Paysannes non voilées, des environs de Mazagan (Dessin de J. Lavée)
Après le départ des Portugais de Mazagan en 1769 et l'abandon qui s'ensuivit, la forteresse fut réhabilitée au milieu du XIXe siècle et appelée El Jadida (la nouvelle), devenant un centre commercial et une société multiculturelle comptant des habitants musulmans, juifs et chrétiens.
En effet, vers 1824/1825 (1240 de l’hégire), le sultan Moulay Abderrahmane nomma son cousin Mohammed ben Ettayeb comme gouverneur de la province des Doukkala, dont Mazagan était le port naturel. Ce dernier, écrit l’historien An-Naciri dans son «Kitâb al-Istiqsa li-Akhbar duwwal Al-Maghrib al-Aqsa», «se rendit ensuite à El Jadida qu'il trouva en ruine, telle qu'elle avait été laissée après la conquête, lors du règne du sultan Sidi Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde). Cette ville s'appelait avant la conquête El Brija, puis comme, lors de la conquête, la muraille avait été démolie par les mines, on lui avait donné le nom d’El Mehdonma. Sidi Mohammed ben Ettayeb fit reconstruire le mur d'enceinte et relever les ruines de la ville. Il la nomma El Jadida. Et menaça de peines graves quiconque la désignerait sous un autre nom. Depuis cette époque, elle ne fut plus appelée qu’El Jadida».
En juillet 2004, la ville portugaise de Mazagan est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, car elle « est un exemple exceptionnel de l'échange d'influences entre les cultures européennes et la culture marocaine du XVIe au XVIIIe siècle, et l'un des tout premiers peuplements des explorateurs portugais en Afrique de l'Ouest sur la route de l'Inde. Ces influences se reflètent clairement dans l'architecture, la technologie et l'urbanisme de la ville». (Critère ii), et «est un exemple exceptionnel et l'un des premiers de la réalisation des idéaux de la Renaissance intégrés aux techniques de construction portugaises. Parmi les constructions les plus remarquables de la période portugaise figurent la citerne et l'église de l'Assomption, bâties dans le style manuélin du début du XVIe siècle». (Critère iv).
Cent-quatre ans avant cette inscription, le Français Eduard Montet avait visité Mazagan et décrit son séjour en son sein.
En effet, vers 1824/1825 (1240 de l’hégire), le sultan Moulay Abderrahmane nomma son cousin Mohammed ben Ettayeb comme gouverneur de la province des Doukkala, dont Mazagan était le port naturel. Ce dernier, écrit l’historien An-Naciri dans son «Kitâb al-Istiqsa li-Akhbar duwwal Al-Maghrib al-Aqsa», «se rendit ensuite à El Jadida qu'il trouva en ruine, telle qu'elle avait été laissée après la conquête, lors du règne du sultan Sidi Mohammed (Dieu lui fasse miséricorde). Cette ville s'appelait avant la conquête El Brija, puis comme, lors de la conquête, la muraille avait été démolie par les mines, on lui avait donné le nom d’El Mehdonma. Sidi Mohammed ben Ettayeb fit reconstruire le mur d'enceinte et relever les ruines de la ville. Il la nomma El Jadida. Et menaça de peines graves quiconque la désignerait sous un autre nom. Depuis cette époque, elle ne fut plus appelée qu’El Jadida».
En juillet 2004, la ville portugaise de Mazagan est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, car elle « est un exemple exceptionnel de l'échange d'influences entre les cultures européennes et la culture marocaine du XVIe au XVIIIe siècle, et l'un des tout premiers peuplements des explorateurs portugais en Afrique de l'Ouest sur la route de l'Inde. Ces influences se reflètent clairement dans l'architecture, la technologie et l'urbanisme de la ville». (Critère ii), et «est un exemple exceptionnel et l'un des premiers de la réalisation des idéaux de la Renaissance intégrés aux techniques de construction portugaises. Parmi les constructions les plus remarquables de la période portugaise figurent la citerne et l'église de l'Assomption, bâties dans le style manuélin du début du XVIe siècle». (Critère iv).
Cent-quatre ans avant cette inscription, le Français Eduard Montet avait visité Mazagan et décrit son séjour en son sein.
