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Shinzo Abe a battu des records de longévité comme Premier ministre du Japon, dont il a profondément marqué la politique et l'économie. Mais son bilan divise dans l'archipel, comme l'illustre la controverse sur ses funérailles nationales organisées mardi. Il était resté un influenceur clé de la politique japonaise même après avoir quitté le pouvoir pour des raisons de santé en 2020. Il est mort assassiné à 67 ans le 8 juillet dernier en plein meeting électoral à Nara (ouest du Japon). Son assassin présumé, interpellé juste après les faits, lui reprochait ses relations supposées avec l'Eglise de l'Unification, surnommée la "secte Moon", accusée d'exercer de fortes pressions financières sur ses fidèles au Japon. Nationaliste teinté de pragmatisme, Shinzo Abe avait 52 ans quand il est devenu chef du gouvernement pour la première fois en 2006, un record de précocité pour un Premier ministre japonais depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais il a surtout marqué les esprits durant son second passage au pouvoir (2012-2020). A l'été 2020, alors qu'il était devenu impopulaire pour sa gestion de la pandémie de Covid-19 jugée maladroite par l'opinion publique, il avait reconnu qu'il souffrait de nouveau d'une maladie inflammatoire chronique de l'intestin, la rectocolite hémorragique, et avait démissionné peu après. Cette maladie était déjà l'une des raisons de la fin abrupte de son premier passage au pouvoir en 2007. Shinzo Abe s'était notamment fait connaître à l'étranger par sa politique économique audacieuse surnommée "Abenomics" lancée à partir de fin 2012, combinant assouplissement monétaire, relances budgétaires massives et réformes pour réveiller la croissance. Il avait enregistré certains succès, dont une hausse notable du taux d'activité des femmes et des seniors. Cependant, faute de réformes structurelles suffisantes, les Abenomics n'ont abouti qu'à des réussites partielles. Encore aujourd'hui, l'économie japonaise reste dépendante de plans de relance et d'une politique monétaire ultra-accommodante. L'ambition ultime de cet héritier d'une grande famille d'hommes politiques conservateurs (son grand-père Nobusuke Kishi avait été Premier ministre de 1957 à 1960) était de réviser la Constitution pacifiste japonaise, rédigée par les Américains après la Seconde Guerre mondiale et jamais amendée jusqu'à présent. Abe prônait la fermeté vis-à-vis de la Corée du Nord et un Japon décomplexé par rapport à son passé militariste: il refusait de porter le fardeau du repentir pour les exactions de l'armée japonaise en Chine et en Corée dans la première moitié du XXe siècle. Mais devant le courroux de Pékin, Séoul et Washington suscité par sa visite fin 2013 au sanctuaire Yasukuni à Tokyo, Abe avait ensuite soigneusement évité de retourner dans ce haut lieu du nationalisme nippon tant qu'il était au pouvoir. Les relations entre Tokyo et Séoul se sont dégradées sur fond de leurs contentieux historiques, tandis que celles avec Pékin, que Shinzo Abe voulait réchauffer, sont restées tortueuses. Avec le grand allié américain, Abe s'est toujours adapté et était parvenu à établir des liens proches avec Donald Trump, avec lequel il partageait la passion du golf. Il s'était aussi employé à ménager le président russe Vladimir Poutine. Son espoir de régler le différend des îles Kouriles du Sud, annexées par l'Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale et jamais restituées au Japon, s'est toutefois avéré vain. Abe a également tenté de renforcer la présence du Japon sur la scène internationale, en endossant par exemple un rôle de médiateur entre l'Iran et les Etats-Unis, en promouvant le multilatéralisme et en concluant des accords de libre-échange. Des affaires de clientélisme ont régulièrement éclaboussé son gouvernement et son entourage, sans jamais pourtant faire tomber un Premier ministre qui profitait de l'absence d'un rival sérieux au sein de sa formation, le Parti libéral-démocrate (PLD, droite conservatrice) et d'une opposition éparpillée. Plusieurs lois passées sous son second mandat, notamment sur le renforcement de la protection des secrets d'Etat, l'élargissement des missions des Forces japonaises d'autodéfense et le durcissement de la lutte antiterroriste, ont fait polémique au Japon, allant jusqu'à entraîner de vastes manifestations, habituellement rares dans l'archipel. Abe s'était longtemps accroché à l'espoir de maintenir les Jeux olympiques de Tokyo à l'été 2020, qui devaient être le point d'orgue de son dernier mandat. Les JO de Tokyo ont finalement eu lieu un an plus tard et à huis clos à cause de la pandémie de coronavirus.