certains le pratiquaient en cachette", dit Amir Halimeh, installé derrière une petite table sur laquelle sont empilées des liasses de livres syriennes et de dollars.
"On appelait le dollar «menthe», «persil» ou toute autre pousse verte" pour échapper à la surveillance, raconte le jeune homme de 23 ans.

Vendre des devises était passible de sept ans de prison et de lourdes amendes du temps du pouvoir d'Assad, qui gardait la main sur les monnaies étrangères pour se maintenir à flot.

"Le marché s'est complètement libéré (...) ainsi que le taux de la livre", explique le changeur
La livre syrienne, qui a perdu environ 90% de sa valeur depuis le début du conflit en 2011, s'échange actuellement entre 11.000 et 12.000 pour un dollar.

A la veille de la chute de Damas aux mains d'une coalition de groupes armés dominés par les islamistes de Hayat Tahrir al-Sham, le taux de change sur le marché noir avait explosé, un dollar s'échangeait à 30.000 livres.

"Nous avons hérité du régime d'Assad un Etat en ruine, il n'y a aucun système économique", a déclaré le ministre syrien des Affaires étrangères Assaad al-Chaibani mercredi à Davos, ajoutant que "l'économie sera libre à l'avenir".

Pour Adnan Souleimane, chercheur et professeur à la Faculté d'économie de l'Université de Damas, "le modèle économique qui existait avant la chute du régime (...) était une économie de marché", mais "faussée". "L'offre et la demande n'étaient pas libres (...) au lieu de la concurrence, le monopole prévalait", explique-t-il, en allusion aux barons de la finance proches du régime qui s'accaparaient les activités économiques.

Tournant la page de l'ère Assad, le gouvernement de transition fait pression pour une levée des sanctions internationales à l'encontre de la Syrie.
"La levée des sanctions économiques est la clé de la stabilité en Syrie", a souligné jeudi le chef de la diplomatie syrienne.

Le département du Trésor aux Etats-Unis a annoncé début janvier un allègement des restrictions affectant les services essentiels, dont les carburants ou l'aide humanitaire.
Avant décembre, la vente de carburants était accaparée et drastiquement limitée par les autorités.

Désormais, des vendeurs proposent des bidons d'essence et de mazout dans les rues de la capitale, où sont apparues de nouvelles voitures, alors que le pouvoir précédent en limitait drastiquement l'importation.

La guerre a mis à mal les infrastructures syriennes, notamment les centrales électriques et les oléoducs, entraînant des coupures de courant qui peuvent durer plus de 20 heures par jour. "L'ancien régime a laissé un lourd héritage, et le plus grand défi auquel seront confrontés les prochains gouvernements (...) est le défi du financement du développement et de la reconstruction", estime M. Souleimane.


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