L’auteur
Eduard Montet (1856/1934) est un orientaliste français, docteur en théologie et doyen de la Faculté de théologie de l'Université de Genève. Il enseigna l’hébreu, les langues orientales, l'exégèse de l'Ancien Testament et surtout l'arabe (1894-1923).
Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de la Bible, du judaïsme, du christianisme et de l'islam, et d'une traduction du Coran (1925) souvent rééditée. Grâce à sa connaissance du monde et de la langue arabes, il fut chargé de mission au Maroc par la France, en 1900/1901 et en 1914.
Le second voyage a été effectué en juillet et août 1914, avec pour objectif l’étude de l’Université musulmane de Fès et la recherche de ce qu’était devenue sa célèbre bibliothèque de Karaouïne, signalée comme disparue à l’époque ; investigations publiées en 1915 par « Le Globe, revue genevoise de géographie », sous le titre « La ville de Fez, Exploration au Maroc en juillet et août 1914 ».
Le voyage de 1900/1901
Quant au premier voyage, celui qui intéresse notre propos (*), son objet était, comme le révèle Montet lui-même, de faire une enquête sur l’organisation et le rôle politique, religieux et social des confréries religieuses musulmanes. Pour ce faire et sous couvert d’une mission scientifique sous l’égide de plusieurs instituts et sociétés académiques, il dota son périple marocain du caractère officiel en se munissant de lettres d’introduction adressées à la Légation de France à Tanger et aux autorités marocaines. «Le voyage que je fais, écrit-il, a un caractère officiel, en ce sens que je l’entreprends sous la protection du Gouvernement français et, par la suite, du Gouvernement marocain. Ceci revient à dire que le gendarme marocain (mkhâzni), qui m’accompagnera, sera le représentant d’une puissance responsable de ma vie et de mes biens. »
Eduard Montet (1856/1934) est un orientaliste français, docteur en théologie et doyen de la Faculté de théologie de l'Université de Genève. Il enseigna l’hébreu, les langues orientales, l'exégèse de l'Ancien Testament et surtout l'arabe (1894-1923).
Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de la Bible, du judaïsme, du christianisme et de l'islam, et d'une traduction du Coran (1925) souvent rééditée. Grâce à sa connaissance du monde et de la langue arabes, il fut chargé de mission au Maroc par la France, en 1900/1901 et en 1914.
Le second voyage a été effectué en juillet et août 1914, avec pour objectif l’étude de l’Université musulmane de Fès et la recherche de ce qu’était devenue sa célèbre bibliothèque de Karaouïne, signalée comme disparue à l’époque ; investigations publiées en 1915 par « Le Globe, revue genevoise de géographie », sous le titre « La ville de Fez, Exploration au Maroc en juillet et août 1914 ».
Le voyage de 1900/1901
Quant au premier voyage, celui qui intéresse notre propos (*), son objet était, comme le révèle Montet lui-même, de faire une enquête sur l’organisation et le rôle politique, religieux et social des confréries religieuses musulmanes. Pour ce faire et sous couvert d’une mission scientifique sous l’égide de plusieurs instituts et sociétés académiques, il dota son périple marocain du caractère officiel en se munissant de lettres d’introduction adressées à la Légation de France à Tanger et aux autorités marocaines. «Le voyage que je fais, écrit-il, a un caractère officiel, en ce sens que je l’entreprends sous la protection du Gouvernement français et, par la suite, du Gouvernement marocain. Ceci revient à dire que le gendarme marocain (mkhâzni), qui m’accompagnera, sera le représentant d’une puissance responsable de ma vie et de mes biens. »
Type de mendiant de Mazagan (Dessin de J. Lavée)
Le 31 octobre 1900, Montet débarque à Tanger. Pour se rendre à Marrakech, il n’emprunte pas, pour des raisons de sécurité, la route classique passant par Fès que suivent les légations et les voyageurs officiels européens, mais longe la côte atlantique, ce qui lui fait traverser les terres doukkalies du 6 au 12 décembre 1900, dont Mazagan où il séjourne pendant 2 jours. Son périple à travers la zone de Doukkala se déroule comme suit : 6 décembre 1900 : départ de Casablanca vers Marrakech ; 7 décembre : arrivée à Azemmour ; 9 décembre : départ d’Azemmour et arrivée à Mazagan ; 10 décembre : départ de Mazagan ; 11 décembre : Souk Tlat Sidi Bennour ; 12 décembre : Jebel Lakhdar et Guerrandou. De retour de Marrakech et Mogador, Montet traversera encore la province du 5 au 7 janvier 1901 (Oualidia, ruines de Tit et Mazagan), mais il n’en fait aucune description dans la narration de son voyage.
