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Ces derniers jours, la presse indépendante marocaine a reçu un sacré coup dur, avec la fermeture du Journal hebdomadaire mis en liquidation judicaire. Suite à la plainte posée pour diffamation par l’ESISC, un organisme qui a fait un rapport sur le Polisario fortement critiqué en 2005 par le Journal hebdomadaire, cette revue s’était vue infliger une amende de 3,5 millions de dirhams (Ndlr. Le jugement et la venue des huissiers dans les locaux du Journal remontent à Décembre 2006). Mercredi et jeudi derniers, des huissiers sont venus fermer les portes du local dans lequel travaillaient les journalistes, qui n’ont pu boucler le numéro qui devait sortir ce vendredi 29 janvier (Ndlr l’actuelle venue des huissiers dans les locaux du Journal est motivée par un jugement concernant notamment le non paiement des impôts et de la CNSS. Dans ce dernier cas, c’est, en fait, les journalistes qui sont les premières victimes de leur administration). Le métier de journaliste implique certes une déontologie et une éthique professionnelle. La presse ne peut diffuser de fausses informations ou bien révéler n’importe quoi qui puisse porter atteinte aux individus. Elle est un acteur qui agit au sein de l’espace public et de par le fait qu’elle communique publiquement, elle doit respecter les lois de la cité qui sont là pour garantir le bien commun de tous. Toutefois, est-ce que la régulation de la presse signifie pour autant sa mise au pas. Est-ce que le respect de règles déontologiques implique la soumission des journalistes aux pouvoirs politiques ou économiques qui cherchent à « privatiser l’espace public », c’est-à-dire à s’approprier personnellement un espace de communication qui est censé appartenir à tous. Respecter une certaine déontologie journalistique ne signifie pas que la presse doit être « la muse enrôlée » du pouvoir ou bien qu’elle doit raconter des récits sans polémiques censés satisfaire tout le monde. Etre journaliste, ce n’est pas contribuer à des journaux dont le contenu ressemble à des dessins animés type Télétubbies. Le public n’est pas un enfant à qui on raconte des histoires à l’eau de rose et, contrairement à ce que l’on pense, il n’est pas dupe de ce qui se passe autour de lui. Si l’on part de l’idée que les média sont des acteurs capitaux du processus de démocratisation entamé au Maroc depuis la fin des années 90, on ne peut pas leur reprocher de faire preuve d’esprit critique, notamment en parlant des éléments intolérables existant au sein de la société marocaine ou bien en apostrophant les autres acteurs de l’espace public. La démocratie, c’est le respect de la liberté d’expression à partir du moment où celle-ci est au service du bien commun de la cité. Il ne faut pas instrumentaliser la notion de déontologie pour museler une presse qui joue son rôle critique dans l’espace public. Depuis le procès au caricaturiste Khalid Gueddar et au journaliste Taoufiq Bouachrine suite à l’affaire des caricatures sur un membre de la famille royale parue dans Akhbar Al Yaoum jusqu’à ce que l’on pourrait appeler « l’affaire de la fermeture du Journal Hebdomadaire », la presse au Maroc a connu une rude période !! Pour ma part, j’ai la chance de collaborer de temps en temps avec l’équipe du Journal hebdomadaire. Je ne remercierai jamais assez la grande journaliste et directrice de publication qu’est Kawtar Bencheikh, qui m’a formé aux techniques de l’écriture journalistique avec beaucoup de gentillesse et de patience, et qui m’a introduit auprès de l’équipe, en m’invitant à certaines réunions de rédaction. J’ai pu connaître des journalistes professionnels avides de contribuer à la démocratisation du Maroc. Ces derniers ont le souci de renforcer la dignité des citoyens de ce pays en rendant public les choses inacceptables mais en parlant aussi de ce qui fait la grandeur de ce pays tant au niveau de son histoire et de sa culture que des actes citoyens existant au son sein. J’ai été amené à fréquenter des journalistes qui sont l’honneur du Maroc, de par leur professionnalisme et la qualité de leurs écrits. Je pense à des gens qui ont été ou bien sont encore au Journal Hebdo : Hicham Bennani, Omar Radi, Laétitia Dechanet, Aziz El Yacoubi, Hicham Oudaïfa, Fedoua Tounassi, Christophe Guguen, Jules Crétois, Gypsie Allart ou Omar Brouksy. Depuis quelques semaines, l’hebdomadaire pour lequel travaillent ces personnes s’était vu »menacé de mort » – pour reprendre les termes de l’éditorialiste Aboubakr Jamaï – suite à la venue d’un huissier pour notifier la saisie des comptes bancaires. La disparition de ce journal de l’espace public marocain serait une perte importante pour la société tout entière, y compris pour le pouvoir qui en perdant l’un de ses principaux critiques perd également une part de la légitimité du processus de démocratisation qu’il cherche à mettre en oeuvre et à exhiber publiquement sur la scène internationale.
* Politologue, auteur de "Penser l'obscurantisme aujourd'hui", Editions Afrique Orient.
* Politologue, auteur de "Penser l'obscurantisme aujourd'hui", Editions Afrique Orient.