Deux traces écrites couronnèrent ce voyage. D’abord son étude intitulée : « Les Confréries religieuses de l’Islam Marocain : leur rôle religieux, politique et social», parue en 1902 dans la «Revue de l’histoire des religions» et en 1925 sous forme de livre. Et le récit de son voyage dans l’empire chérifien publié par la revue «le Tour du monde (Journal des voyages et des voyageurs)» en 1903; divisé en 8 épisodes, il porte comme titre : «Voyage au Maroc ».
Montet ne voile aucunement ses idées colonialistes à propos du Maroc. Aussi, dénonce-t-il tout au long de son récit « les abus du gouvernement chérifien (qui) sont si criants et sa tyrannie si insupportable, que de toute parts éclatent les plaintes et les protestations, plaintes et protestations auxquelles l’Europe devrait prêter l’oreille; car s’il est un pays où l’intervention des grandes puissances européennes s’impose comme une absolue nécessité, c’est le Maroc»; avant d’attester dans l’une des conclusions de sa prose : «J’estime que, s’il est un pays auquel doivent être confiées les destinées du Maroc, c’est la France. La proximité de l’Algérie, la transformation remarquable par laquelle l’Algérie a passé sous le régime et le génie français, enfin les rapports très étroits, aux points de vue ethnographique, physique, linguistique et religieux, entre l’Algérie occidentale (province d’Oran) et le Maroc, sont autant de raisons d’un très grand poids qui militent en faveur de la thèse que j’affirme (établissement d’un protectorat français au Maroc). »
Deux traces écrites couronnèrent ce voyage. D’abord son étude intitulée : « Les Confréries religieuses de l’Islam Marocain : leur rôle religieux, politique et social», parue en 1902 dans la «Revue de l’histoire des religions» et en 1925 sous forme de livre. Et le récit de son voyage dans l’empire chérifien publié par la revue «le Tour du monde (Journal des voyages et des voyageurs)» en 1903; divisé en 8 épisodes, il porte comme titre : «Voyage au Maroc ».
Montet ne voile aucunement ses idées colonialistes à propos du Maroc. Aussi, dénonce-t-il tout au long de son récit « les abus du gouvernement chérifien (qui) sont si criants et sa tyrannie si insupportable, que de toute parts éclatent les plaintes et les protestations, plaintes et protestations auxquelles l’Europe devrait prêter l’oreille; car s’il est un pays où l’intervention des grandes puissances européennes s’impose comme une absolue nécessité, c’est le Maroc»; avant d’attester dans l’une des conclusions de sa prose : «J’estime que, s’il est un pays auquel doivent être confiées les destinées du Maroc, c’est la France. La proximité de l’Algérie, la transformation remarquable par laquelle l’Algérie a passé sous le régime et le génie français, enfin les rapports très étroits, aux points de vue ethnographique, physique, linguistique et religieux, entre l’Algérie occidentale (province d’Oran) et le Maroc, sont autant de raisons d’un très grand poids qui militent en faveur de la thèse que j’affirme (établissement d’un protectorat français au Maroc). »
Mazagan en 1900
Montet arrive donc à Mazagan le 9 décembre 1900 venant d’Azemmour, et la quitte le lendemain. Il est hébergé par le consul de France dans la ville, Joseph Brudo, qui avait «préparé des chambres dans son hospitalière demeure et ne (voulait) à aucun prix que nous couchions sous la tente». Ce dernier, écrit Joseph Goulven dans «L’Établissement des premiers Européens à Mazagan au cours du XIXe siècle», fut envoyé par «la Maison Altaras (…) en 1856 (…) au Maroc pour le recouvrement de certaines de ses créances en souffrance à Mogador. Après qu'il eut rempli l'objet de sa mission, Joseph Brudo s'établit aussitôt à son compte (1857) et choisit Mazagan pour résidence habituelle; il acquit, de bonne heure, une place prépondérante parmi les commerçants de la ville, C'est à cette influence, qui lui venait de ses grandes qualités, qu'il dut d'être choisi, en 1866, comme agent consulaire de France à Mazagan». «Il poussa même le zèle, ajoute l’ancien chef du Bureau des services civils du Maroc qui travailla à la municipalité d’El Jadida entre 1915 et 1920, jusqu'à créer, vers 1890-1891, un service postal français au Maroc et à recevoir, à ses propres frais, toutes les missions qu'envoyait le gouvernement français au Maroc. La maison Brudo était réputée pour être la maison de France à Mazagan : les Tissot, Ordega, Erckmann, Schlumberger, Burckart, Doutté, etc., etc., y furent reçus à bras ouverts. »
À sa table, Brudo sert à ses invités un « superbe chebel (alose) pêché dans l’Oum Errbia, c’est un des premiers pris dans cette saison, et qui, comme tel, aurait dû être envoyé au sultan; c’est donc un mets royal que nous nous mettons sous la dent».
Selon Montet, Mazagan est une «ville de commerce importante, de quinze à vingt mille habitants, (…) qui a conservé en parfait état ses superbes fortifications portugaises. Un petit port, ou les chalands seuls peuvent pénétrer, est attenant à la douane; quant aux navires, ils ancrent au large, loin des rochers sous-marins qui défendent l’approche de la ville. »
Et le caïd de la ville d’envoyer à l’hôte de Mazagan un mouton comme « mouna». Le lendemain, il se rend chez lui. C’est «un viellard à l’aspect austère; en nous offrant le thé, il n’a garde de lâcher son chapelet, qu’il égrène, tout en causant. Il affecte une grande simplicité, et, m’a-t-on dit, il ne sort que monté sur un âne, comme les pauvres gens». D’après le représentant du Makhzen, la province de Doukkala comptait quatre-vingt-dix mille tentes, soit trois cent mille habitants environ.
Montet arrive donc à Mazagan le 9 décembre 1900 venant d’Azemmour, et la quitte le lendemain. Il est hébergé par le consul de France dans la ville, Joseph Brudo, qui avait «préparé des chambres dans son hospitalière demeure et ne (voulait) à aucun prix que nous couchions sous la tente». Ce dernier, écrit Joseph Goulven dans «L’Établissement des premiers Européens à Mazagan au cours du XIXe siècle», fut envoyé par «la Maison Altaras (…) en 1856 (…) au Maroc pour le recouvrement de certaines de ses créances en souffrance à Mogador. Après qu'il eut rempli l'objet de sa mission, Joseph Brudo s'établit aussitôt à son compte (1857) et choisit Mazagan pour résidence habituelle; il acquit, de bonne heure, une place prépondérante parmi les commerçants de la ville, C'est à cette influence, qui lui venait de ses grandes qualités, qu'il dut d'être choisi, en 1866, comme agent consulaire de France à Mazagan». «Il poussa même le zèle, ajoute l’ancien chef du Bureau des services civils du Maroc qui travailla à la municipalité d’El Jadida entre 1915 et 1920, jusqu'à créer, vers 1890-1891, un service postal français au Maroc et à recevoir, à ses propres frais, toutes les missions qu'envoyait le gouvernement français au Maroc. La maison Brudo était réputée pour être la maison de France à Mazagan : les Tissot, Ordega, Erckmann, Schlumberger, Burckart, Doutté, etc., etc., y furent reçus à bras ouverts. »
À sa table, Brudo sert à ses invités un « superbe chebel (alose) pêché dans l’Oum Errbia, c’est un des premiers pris dans cette saison, et qui, comme tel, aurait dû être envoyé au sultan; c’est donc un mets royal que nous nous mettons sous la dent».
Selon Montet, Mazagan est une «ville de commerce importante, de quinze à vingt mille habitants, (…) qui a conservé en parfait état ses superbes fortifications portugaises. Un petit port, ou les chalands seuls peuvent pénétrer, est attenant à la douane; quant aux navires, ils ancrent au large, loin des rochers sous-marins qui défendent l’approche de la ville. »
Et le caïd de la ville d’envoyer à l’hôte de Mazagan un mouton comme « mouna». Le lendemain, il se rend chez lui. C’est «un viellard à l’aspect austère; en nous offrant le thé, il n’a garde de lâcher son chapelet, qu’il égrène, tout en causant. Il affecte une grande simplicité, et, m’a-t-on dit, il ne sort que monté sur un âne, comme les pauvres gens». D’après le représentant du Makhzen, la province de Doukkala comptait quatre-vingt-dix mille tentes, soit trois cent mille habitants environ.
«Le thé, écrit Montet dans un autre passage de son récit, délie la langue d’un Marocain». Autour donc des «trois verres obligatoires de thé vert à la menthe, saturé de sucre» offerts par le caïd, ce dernier « s’exprime en termes très vifs sur l’état lamentable du Maroc, les abus de l’administration et la tyrannie du Makhzen. C’est lui qui, quelques années auparavant, disait à un officier français : Venez donc au Maroc, vous Français!». Et le thélogien de tirer de ces propos la conclusion qui appuie son intime conviction : «Plus j’entre en rapport avec les Marocains, plus je me convaincs (…) du désir hautement exprimé par beaucoup de Marocains dans toutes les sphères sociales d’un protectorat, et surtout d’un protectorat français».
Dans un autre chapitre de son récit, Montet raconte, alors qu’il est invité chez un riche commerçant de Rabat, le déroulement de la cérémonie du thé à la mode marocaine, description qui mérite d’être rapportée : « Un esclave apporte un plateau, théiére et samovar, de provenance européeene, tasses blanches et petits verres colorés, de même origine, sucre, thé vert et menthe fraîche. La menthe est le seul produit authentiquement marocain et la boisson favorite des gens Du Magreb El-Aksa. Le maître de la maison prépare lui-même le thé. (…) Quand l’infusion (de la menthe) est terminée, il remplit, non pas les tasses, mais les verres seuls, qui sont offerts par le maître de la maison lui-même. (…) Le lecteur aura remarqué que nous avons bu le thé dans des verres de couleur, et que nous ne nous sommes pas servis des tasses blanches. Chaque fois que nous avons été invités à prendre le thé chez un Marocain, il en a été ainsi. Voici l’explication de ce fait. Au Maroc, où les empoisonnements par l’arsenic sont fréquents, on emploie, dans ce but d’homicide, les tasses de porcelaine blanche, où la poudre arsenicale passe inaperçue. L’usage des verres de couleur est destiné à prévenir un attentat de ce genre, et c’est un acte de franchise et de politesse à l’égard de l’hôte, que de lui présenter le thé dans une coupe, qui lui garantit par sa couleur, pour ainsi dire, la vie sauve».
Après avoir loué «l’inépuisable obligeance de (ses) hôtes et des amis (rencontrés à Mazagan) dans la colonie européenne et parmi les musulmans», Montet témoigne que la ville est «de toutes les cités de la côte ouvertes aux Européens, celle où ceux-ci jouissent de la plus grande sécurité»; et ce «dans certaines même où le Maroc a été très agité et où l’autorité du sultan était très ébranlé, (…) le calme a toujours régné sur Mazagan, et les Européens n’y ont point eu à craindre les violences dont, ailleurs, ils eussent été infailliblement les victimes, s’ils ne s’étaient prudemment repliés sur cette place forte. Ses murailles portugaises semblent être un symbole de la sûreté dont la colonie européenne jouit sous leur protection».
«Cette paix et cette tranquillité exceptionnelles, affirme-il, qui sont le précieux privilège du Mazagan» sont démontrées par plusieurs faits, dont il rappelle deux. « Le premier est l’habitude que les Européens ont prise, depuis plusieurs années, de construire, en dehors des murailles, des magasins, des entrepôts et même des maisons d’habitation » ; et de conclure : « Il faut vraiment que la sécurité soit très grande et qu’on se sente à Mazagan à l’abri des coups de main et des pillages, pour faire ce que nulle autre part, au Maroc, à l’exception de Tanger (et Larache), (…) on n’ose tenter. »
Dans un autre chapitre de son récit, Montet raconte, alors qu’il est invité chez un riche commerçant de Rabat, le déroulement de la cérémonie du thé à la mode marocaine, description qui mérite d’être rapportée : « Un esclave apporte un plateau, théiére et samovar, de provenance européeene, tasses blanches et petits verres colorés, de même origine, sucre, thé vert et menthe fraîche. La menthe est le seul produit authentiquement marocain et la boisson favorite des gens Du Magreb El-Aksa. Le maître de la maison prépare lui-même le thé. (…) Quand l’infusion (de la menthe) est terminée, il remplit, non pas les tasses, mais les verres seuls, qui sont offerts par le maître de la maison lui-même. (…) Le lecteur aura remarqué que nous avons bu le thé dans des verres de couleur, et que nous ne nous sommes pas servis des tasses blanches. Chaque fois que nous avons été invités à prendre le thé chez un Marocain, il en a été ainsi. Voici l’explication de ce fait. Au Maroc, où les empoisonnements par l’arsenic sont fréquents, on emploie, dans ce but d’homicide, les tasses de porcelaine blanche, où la poudre arsenicale passe inaperçue. L’usage des verres de couleur est destiné à prévenir un attentat de ce genre, et c’est un acte de franchise et de politesse à l’égard de l’hôte, que de lui présenter le thé dans une coupe, qui lui garantit par sa couleur, pour ainsi dire, la vie sauve».
Après avoir loué «l’inépuisable obligeance de (ses) hôtes et des amis (rencontrés à Mazagan) dans la colonie européenne et parmi les musulmans», Montet témoigne que la ville est «de toutes les cités de la côte ouvertes aux Européens, celle où ceux-ci jouissent de la plus grande sécurité»; et ce «dans certaines même où le Maroc a été très agité et où l’autorité du sultan était très ébranlé, (…) le calme a toujours régné sur Mazagan, et les Européens n’y ont point eu à craindre les violences dont, ailleurs, ils eussent été infailliblement les victimes, s’ils ne s’étaient prudemment repliés sur cette place forte. Ses murailles portugaises semblent être un symbole de la sûreté dont la colonie européenne jouit sous leur protection».
«Cette paix et cette tranquillité exceptionnelles, affirme-il, qui sont le précieux privilège du Mazagan» sont démontrées par plusieurs faits, dont il rappelle deux. « Le premier est l’habitude que les Européens ont prise, depuis plusieurs années, de construire, en dehors des murailles, des magasins, des entrepôts et même des maisons d’habitation » ; et de conclure : « Il faut vraiment que la sécurité soit très grande et qu’on se sente à Mazagan à l’abri des coups de main et des pillages, pour faire ce que nulle autre part, au Maroc, à l’exception de Tanger (et Larache), (…) on n’ose tenter. »
Mazagan est entouré de superbes fortifications portugaises (Dessin de Taylor)
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Le second trait rapporté par l’auteur est « l’existence (…) d’une poste privée, dont l’histoire confirme la bonne réputation de cette paisible cité. » Il s’agit, évidemment, du service postal entre Mazagan et Marrakech, fondé par Joseph Brudo, qui disposait de ses propres timbres et dont les Rekkas (courriers) reliaient les deux villes en trois jours en général, parfois même deux, en se relayant, alors que « les voyageurs pressés, et qui n’emportent point avec eux de nombreux bagages, peuvent faire le voyage en cinq jours. »
Charité et mendicité
Montet vante, également, la charité des Mazaganais en particulier et des Marocains en général, rapportant deux faits anecdotiques. Un voyageur Français arrive un soir, très fatigué et l’estomac vide, dans un foundouk de la ville. Des mendiants lui demandent ce qu’il désirerait manger. Du pain et du beurre, répond-il. Et l’un d’entre eux d’aller mendier les mets dans la ville et de les lui apporter. Seconde anecdote : un mendiant posté devant l’une des portes de Mazagan sollicitait une somme égale au prix d’un âne. Après plusieurs jours passés à crier en vain, un riche personnage de la cité fut touché par ses plaintes et lui octroya la somme nécessaire pour l’achat de la bourrique, une vingtaine de pesetas. Et depuis lors, personne ne vit plus le mendiant devant la porte de la ville.
Concernant la mendicité, Montet la qualifie comme étant «l’une des plaies du Maroc; elle est due en partie (…) à la misère générale produite par la tyrannie du sultan». Et d’affirmer que le fait relatif au mendiant sollicitant le prix d’un âne qu’il a cité, montre «à quel point le Marocain dans l’aisance est charitable, et peut être exploité par les mendiants de profession».
A Mazagan, le marché se tient en dehors des murailles, explique Montet. Il s’y arrête devant la boutique de ce qu’il appelle un «médecin indigène», une modeste tente. Notre médecin interroge ses patients, leur donne le remède approprié (des herbes et des graines), auquel il joint une formule magique écrite par lui sur un bout de papier et leur recommande d’absorber et le remède et le papier. Toutefois, Montet reconnaît que les médecins indigènes savent appliquer divers modes de pansements, soigner les fractures et connaissent l’usage thérapeutique de certaines plantes et de quelques eaux minérales.
Lorsque Montet s’apprête à quitter Mazagan, «l’austère et avare caïd » de la ville veut l’honorer en le faisant accomagner, lui et ses compagnons de voyage, par l’un de ses soldats. Aussi, il leur envoie «un mkhâzni déguenillé et d’une saleté repoussante ; le pauvre diable est monté sur un cheval qui n’a pas été pansé depuis longtemps, et dont les flancs sont couverts d’une couche épaisse de fumier».
Charité et mendicité
Montet vante, également, la charité des Mazaganais en particulier et des Marocains en général, rapportant deux faits anecdotiques. Un voyageur Français arrive un soir, très fatigué et l’estomac vide, dans un foundouk de la ville. Des mendiants lui demandent ce qu’il désirerait manger. Du pain et du beurre, répond-il. Et l’un d’entre eux d’aller mendier les mets dans la ville et de les lui apporter. Seconde anecdote : un mendiant posté devant l’une des portes de Mazagan sollicitait une somme égale au prix d’un âne. Après plusieurs jours passés à crier en vain, un riche personnage de la cité fut touché par ses plaintes et lui octroya la somme nécessaire pour l’achat de la bourrique, une vingtaine de pesetas. Et depuis lors, personne ne vit plus le mendiant devant la porte de la ville.
Concernant la mendicité, Montet la qualifie comme étant «l’une des plaies du Maroc; elle est due en partie (…) à la misère générale produite par la tyrannie du sultan». Et d’affirmer que le fait relatif au mendiant sollicitant le prix d’un âne qu’il a cité, montre «à quel point le Marocain dans l’aisance est charitable, et peut être exploité par les mendiants de profession».
A Mazagan, le marché se tient en dehors des murailles, explique Montet. Il s’y arrête devant la boutique de ce qu’il appelle un «médecin indigène», une modeste tente. Notre médecin interroge ses patients, leur donne le remède approprié (des herbes et des graines), auquel il joint une formule magique écrite par lui sur un bout de papier et leur recommande d’absorber et le remède et le papier. Toutefois, Montet reconnaît que les médecins indigènes savent appliquer divers modes de pansements, soigner les fractures et connaissent l’usage thérapeutique de certaines plantes et de quelques eaux minérales.
Lorsque Montet s’apprête à quitter Mazagan, «l’austère et avare caïd » de la ville veut l’honorer en le faisant accomagner, lui et ses compagnons de voyage, par l’un de ses soldats. Aussi, il leur envoie «un mkhâzni déguenillé et d’une saleté repoussante ; le pauvre diable est monté sur un cheval qui n’a pas été pansé depuis longtemps, et dont les flancs sont couverts d’une couche épaisse de fumier».
«L’homme et la bête, remarque-t-il, sont d’un aspect si répugnant et sentent si mauvais, que (ses) gens eux-même, qui ne sont guère difficiles, mais qui sont propres, en ont la nausée. » Ainsi, et après quelques minutes de marche, le Français se dirigeant vers marrakech s’empressa «de renvoyer à son maître cet indigne compagnon de route».
Par Saïd Ahid
*) Un résumé de cet article a été présenté lors du XIIème Colloque « Maroc-Portugal : Histoire et patrimoine en partage », intitulé « Mazagan patrimoine mondial 20 ans après : réalisations et attentes» et organisé, le 27 décembre 2024 à El Jadida, par le Centre d’Etudes et de Recherches sur le Patrimoine Maroco-Lusitanien» en collaboration avec d’autres institutions.
Par Saïd Ahid
*) Un résumé de cet article a été présenté lors du XIIème Colloque « Maroc-Portugal : Histoire et patrimoine en partage », intitulé « Mazagan patrimoine mondial 20 ans après : réalisations et attentes» et organisé, le 27 décembre 2024 à El Jadida, par le Centre d’Etudes et de Recherches sur le Patrimoine Maroco-Lusitanien» en collaboration avec d’autres institutions.